Fiche du document numéro 32507

Num
32507
Date
Samedi 10 juin 2023
Amj
Auteur
Taille
44235
Titre
Procès de Philippe Hategekimana aux assises de Paris, 15ème jour - Compte rendu de l’audience du 2 juin 2023
Nom cité
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Type
Page web
Langue
FR
Citation
Ce vendredi 2 juin, dernière journée de la quatrième semaine du procès de Monsieur Philippe Hategekimana, la Cour d’assises de Paris entendra cinq témoins. Tout d’abord, Callixte Gasimba, un assaillant, sera entendu en visioconférence depuis Kigali. Sans surprise, il ne souhaitera pas faire de déclarations spontanées. Lors du génocide, il était agriculteur dans le secteur de Mushirarungu, dont le conseiller était Israël Dusingizimana. Interrogé ensuite sur la chute de l’avion présidentiel, il confirmera que, dans la commune de Nyanza, les massacres n’ont pas commencé dès le 7 avril 1994, à l’instar de Kigali, mais plus tard. Il situe le début des tueries « vers le 11 » et évoque l’assassinat de plusieurs personnes et la fuite des Tutsi vers la colline de Munyinya (nom de la colline de Nyabubare à l’époque du génocide). Tout comme les témoins précédents, il évoque la présence d’un « ancien militaire de l’armée d’Habyarimana ». Monsieur Gasimba explique ensuite le déroulement de l’attaque de la colline. Il confirme ainsi qu’après une première attaque infructueuse par la population civile, le conseiller de secteur, Israël Dusingizimana, part chercher les gendarmes en renfort. Ces derniers arrivent dans un pick-up de couleur blanche avec « une arme puissante », un « mortier 120 mm ». Biguma donne des directives aux militaires présents à ses côtés, « de passer à gauche et à droite pour encercler la colline ». Par la suite, l’adjudant-chef tire avec l’arme lourde sur les réfugiés, puis « les militaires qui avaient encerclé la colline ont commencé à tirer sur les personnes rescapées, et même la population ordinaire achevait les autres ». Le témoin conclut en disant que « ce sont les choses que je connais sur Biguma et que j’ai vu de mes propres yeux ». Finalement, quand il est questionné par le Président sur la manière dont il a appris que l’attaque de la colline était dirigée par Biguma, il déclarera : « Tout le monde disait que c’était Biguma ». Le Président termine ainsi son interrogatoire. Les parties civiles n’auront pas de questions, laissant donc la parole aux avocates générales. L’une des magistrates demande directement à Monsieur Gasimba comment il peut affirmer avoir vu Biguma sur les lieux de l’attaque alors qu’il se situait à « environ 400 mètres » de lui et qu’il ne le connaissait pas avant. Le témoin confirme une seconde fois que « ce sont des gens qui le disaient ». L’intéressé est ensuite questionné sur l’arme lourde utilisée par les gendarmes. À ce sujet, il déclare qu’elle était posée sur « une petite colline qui s’appelle Munyinya […] ils l’ont sortie du véhicule à trois personnes et l’ont posée par terre ». Les représentantes du Parquet poseront quelques questions supplémentaires puis ce sera finalement Maître Guedj qui se lèvera pour la défense. L’avocat de Monsieur Manier reprendra plusieurs éléments relatifs à l’attaque de la colline de Nyabubare, le nombre de gendarmes ayant porté l’arme lourde pour l’installer, la voiture ayant permis d’acheminer le mortier, la tenue des gendarmes. Enfin, le contre-interrogatoire se terminera sur les questions concernant la détention de Monsieur Gasimba, et notamment sur les personnes avec lesquelles il était incarcéré, « Israël [Dusingizimana], Audace, et beaucoup d’autres ».

