Fiche du document numéro 32388

Num
32388
Date
Mardi 16 mai 2023
Amj
Auteur
Taille
45359
Titre
Procès de Philippe Hategekimana aux assises de Paris, 4ème jour - Compte rendu de l’audience du 15 mai 2023
Nom cité
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Type
Page web
Langue
FR
Citation
La deuxième semaine de procès s’ouvre ce lundi 15 mai à 9h30. Après avoir informé, inquiet, les parties du désistement de deux jurés, le Président demande à faire entrer le premier témoin de la journée. Le général Jean-Philippe Reiland, chef de l’OCLCH (Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de masse) entre dans la salle. Cet organisme a pour mission de coordonner, animer et diriger les investigations judiciaires en matière de lutte contre les crimes de masse, tels qu’ils sont respectivement définis par le Code pénal français. Monsieur Reiland choisit de commencer par une déclaration spontanée dans laquelle il présente le cadre général de la mission de l’OCLCH. Il décline ainsi les différentes division le composant, le fonctionnement de la Cour pénale internationale et les axes de coopération entre son Office et cette juridiction. Enfin, il aborde le cas précis du Rwanda et explique que c’est un des seuls Etats qui autorise les enquêteurs français à procéder eux-mêmes aux auditions des témoins. L’OCLCH se rend environ deux fois par an au Rwanda afin de mener les investigations. Il précise également que, dans les cas des témoins détenus, les autorités rwandaises ne participent jamais aux auditions et les interprètes qui sont sollicités sont, la plupart du temps, conseillés par les juridictions internationales. Enfin, il déclare que tous les enquêteurs sont sensibilisés à l’importance des témoignages et à la nécessité de respecter le principe d’interrogatoire à charge et à décharge. Le Président prend ensuite la parole afin d’interroger l’expert. Il lui demande d’abord à quelles sources les enquêteurs ont accès. Le général répond que la documentation est très nombreuse et qu’en l’occurrence, les enquêteurs se sont beaucoup reposés sur le travail des Gacaca, sur les rapports des institutions internationales et des ONG, et sur les différents ouvrages des experts. Les parties civiles ne souhaitant pas poser de question, la parole est directement donnée au Ministère public qui interroge le gendarme sur le fonctionnement de l’OCLCH et notamment sur le déroulé des auditions. Ce dernier répond qu’il a pu assister par lui-même à certains interrogatoires et que, « les choses dépendent de chaque témoin, certains sont bavards, d’autres beaucoup moins. L’expérience des enquêteurs vise à les mettre en confiance pour qu’ils répondent de la manière la plus juste et la plus spontanée possible. Les enquêteurs s’assurent aussi que leur récit soit spontané et personnel. Leur expérience leur permet de le mettre en évidence lorsque ce n’est pas le cas ». Par la suite, la magistrate lui demande s’il est fréquent que les autorités locales donnent des autorisations d’acter. Monsieur Reiland répond que seuls deux pays répondent favorablement à ces demandes et que le Rwanda est le seul qui autorise l’audition de témoins sans la présence des autorités locales. Enfin, Maître Guedj, avocat présent ce matin pour la défense, interroge l’expert. Il commence par demander au militaire s’il a suivi une formation spécifique sur l’histoire du Rwanda avant de se voir confier les dossiers sur le génocide. Monsieur Reiland précise qu’effectivement, des formations se déroulent en interne afin de les former au contexte. Aussi, il soutient que la formation passe par la participation en tant que spectateur aux différents procès d’assises afin d’observer la façon dont les faits sont abordés. Enfin, les agents consultent et analysent également une grande partie de la littérature disponible sur le sujet. Après quelques questions supplémentaires qui amènent l’expert de l’OCLCH à confirmer l’absence de représentants de l’autorité rwandaise lors des interrogatoires, l’audition de ce premier témoin se termine.

