Fiche du document numéro 32496

Num
32496
Date
Mercredi 7 juin 2023
Amj
Taille
58437
Sur titre
Justice internationale
Titre
Rwanda : considéré comme le « financier du génocide », Félicien Kabuga échappe à son procès
Sous titre
Diagnostiqué «inapte» à suivre son procès, l’ex-homme d’affaires, suspecté d’avoir joué un rôle central lors du génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, ne sera jamais condamné. Son arrestation spectaculaire avait pourtant constitué un succès inédit pour la justice internationale.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Félicien Kabuga au «mécanisme» du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), à La Haye, en septembre 2022. (HANDOUT/AFP)

La déception a été évidemment immense. Elle s’est spontanément exprimée sur les réseaux sociaux, dès l’annonce mercredi matin de l’arrêt définitif du procès, désormais inachevé, de Félicien Kabuga. «Frustrant !», tweete ainsi l’un des principaux enquêteurs français à l’origine de sa spectaculaire arrestation. L’homme d’affaires rwandais est suspecté d’avoir été le «financier du génocide» de 1994 contre la minorité tutsie de ce pays, faisant près d’un million de morts en seulement trois mois.

Pendant un quart de siècle, il aura surtout été l’homme le plus recherché au monde. Il échappa à plusieurs coups de filets, au Kenya comme en Allemagne, avant qu’un dispositif exceptionnel, impliquant plusieurs polices européennes, ne permette de le coincer à Asnières, en banlieue parisienne, le 16 mai 2020. Pour la justice internationale, c’était alors une immense victoire.

Son procès avait démarré en septembre à La Haye, aux Pays-Bas, où siège le «mécanisme résiduel», héritier du Tribunal international pour le Rwanda (TPIR) qui a fermé officiellement ses portes en 2015, après avoir jugé 93 Rwandais inculpés de génocide et crimes contre l’humanité. Le procès de Kabuga devait être le dernier grand procès international consacré à cette tragédie. Mais dès le départ, tout fut compliqué : après avoir plaidé non coupable, Kabuga, âgé aujourd’hui de 88 ans, refuse de quitter sa cellule et d’assister aux audiences. Il récuse son principal avocat, maître Emmanuel Altit, avant d’accepter de le rappeler. Puis comparaît, mais uniquement en visioconférence, la mine renfrognée. Sa santé est déclinante. En mars, les audiences sont suspendues. Une armada de médecins et psychiatres se pressent à son chevet.

«J’ai envie de vomir»



Leur verdict sera sans appel : l’accusé souffre de «démence», ses «capacités cognitives» seraient en constante «régression». Il serait même parfois incapable de savoir où il se trouve. Trois mois plus tard, les magistrats de La Haye ont donc pris acte de cette impasse, annonçant mercredi la fin du procès. Un véritable choc pour les rescapés du génocide, comme pour tous ceux qui se sont inlassablement consacrés à sa traque. «J’ai envie de vomir […]. Y avait-il des Tutsis trop vieux ou trop séniles au Rwanda pour subir les coups de machettes achetées et distribuées par Kabuga ?» a réagi sur Twitter une proche des familles de victimes.

Faisant allusion à l’un des crimes reprochés à l’accusé, et pourtant retiré de l’acte d’accusation, faute de preuves : l’achat massif de machettes à la veille de cette solution finale africaine.

Reste que Kabuga est bien suspecté d’avoir été au cœur de cette plongée dans l’abîme, en orchestrant un bain de sang contre une minorité déjà stigmatisée depuis l’indépendance. Self-made-man quasi analphabète mais devenu milliardaire, Kabuga aurait mis sa fortune au service des extrémistes, finançant notamment les milices Interahamwé, bras armé du
génocide aux côtés des militaires. Mais aussi en tant qu’un des actionnaires principaux de la redoutable radio des Mille Collines, dont les messages de haine et les appels aux meurtres ont largement contribué à accélérer les massacres. Contrairement à d’autres barons du régime, il n’aurait quitté que tardivement le Rwanda à feu et à sang, incitant à la mise en place de l’autodéfense civile, dernier avatar de la répression des Tutsis déjà largement décimés.

Pas de remise en liberté



«C’est un dossier d’une importance majeure [...]. Kabuga est un nom qui est connu de tous les survivants, et de tous ceux qui se sont intéressés à ce génocide», soulignait en mai 2021 Serge Brammertz, le procureur du mécanisme du TPIR, dans un entretien accordé à Libération. Nommé en 2016, ce magistrat belge a joué un rôle décisif dans l’arrestation de l’ex-homme d’affaires rwandais. Renouvelant les méthodes comme les équipes de traqueurs, c’est lui qui commence notamment cette collaboration jusqu’alors inédite entre les polices européennes. Elle permettra de suivre à la trace tous les proches de l’accusé, inculpé depuis 1997 par le TPIR, et de dénicher sa planque sous une fausse identité à Asnières, en pleine pandémie de Covid-19. Grâce à la collaboration active des gendarmes français de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine (OCLCH), dont la création en 2013 a également boosté la recherche des présumés génocidaires encore en fuite.

A défaut d’être jugé, Kabuga ne sera pas pour autant libéré. Du moins dans l’immédiat. Les magistrats ont annoncé mettre en place une procédure spéciale de constat des faits, totalement inédite pour cette juridiction. Les éléments de preuves devraient être évoqués, des témoins entendus. Mais aucun verdict de culpabilité ne pourra être prononcé. Et cet homme puissant qui, sans avoir jamais lui-même tué personne, a toujours été considéré comme l’un des principaux instigateurs de cette folie meurtrière, ne sera jamais condamné.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024