Le deuxième témoin de la journée, Monsieur Canisius Kabagamba, partie civile constituée auprès de Maître Philippart est également entendu en visioconférence. Il commencera par une déposition spontanée. Il explique à la Cour et aux parties que, « le 23 avril 1994, un samedi, j’ai pris la décision de fuir parce qu’il y avait de l’insécurité. Les Tutsi étaient tués et on brûlait les maisons ». Après avoir confirmé à plusieurs reprises la date de son départ, il explique qu’il choisit, comme plusieurs de ses compatriotes, de traverser la frontière avec le Burundi, créée par la rivière Akanyaru, au niveau du port de Mpanda. Aidé par la population, il passe par des sentiers détournés. Au moment d’accoster sur les rives burundaises, les gendarmes, sur ordre de Biguma, tirent sur les fugitifs. Le Président prend la parole afin d’interroger le témoin. Sur interrogation de Monsieur Lavergne, ce dernier nie avoir été présent pendant l’arrestation du bourgmestre Narcisse Nyagasaza, en disant que « si j’avais été présent, j’aurais été arrêté comme on a arrêté d’autres personnes, dont Pierre Nyakarashi », confirmant ainsi les versions données par les témoins entendus plus tôt. Maître Philippart prend ensuite la parole. Elle lui demande quelques précisions et Monsieur Kabagamba confirme que, le matin de sa fuite, le bourgmestre Narcisse Nyagasaza avait été arrêté par les gendarmes et emmené à Nyanza. L’avocate du CPCR (Collectif des parties civiles pour le Rwanda) poursuit et s’intéresse à la situation du témoin, après le génocide. En effet, ce dernier a été superviseur des juridictions Gacaca. Il est donc naturellement interrogé sur les conditions dans lesquelles se sont déroulées les phases de recueil d’informations. Il dira ainsi : « Cette phase s’est bien passée. Ceux qui avaient reconnu leurs crimes et qui disaient la vérité recevaient des peines allégées, les autres qui niaient alors qu’il y avait des preuves et des témoins étaient punis selon la loi ». Maîtres Gisagara et Epoma poseront à leur tour quelques questions au témoin. Le Ministère public ne souhaitera pas prendre la parole et c’est donc Maître Guedj qui se lèvera pour la défense. Ce contre-interrogatoire sera très court, l’avocat de Monsieur Manier revenant uniquement sur le fait que la majorité des accusations de Monsieur Kabagamba à l’encontre de son témoin lui ont été rapportées par d’autres personnes, notamment Israël Dusingizimana.

Après une pause méridienne, la caméra de la Cour d’assises s’ouvre sur Monsieur Charles Mporanyi. Ce dernier ne connaît pas l’accusé mais il a été convoqué par le Président en vertu de son pouvoir discrétionnaire en raison de ses liens avec le colonel Laurent Rutayisire. En effet, ce dernier a procédé, avec une équipe de gendarmes, à l’évacuation de l’intéressé durant le génocide. Ainsi le 19 avril 1994, un groupement vient chercher Monsieur Mporanyi chez lui, à Kigali, pour l’emmener à Musambira. En réalité le témoin ne pourra pas particulièrement donner de détails à la Cour. Il déclare n’avoir presque pas croisé les gendarmes et ne leur avoir pas parlé : « Je n’étais pas dans leur voiture. J’avais la mienne et ils avaient une camionnette. […] Je les ai suivis ». Le Président se tourne vers Monsieur Hategekimana et lui demande s’il connaît le témoin. Il répondra simplement : « Je ne m’en rappelle pas, mais je sais que je suis allé l’évacuer à Kacyiru ». Quand Monsieur Lavergne lui demande de donner davantage de détails, il restera assez évasif. Il pourra simplement expliquer que le colonel Laurent Rutayisire lui a dit « qu’il avait un ami du nom de Charles Mporanyi qui était Hutu modéré et qui risquait de se faire tuer. Il travaillait dans une société d’assurance qui s’appelait Soras ». Ce que confirme le témoin. Aussi, il est rappelé que Monsieur Manier n’avait jamais évoqué l’évacuation du témoin dans ses précédentes auditions. Fait étrange quand on sait que cela pourrait permettre de soutenir que l’accusé ne se trouvait pas à Nyanza au moment des faits qui lui sont reprochés. Le Président poursuit ses questions et, finalement, Monsieur Mporanyi reconnaît que son évacuation a peut-être eu lieu le 19 mai et non pas le 19 avril. Il sait simplement « que c’était le 19 ». Toujours sur le contexte chronologique, l’intéressé dira que la guerre n’avait pas encore commencé. Il y avait effectivement des barrières mais « pas de massacres généralisés. Les gens étaient divisés et ne sortaient pas beaucoup ». Après quelques questions supplémentaires, la parole est laissée aux parties civiles. Les avocats s’adresseront à la fois au témoin et à l’accusé. Maître Gisagara demande à Monsieur Manier comment il est possible qu’il puisse se rappeler de l’évacuation de plusieurs personnes mais pas de celle de Monsieur Mporanyi qui était une personnalité connue en 1994. Il dira simplement qu’au regard du temps qui s’est écoulé, il a oublié plusieurs éléments qui lui sont revenus après. Maître Epoma prend la suite et, toujours en s’adressant à l’accusé, lui demande, ce dernier soutenant être arrivé à Kacyiru le 19 avril, s’il a, directement le jour de son arrivée, procédé à une évacuation. Monsieur Hategekimana ne souhaitera pas répondre à la question préférant que son conseil s’en charge. Le Président Lavergne le reprend et lui demande de répondre. « Vous dites avoir été muté le 19 avril, avez-vous directement été confié à l’escorte de Laurent Rutayisire ? ». La réponse est négative, il est d’abord allé au front au camp de Kacyiru pendant environ deux semaines. Enfin, Maître Karongozi prendra la parole pour quelques questions supplémentaires. Les avocates générales termineront en interrogeant très succinctement l’accusé. La magistrate demandera simplement la nature des informations qui étaient données aux gendarmes par le colonel Laurent Rutayisire à propos des personnes à évacuer. Monsieur Hategekimana répondra simplement que « Rutayisire nous demandait d’évacuer les personnes et nous, on ne posait pas de questions ». La défense ne souhaitera pas faire de contre-interrogatoire.

