Fiche du document numéro 32482

Num
32482
Date
Vendredi 23 septembre 1994
Amj
Taille
20371
Sur titre
Images
Titre
Amnésies rwandaises
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
CONDUITE par Hervé Brusini, une équipe de "La marche du siècle" est retournée dans les traces sanglantes des massacreurs du Rwanda. Elle les a poursuivis, pourchassés, et a rassemblé au total une jolie moisson.

Sous les yeux des journalistes, une fille de victimes visite la maison familiale en ruines. Dans une rue du village, elle rencontre la sœur du bourreau présumé de ses parents. "Tu me reconnais ?". "Non". Elle ôte ses lunettes. L'autre se précipite alors : "Ah oui, c'est toi ! Et où est donc passé ton frère ?". La sœur baisse les yeux : "Elle est sans nouvelles". Voici encore un membre présumé des "escadrons de la mort", retrouvé au coin d'un chemin. Il baisse les yeux, lui aussi. Non, il n'a jamais entendu parler de rien. Les milices ? Il n'est pas au courant. Dans un camp au Zaïre, un ex-conseiller de ministère fait front : fièrement, il s'affirme disposé à venir témoigner devant toutes les juridictions internationales que l'on souhaitera. Mais, en ce qui le concerne, il met quiconque au défi de prouver quoi que ce soit. "Qu'on les amène, ceux que j'aurais tué, qu'on les amène !". Complétant cette étonnante galerie d'amnésiques, l'ancien président de la République par intérim a lui-même perdu la mémoire de ses appels au meurtre.

Nous passons le portail de la prison de Kigali. Sans commentaires, une femme lit pour la caméra quelques dépositions des détenus. "Personnellement, j'ai tué peu de monde : pas plus d'une centaine de personnes". "En ce qui me concerne, je n'étais qu'un subalterne, j'en ai tué quatorze". "Et moi seulement dix". "Et moi, personne, vraiment : quatre". Ainsi de suite. Debout dans la cour de la prison, un frêle procureur en chemise blanche interroge les massacreurs supposés par fournées entières. Toute la famille de sa propre femme, explique-t-il, a été massacrée. Trouvera-t-il la sérénité nécessaire à sa mission ? "Aucun souci !" assure-t-il.

Jugera-t-on seulement ? De colline en colline, des rescapés, transformés en enquêteurs, alignent des noms sur de petits carnets. Mais on manque de juges, d'argent, de tout. Alors, qu'importe si les hommes de Cavada se prennent un peu pour des procureurs supplétifs : de ces massacres qui ne connaîtront sans doute jamais leur Nuremberg, il est amèrement réconfortant de voir les coupables ainsi tourmentés par l'œil de la caméra. Au passage, apparaissent dans toute leur banalité les rouages mécaniques d'un génocide, se dessine une méditation à vif sur les crimes de guerre et l'épuration, la justice et la vengeance, la nécessité et les difficultés de la "réconciliation nationale". Autant de réflexions, on l'aura compris, qui peuvent trouver bien d'autres terrains d'application que le Rwanda.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024