Fiche du document numéro 32464

Num
32464
Date
Vendredi 26 juillet 1996
Amj
Taille
15846
Titre
Retour du Rwanda
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
JE suis de retour d'une mission de formation à Kigali, au Rwanda, dans le cadre d'une association française de juristes qui participe à la reconstruction de l'appareil judiciaire rwandais après sa totale destruction lors du génocide de 1994.

Après une semaine passée à Kigali en contact étroit avec des policiers et magistrats locaux et après avoir eu le triste privilège de visiter un charnier devenu un ossuaire d'environ 3 500 victimes dans une petite église, je ressens le devoir de témoigner.

Témoigner de ce que ce petit pays, sans ressources, qui se débat dans les difficultés de la misère, a connu, entre avril et juillet 1994 un terrible génocide dont les récits et les traces sont insoutenables et inimaginables au XXe siècle.

Témoigner de ce que ces massacres épouvantables ont pu avoir lieu, à la machette le plus souvent, en présence et parfois aux pieds des soldats occidentaux et français en particulier, présents pour assurer la sécurité et le départ des Européens !

Témoigner aussi de ce que cette plaie encore béante pour le peuple rwandais risque à tout moment de faire basculer certains dans les horreurs de la vengeance et qu'aujourd'hui les assassinats continuent, notamment ceux des témoins qui pourraient devenir des accusateurs devant une hypothétique justice.

Il faut juger.

Vite. Avant que d'autres drames, dans le même pays ou la même région, ne surviennent

Cette justice, attendue et indispensable à une reconstruction, se heurte encore, plus de deux ans après les faits, à des difficultés matérielles de tous ordres que nous avons peine à imaginer : pas de moyens de communication, pas de moyens de déplacement dans un pays dépourvu de transports en commun, pas de matériel de bureau tout simplement, aucun moyen en matière de police scientifique, des enquêteurs jeunes et inexpérimentés, des magistrats trop peu nombreux et présentant les mêmes handicaps malgré une volonté et une motivation extraordinaires.

Une justice qui n'est pas rendue non plus à ce jour par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, institué par l'ONU, pour lequel les Etats tardent à verser leur contribution et qui semble s'orienter vers des débats de procédure et des exceptions dilatoires.

La conscience de la communauté internationale doit assurer l'exercice d'une justice sereine et équitable pour juger les assassins. C'est là l'honneur d'un système de droit universel qu'il faut construire et qui représente un progrès considérable des droits de la personne humaine.

Mais il faut juger, il faut le faire vite, avant que d'autres drames dans le même pays ou la même région ne surviennent. Sans un effort particulier et immédiat des pays riches pour aider la justice rwandaise et le Tribunal d'Arusha, il sera trop tard. Nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024