C’est ensuite Emilie Capeille, directrice d’enquête à l’OCLCH, qui est invitée à s’approcher de la barre. Elle commence son audition par une déclaration spontanée. Elle va, durant une longue déposition, revenir sur les différents faits reprochés à Monsieur Hategekimana et sur les différents éléments pertinents de l’enquête. Cette déclaration est très intéressante par sa précision. Elle rappelle les faits reprochés à l’accusé, à savoir, d’avoir tué le bourgmestre Nyagasaza, d’avoir exécuté plusieurs gendarmes tutsi, d’avoir perpétré des massacres sur la colline de Nyabubare, d’avoir participé aux massacres de la colline de Nyamure et d’avoir participé à plusieurs autres massacres, notamment à l’école de l’Espanya, à l’Isaar Songa… Elle procède ensuite à une présentation détaillée de tous les faits et des témoignages à charge ayant permis de mettre en lumière la culpabilité de Monsieur Hategekimana. Elle termine sa déposition en expliquant les conditions de l’interpellation de l’accusé dans le cadre du mandat d’arrêt international. Le Président prend ensuite la parole et commence par demander à l’enquêtrice si elle a pu entendre les enfants de l’intéressé. Cette dernière répond qu’ils ont refusé d’être entendu mais que des mises sur écoute ont été réalisées, permettant de faire ressortir plusieurs éléments. Le Président procède donc à la lecture de ces enregistrements. Monsieur Lavergne poursuit ses questions en demandant à Madame Capeille de revenir sur le déroulement des faits pertinents et sur la présentation des différents sites intéressants en l’espèce. Il lui demande également de confirmer que certains témoins importants, comme le colonel Rutayisire et le le chef d’état-major, Augustin Ndindiliyimana, n’ont pas été entendus lors de l’enquête, ce que le témoin fait. Le cinquième juré prend ensuite la parole et lui demande comment il peut être possible qu’un même gendarme occupe à la fois des fonctions administratives et d’action sur le terrain. Madame Capeille répond que pendant le génocide tout le monde faisait un peu ce qu’il voulait et que de nombreux renforts ont été demandés sur le terrain, renforts dont Monsieur Hategekimana faisait partie. Maître Epoma, avocat de parties civiles, prend ensuite la parole. Il lui demande tout d’abord de confirmer que l’accusé, lorsqu’il part au Cameroun, était déjà au courant de la procédure à son encontre. L’ancienne enquêtrice confirme. Aussi, il revient sur un document que Madame Capeille dit avoir trouvé lors de la perquisition du domicile de l’intéressé et sur lequel il était noté « remettre dans l’ordre et alibis ». Le témoin confirme se rappeler de l’existence de ce document, sans pour autant être certaine de la langue d’écriture. Le Ministère public est invité à prendre la parole. La première avocate générale souhaite tout d’abord revenir sur la planche photographique ayant été utilisée lors de l’enquête. Le document est projeté devant la Cour afin que tout le monde puisse en prendre connaissance. Aussi, elle demande de pouvoir montrer à l’assemblée un document recensant les différentes armes utilisées lors du génocide, et notamment les armes dites « traditionnelles ». Sur ce point, les magistrates demandent à Madame Capeille de présenter qui utilisait chaque arme et comment cela s’organisait. Le témoin explique que généralement, « les attaques sont dirigées par les gendarmes (possédant les armes à feu et les armes lourdes) et assistées des civils hutu (utilisant les armes traditionnelles) ». La seconde avocate générale prend la parole et demande à l’enquêtrice de décliner les différences vestimentaires pouvant exister entre les militaires rwandais et les gendarmes. Le témoin répond que, dans son souvenir, les gendarmes étaient vêtus d’un habit kaki assorti d’un béret rouge et confirme que la différence entre ces deux corps était claire. Elle lui demande aussi si, lors des enquêtes, un doute a pu subsister sur la concordance d’identité entre « Biguma » et Hategekimana. Cette dernière répond que « certains témoins connaissent Biguma uniquement sous le pseudonyme de Biguma mais identifient Hategekimana. Sa femme l’affirme aussi pendant son audition. Je ne sais pas exactement le nombre d’auditions de personnes le connaissant en tant que Hategekimana ou en tant que Biguma, mais en général, les gens savaient que Biguma était Hategekimana ». La magistrate poursuit en demandant à Madame Capeille ce que signifie, à son sens, la notion de « chef direct », ce à quoi elle répond que « cela signifie que les sous-officiers qu’il avait sous ses ordres s’adressaient directement à lui (Hategekimana) et pas au capitaine Birikunzira (le commandant de la gendarmerie) ». La parole est finalement laissée aux conseils de l’accusé. Maître Lhote, le troisième avocat de la défense, prend la parole en premier. Il demande à l’enquêtrice si elle a reçu une formation spécifique au système rwandais avant de se rendre sur place. L’intéressée répond par la négative en précisant que chaque agent se renseignait avant les missions, qu’ils assistaient à des conférences, mais qu’il n’y avait pas de formations officielles à proprement parler. Sans grand étonnement, il lui demande si elle a eu connaissance des massacres perpétrés par le FPR, ce à quoi elle répond par l’affirmative. L’avocat poursuit en lui demandant si les enquêteurs sur place sont accompagnés par des représentants des autorités rwandaises, ou si ces dernières étaient préalablement informées du programme d’action des agents de l’OCLCH. Madame Capeille répond négativement aux deux questions. Maître Guedj prend ensuite la parole et demande à l’enquêtrice si elle pu interroger des témoins qui ne mettaient pas en cause l’accusé. Elle déclare simplement avoir interrogé tous les témoins cités dans les auditions. Il poursuit en lui demandant comment elle peut être certaine de la culpabilité de Monsieur Hategekimana. Cette dernière répond que « le regroupement des témoignages ne laisse pas de place au doute. Mon enquête le montre et je n’ai pas le droit d’interroger Philippe Manier car c’est le rôle du juge d’instruction. Si je l’avais fait il y aurait certainement eu un incident ». Enfin, l’avocat de la défense lui demande quelle valeur elle accord aux témoignages issus de personnes incarcérées. Elle soutient n’avoir jamais reçu de pression de la part de quelque autorité que ce soit et précise avoir « toujours eu des réserves sur les témoignages reçus ».