Après une courte pause, Monsieur Israël Dusingizimana, toujours entendu depuis le Rwanda, se présentera à la caméra. Son interrogatoire, débuté le 31 mai, avait dû être arrêté pour des raisons de santé. Le Président reprendra donc ses questions. Il commence en demandant à l’intéressé s’il peut reconnaître l’accusé. Ce qu’il fait. Il reconnaît Biguma. Il poursuit en expliquant qu’il ne connaissait pas d’autres gendarmes, uniquement l’accusé car il le « rencontrait souvent lors des réunions de sécurité qui avaient lieu même avant le génocide ». Monsieur Lavergne interrogera donc Monsieur Dusingizimana sur ces rencontres. Il n’apportera pas d’éléments supplémentaires, confirmant les déclarations faites précédemment. L’interrogatoire se poursuit, abordant les faits pertinents, à savoir l’attaque de la colline de Nyabubare [l’assassinat du bourgmestre Narcisse Nyagasaza a déjà été étudié le 31 mai]. Le témoin confirme que les assaillants portaient « des feuilles de bananiers attachées sur la tête. C’était comme un signe distinctif des Hutu qui participaient aux attaques ». Il précise que l’assaut a commencé aux environs de 11h ou 12h et qu’il s’est terminé aux alentours de 14h. Il soutient également que l’attaque « a eu lieu le 23 avril, un samedi » et que durant cette dernière, un mortier de 60 mm a été utilisé. La première assesseure posera trois questions au témoin et la parole sera laissée aux parties civiles. Maître Epoma pose certaines questions au sujet de la mort du bourgmestre Cyprien Gisagara, puis Maître Karongozi interroge Monsieur Dusingizimana sur l’organisation du génocide. Il demande ainsi à l’intéressé quelles étaient les relations entre le sous-préfet Gaëtan Kayitana, le capitaine François Birikunzira (commandant de la compagnie territoriale Nyanza) et Biguma, ce à quoi il répondra : « Ils étaient vraiment pareils, ils avaient les mêmes pensées, ils tuaient en accord sur tout ». Après une courte intervention du Président afin d’obtenir quelques précisions, Maître Gisagara s’approche du micro. Il apportera notamment une explication à la situation pénitentiaire de l’intéressé. En effet ce dernier avait expliqué à la Cour qu’il était toujours incarcéré aujourd’hui alors qu’il avait déjà purgé sa peine. En réalité, Monsieur Dusingizimana a été condamné par deux juridictions Gacaca différentes « Rumera et Mushirarungu, et à chaque fois c’était 24 ans de prison ». L’avocat explique que le Rwanda pratique, comme plusieurs autres Etats, le cumul des peines, ce qui explique que le témoin soit encore détenu. Maître Philippart prend la suite et demandera notamment à l’ancien conseiller de secteur dans quelles conditions il a pu voir Philippe Hategekimana se rendre aux barrières. Ce dernier confirme l’avoir vu de ses propres yeux et explique que le gendarme venait « pour contrôler, pour s’enquérir de la manière dont les barrières fonctionnent. C’était pour voir si ses instructions étaient bien respectées et si les barrières n’étaient pas laissées sans personne ». La parole est ensuite donnée aux représentantes du Parquet. Elles demanderont quelques précisions au témoin sur la présence de Monsieur Manier aux réunions de sécurité. Ce dernier confirmera qu’il l’a vu environ à deux reprises et qu’il intervenait en qualité de responsable de la gendarmerie. Les questions se poursuivent et l’avocate générale demande pourquoi les Tutsi étaient arrêtés, déplacés et tués à des endroits différents. Monsieur Dusingizimana dira que cela était fait afin de « montrer à la population qu’on tuait des gens, c’était pour sensibiliser ». Aussi, toujours sur question des magistrates du Ministère public, il expliquera que, lors de l’attaque de Nyabubare, « c’est l’adjudant-chef Biguma qui donnait l’ordre aux gendarmes. Moi, je donnais des ordres à la population civile que je dirigeais ». Il ajoutera tout de même que « évidemment », les instructions données par les gendarmes étaient plus importantes et qu’il fallait donc les respecter en premier lieu. Après quelques questions supplémentaires, la parole est donnée à la défense. Maître Guedj commence son contre-interrogatoire en parlant de Petero [Pierre] Ngirunshiti, le militaire tutsi réfugié sur la colline de Nyabubare, des différentes réunions de sécurité, de l’assassinat du bourgmestre Cyprien Gisagara, du meurtre du groupe de Tutsi qui accompagnait Narcisse Nyagasaza, du déroulé du meurtre de ce bourgmestre, de la colline de Nyabubare et des armes utilisées lors de cette dernière. Le témoin restera constant dans ces réponses, aucune contradiction n’apparaîtra. L’avocat de la défense terminera en posant ses traditionnelles questions sur les juridictions Gacaca, à savoir dans combien d’affaires l’intéressé a pu témoigner et aux cotés de qui.

