Fiche du document numéro 32462

Num
32462
Date
Mercredi 3 août 1994
Amj
Taille
20332
Titre
Rwanda : Oublier ?
Lieu cité
Mot-clé
Source
Commentaire
In his book Le Monde, un contre-pouvoir ? (ed. L'Esprit frappeur, October 1999, p. 161), Jean-Paul Gouteux considers that this article cultivates ambiguity: "Thus Jacques de Barrin denounced, in Le Monde August 3, 1994, the countries ' - among which France - which have an interest in not stirring up the troubled waters of the past as their misconduct against Rwanda has been notorious'. What 'misconduct' is this? De Barrin does not specify. On the other hand, he concludes with advice to 'today's winners if they want to stay in power: advocate for forgiveness rather than punishment […]' Want to reconcile victims and executioners is of great perversity. To forgive the executioners (and at the same time their accomplices) would be to dispense with justice. An economy that is certainly interesting for potential accomplices, but which is not the economy to advise Rwandan leaders if they want, as Barrin suggests, 'to rebuild their country in a different way than the old way.'".
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
QUI se souvient encore de cette terrifiante chasse à l'homme, orchestrée par de diaboliques maîtres d'œuvre, qui, au printemps dernier, causa la mort de plusieurs centaines de milliers de Rwandais ? Les mouroirs de Goma ont fini par faire oublier les charniers de Kigali, et les victimes du choléra celles du génocide. Comme s'il s'agissait de deux histoires qui n'ont pas grand-chose à voir l'une avec l'autre.

Et pourtant, devant ces fosses communes où sont aujourd'hui jetés, à la hâte et sans cérémonie, des dizaines de milliers de réfugiés décimés par la maladie, comment oublier ceux -- de dix à vingt fois plus nombreux -- qui les y ont précédés, tombés par surprise sous les coups de tueurs patentés ? Tous ces morts participent de la même tragédie. Le Rwanda en porte également le deuil.

Mais l'actualité est ainsi faite qu'il n'y a pas d'"arrêt sur image" possible, que justement une image en chasse très vite une autre, et que la mémoire de ceux qui la visionnent est souvent défaillante. Toutes proportions gardées, le drame rwandais s'est ainsi quelque peu banalisé pour devenir -- à l'instar de celui qu'a connu l'Ethiopie au milieu des années 80 -- un drame de la misère, de la famine et de la maladie sur lequel la main de l'homme aurait moins de poids que la fatalité.

Pas de droit à l'erreur



Les miliciens hutus se sont aujourd'hui habilement fondus dans l'innombrable foule des réfugiés dont, à coups d'insidieuses rumeurs, ils continuent d'aviver la peur. Leurs odieuses manigances inquiètent moins que les pas de clerc des toute nouvelles autorités de Kigali, dont certains se plaisent à critiquer la raideur idéologique, l'inexpérience au pouvoir et l'esprit revanchard. Le succès d'une politique de retour au pays des Mille Collines des millions d'exilés qui l'ont quitté paraît ainsi presque exclusivement reposer sur leurs frêles épaules.

Cette manière un peu biaisée de voir les choses arrange bon nombre de pays -- au nombre desquels la France -- qui ont intérêt à ne pas remuer les eaux troubles du passé tant leur inconduite à l'encontre du Rwanda a été notoire. Qu'il y ait eu génocide, plus personne n'aurait l'audace de le contester. Tous responsables et tous coupables ? D'aucuns arguent commodément de l'urgente nécessité de repeupler le pays des Mille Collines pour renvoyer ce débat de fond à des jours moins agités.

Force est cependant de constater, au point où s'est enracinée la peur des réfugiés, que, sauf à vouloir exercer leur pouvoir sur un pays vidé du gros de ses habitants, les très fragiles autorités de Kigali n'ont pas droit à la moindre erreur, voire à la moindre indulgence. Auprès d'une population traumatisée et manipulable à souhait, l'écart de langage d'un quelconque responsable ou la bavure d'un simple soldat peuvent avoir, en effet, un écho négatif incalculable.

C'est dire la complexité de la tâche qui attend les vainqueurs d'aujourd'hui s'ils veulent demeurer au pouvoir : se faire les avocats du pardon plutôt que du châtiment, sans pour autant renoncer à la juste ambition de rebâtir leur pays autrement qu'à l'ancienne.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024