Le Président laisse la possibilité à l’accusé de réagir à tout ce qui a été dit durant la matinée. Ce à quoi il répond « je suis un peu fatigué. Je ne souhaite pas réagir. De toute façon, tout ce qui a été dit est faux ».

Les audiences reprennent l’après-midi par la poursuite de l’interrogatoire de personnalité de l’accusé. Ce dernier souhaite faire une déclaration spontanée et déclare à la Cour que « tout ce que l’on a entendu aujourd’hui, que j’étais quelqu’un qui avait la haine des Tutsi, je voudrai apporter des éclaircissements et vous montrer qu’il y a beaucoup de mensonges. Mon père, en 1963, a accompagné les Tutsi qui fuyaient. Je lui avais demandé pourquoi il le faisait et il m’a expliqué qu’il les accompagnait parce qu’ils fuyaient Kibungo vers le Bugesera. Plus tard, nous avons continué à avoir des relations avec ces gens, ces Tutsi, ils venaient me voir quand j’étais gendarme. Un des fils de ces Tutsi s’est associé à moi quand j’ai acheté le taxi. (…) Je pense que les gens se trompent quand ils disent que j’avais la haine, ils ne me connaissent pas ». Le Président Lavergne, étonné par ces déclarations qui ne sont jamais apparues dans les auditions antérieures de l’accusé, lui demande de décliner l’identité de ces Tutsi. Il s’étonne également que Monsieur Manier n’ait pas fait de demande au juge d’instruction et à la Cour pour que ces personnes puissent être interrogées, ce à quoi il répond qu’il ne sait simplement pas s’ils sont vivants ou non. La parole est ensuite donnée à Maître Guedj, l’avocat de la défense. Ce dernier demande à son client plusieurs renseignements sur son départ de Kigali, au mois de juillet 1994. L’accusé soutient notamment avoir quitté la capitale le 4 juillet 1994, face à la prise de Kigali par le FPR et le manque de munition des forces gouvernementales. Il lui demande également si, à sa connaissance, des gens se sont fait tuer par le FPR lors de leur avancée. Monsieur Hategekimana répond qu’effectivement, « les gens qui fuyaient nous disaient que le FPR tuait des gens, c’est pour cela que les gens fuyaient, parce que le FPR tuait les Hutu qu’il croisait ». L’interrogatoire se poursuit, abordant maintenant les conditions de vie de l’accusé et de sa famille dans le camp de Kashusha, en République démocratique du Congo. L’intéressé déclare, sur une question de son avocat, que les réfugiés « vivaient dans la peur tout le temps, on se disait que l’on pouvait être attaqués d’un moment à l’autre. Nous avions peur d’être poursuivis par le FPR ». Par la suite, Monsieur Hategekimana décrit l’attaque du FPR sur le camp : « ce qui m’a fait peur, ce sont les tirs de mortier et de mitrailleuses et surtout, ils lançaient des grenades dans les tentes ». Il déclare être sûr que l’attaque venait du FPR car « je n’imaginais pas qui d’autre pouvait tirer sur nous. Pour moi, c’est le FPR. Et les gens qui nous poursuivaient parlaient kinyarwanda, c’est clair et net ». L’interrogatoire se poursuit avec l’arrivée de la famille de l’accusé au Cameroun et les départs successifs des différents membres, d’abord la mère et le fils cadet, puis les deux autres enfants, et enfin Monsieur Manier. Enfin, Maître Guedj interroge son client sur sa demande d’asile à l’OFPRA et notamment pourquoi il a déposé une demande d’asile et non pas une demande de régularisation classique. Ce dernier répond qu’il avait des craintes de retourner au Rwanda car « je suis Hutu, ancien militaire, j’avais peur des représailles. Si par hasard la France me refusait les papiers, je n’allais pas retourner au Rwanda, j’allais rester ici sans papiers ». Sur l’utilisation d’une fausse identité, il soutient que le but n’était pas de se cacher car « sinon, j’allais changer les noms de ma femme, de mes enfants, de ma commune, de ma préfecture, ce qui n’a pas été fait ». Enfin, le conseil de la défense demande à Monsieur Hategekimana si, en tant qu’Hutu modéré favorable aux accords d’Arusha, il a cherché à sauver des Tutsi. Ce dernier évoque ainsi plusieurs cas de figure dans lesquels il est allé chercher des Tutsi afin de les aider à se déplacer d’un point à un autre pour fuir. Il soutient avoir sauvé plusieurs familles. Face à toutes ces nouvelles informations, jamais évoquées par l’accusé auparavant, le Président reprend la parole. Il demande ainsi à l’intéressé s’il a eu connaissance du fait qu’en 1963, beaucoup de Tutsi étaient victimes d’attaques et que, par conséquent, ils ont été contraints d’aller au Bugesera. L’accusé confirme qu’il a entendu qu’on les envoyait là-bas car il y avait « la forêt et les mouches tsé-tsé ».