Enfin, le dernier témoin de la journée, Etienne Sagahutu, un autre assaillant de la colline de Nyabubare, est invité à entrer dans la salle. Il ne fera pas de déclaration spontanée et sera donc directement interrogé par la Cour. Il soutiendra qu’« à Nyabubare, les tueries ont commencé le 22 avril 1994, le jour du Sabbat ». Cependant, le Président pointera directement la contradiction, expliquant que le Sabbat étant le samedi, c’est donc le 23 avril. L’interrogatoire se poursuit et Monsieur Sagahutu explique qu’il n’a pas réellement compris ce qu’il se passait sur le moment : « Je ne comprenais pas, nous avons vu une attaque arriver et on a commencé à tirer sur nous. Ce sont les membres de la population qui sont venus accompagnés de certaines personnes pour tuer ». Il apparaît donc que ce dernier était présent avec les réfugiés tutsi au moment de l’assaut. Il n’a donc pas pu noter beaucoup de détails. Ainsi, il déclarera n’avoir vu ni l’arme tirant les obus ni le visage de Biguma. Il soutient simplement que « tout le monde disait que c’est Biguma qui avait lancé cette attaque sur notre colline ». Malgré cela, le témoin a tout de même été condamné à 13 ans de réclusion criminelle pour avoir participé à des rondes. L’interrogatoire du Président sera très court et ni les avocats des parties civiles ni le Ministère public ne souhaitera poser de questions. Maître Duque se lève finalement pour la défense. Elle demandera au témoin de confirmer qu’il n’a pas vu Biguma, ce qu’il fera. Aussi, elle citera les déclarations d’un autre témoin, Obed Bayavuge, qui déclare avoir vu Monsieur Sagahutu lors de l’attaque de Nyabubare, l’avoir vu participer aux massacres. L’intéressé rejettera cette version. Son audition se termine donc.

Les audiences sont suspendues pour le week-end et reprendront le lundi 5 juin à 9h.

Par Emma Ruquet

Commission juridique d’Ibuka France

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