Le Président Lavergne l’interroge sur la raison pour laquelle il n’a pas évoqué ces éléments précédemment. Monsieur Manier lui répond : « vous savez, quand on est interrogé dans un dossier comme ça, ce n’est pas tout de suite que l’on peut vraiment penser à tout ça. On vous pose une question et vous répondez sans réfléchir. Là, j’ai eu l’occasion de réfléchir sur tout ce qui m’est arrivé avant de fuir. Maintenant, en prison, j’ai le temps de réfléchir ». Par la suite, le Président évoque le retour de l’accusé à Kigali, au début du mois de juillet 1994. Il lui demande de confirmer que ce voyage a été réalisé afin de récupérer la solde des militaires présents avec le colonel Rutayisire à Gikongoro. De même, il interroge l’intéressé sur la raison pour laquelle il n’a pas abordé cet élément plus tôt dans la procédure. Ce à quoi ce dernier répond : « je ne sais pas, c’est comme cela que ça s’est passé ». En réalité, l’accusé est très peu clair dans ses déclarations, les éléments ne se recoupent pas d’une question à l’autre, plusieurs versions se chevauchent. Le conseil de Monsieur Hategekimana, Maître Guedj, intervient pour rappeler au Président que l’accusé avait déjà invoqué, devant le juge d’instruction, qu’il avait essayé de sauver des Tutsi. Monsieur Lavergne rétorque que, malgré cela, tous les détails ressortent seulement à l’audience. Le Président ayant repris la parole, les parties sont invitées, comme le prévoit la procédure, à interroger l’accusé. Maître Karongozi prend la parole en premier et questionne l’intéressé sur plusieurs éléments. Tout d’abord, il demande à Monsieur Manier s’il confirme bien que, la veille de la prise de Kigali par le FPR, le 3 juillet, tous les comptables et gendarmes sont encore présents dans la capitale et qu’il est en capacité de récupérer la solde de plusieurs militaires. Ce dernier confirme effectivement que c’est le cas. Après plusieurs questions de la part d’autres conseils de parties civiles, le Ministère public est invité à interroger Monsieur Hategekimana. La première avocate générale pointe, avec plusieurs questions, les différences dans les déclarations de l’accusé, soutenant que d’une question à l’autre, il propose des versions contraires à la Cour. Elle lui demande également comment il est possible, lui qui déclare être identifié comme Hutu modéré, et donc comme personne menacée, qu’il ait pu répondre à l’appel de ralliement formulé par un général des forces gouvernementales, rassemblant des militaires soupçonnés de génocide. Malgré plusieurs reformulations de la question, Monsieur Manier ne répondra jamais clairement. Maître Guedj prend la parole pour poser trois questions. Il demande notamment à l’accusé s’il a été difficile pour lui de quitter son pays de naissance. Monsieur Hategekimana répond par l’affirmative.

Enfin, la Cour procède à la projection de la déposition de Monsieur Jacques Semelin effectuée l’année dernière lors des audiences du procès de Monsieur Bucyibaruta.

Par Emma Ruquet

Commission juridique d’Ibuka France

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