Fiche du document numéro 32137

Num
32137
Date
Jeudi 2 juillet 1998
Amj
Auteur
Taille
0
Titre
Audition de M. Bernard Lodiot, ambassadeur en Tanzanie (22 mars 1990-10 décembre 1992)
Nom cité
Source
MIP
Fonds d'archives
MIP
Extrait de
MIP, Auditions
Type
Audition
Langue
FR
Citation
Audition de M. Bernard LODIOT
Ambassadeur en Tanzanie (22 mars 1990-10 décembre 1992)
(séance du 2 juillet 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Bernard Lodiot, qui a été
ambassadeur de France en Tanzanie de mars 1990 à décembre 1992.
Il a rappelé qu’en 1990 et 1991, la Tanzanie a offert sa médiation à
l’Ouganda et au Rwanda pour que soit trouvé un accord concernant le conflit
entre le Président Habyarimana et le FPR ainsi que le grave problème des
réfugiés. La Tanzanie a également proposé sa médiation en 1992 dans la
négociation d’Arusha pour pacifier définitivement le Rwanda. Elle a donc
joué un rôle diplomatique extrêmement actif.
M. Bernard Lodiot a précisé que pendant toute la durée de son
séjour à Dar Es-Salam, le problème du Rwanda et de la stabilité régionale a
toujours été au coeur des entretiens qu’il avait eu, tant avec le Président
Mwinyi qu’avec le ministère des Affaires étrangères et ses divers
interlocuteurs habituels. Tout ce qui pouvait risquer de porter atteinte à la
stabilité régionale était une source de préoccupations pour la Tanzanie.
Le problème des réfugiés constituait une préoccupation majeure
pour Dar Es-Salam.. M. Bernard Lodiot a cité un entretien entre M. Jacques
Pelletier, qui était alors Ministre de la Coopération, et le Président Mwinyi,
au cours duquel ce dernier disait à son interlocuteur : « On n’a jamais
entendu parler d’un seul réfugié tanzanien à l’extérieur. En revanche, nous
accueillons sur notre sol des centaines de milliers de réfugiés rwandais,
burundais ou zaïrois. C’est à ce titre que nous appelons la communauté
internationale à prendre en compte ce problème des réfugiés et à nous aider
à le régler. »
Le Rwanda était à l’évidence une des préoccupations majeures de la
politique étrangère de la Tanzanie.
Au départ, la Tanzanie témoignait une sympathie non dissimulée
pour le Président Museveni, une attente un peu impatiente vis-à-vis du
Général Habyarimana à qui il était reproché de ne pas faire assez pour ouvrir
le dialogue politique à l’opposition, et enfin beaucoup d’agacement à l’égard
du Maréchal Mobutu que l’on accusait de se mêler de choses qui le
regardaient peu et pour des fins de pure politique intérieure.
M. Bernard Lodiot a déclaré avoir entendu le Président et ses
interlocuteurs dire que la présence militaire française au Rwanda était
légitime car fondée sur des accords : ils espéraient que la France exercerait
sur Habyarimana les pressions nécessaires pour que le processus
démocratique s’accélère. Il n’a jamais perçu chez ses interlocuteurs
tanzaniens la moindre acrimonie ou la moindre réticence vi-sà-vis de la
politique du Gouvernement français.
Le Président Paul Quilès a évoqué une réunion tripartite d’octobre
1990 entre M. Mwinyi, M. Museveni et le Président Habyarimana soulignant
que cette réunion avait dégagé des principes qui auraient pu permettre un
règlement du conflit, il a demandé à M .Lodiot comment il expliquait l’échec
de ces premières initiatives.
M. Bernard Lodiot a mis en avant la méfiance entre les Présidents
Habyarimana et Museveni.
Il a fait remarquer que les principes qui avaient été acquis à la
conférence de Mwanza, à savoir l’engagement du Président Habyarimana de
renforcer l’ouverture politique de son gouvernement sous les auspices de
l’OUA, et l’engagement de la Tanzanie et de l’Ouganda de faire pression sur
le FPR pour qu’il accepte à la fois le cessez-le-feu et son contrôle par des
troupes neutres, constituaient des préalables dont les conditions ne
paraissaient pas réunies à l’époque. Personne ne croyait beaucoup au
cessez-le-feu.
La mise sur pied d’un groupe d’observateurs militaires était rendue
d’autant plus difficile qu’on ne savait pas à quel pays faire appel pour le
constituer. Tout cela explique qu’à l’issue de la rencontre de Mwanza le
pessimisme était tout à fait réel.
Le Président Paul Quilès a demandé pourquoi il n’avait pas été
possible de mettre en place ce groupe d’observateurs militaires. Il a fait
remarquer qu’il semblait un peu étrange, avec le recul du temps, qu’on puisse
prendre des décisions, sans se préoccuper de leur mise en oeuvre.
M. Bernard Lodiot a rappelé que les quatre-vingts observateurs
militaires dont on parlait à l’époque, sont apparus, d’entrée de jeu, tout à fait
insuffisants pour contrôler l’intégralité du cessez-le-feu.
Il était indispensable, par ailleurs, de trouver des observateurs
neutres. La Tanzanie, si elle contribuait à la constitution de ce groupe
d’observateurs militaires, n’offrait pas la garantie que ses troupes seraient
neutres et suffisamment objectives.
Le faible nombre d’observateurs militaires sur lequel on s’était
entendu à l’origine et la difficulté de trouver des observateurs militaires
venant d’autres pays non voisins du Rwanda n’ont donc fait qu’alimenter le
pessimisme de l’époque.
Le Président Paul Quilès a évoqué une conférence sur les réfugiés
tenue à Dar Es-Salam au mois de février 1991 et souligné que cette
conférence a formulé des propositions qui n’ont pas été appliquées sur le
terrain.
Il a demandé à M. Lodiot s’il jugeait que les uns et les autres
s’étaient suffisamment engagés dans la traduction en actes concrets de ces
intentions.
M. Bernard Lodiot a souligné qu’aucun des pays n’avait les
moyens financiers de contribuer à résoudre le problème des réfugiés dans la
région. C’est la raison pour laquelle la Tanzanie a constamment fait appel à
l’Europe et, en particulier, à la France, pour aider à résoudre ce problème.
Mais les moyens financiers n’ont jamais suivi.
M. Pierre Brana a demandé si des pressions étaient exercées par le
Gouvernement de la Tanzanie et son Président, auprès de M. Habyarimana,
pour que ce dernier accepte le retour des réfugiés présents en Ouganda
depuis 1959.
M. Bernard Lodiot a répondu que M. Mwinyi a souvent dit à
M. Habyarimana qu’il fallait qu’il accepte le retour des réfugiés où qu’ils
soient, aussi bien en Ouganda qu’en Tanzanie. Le Président Mwinyi était très
souvent agacé par le FPR. Il a déclaré avoir entendu le Ministre des Affaires
étrangères s’exclamer : « Ils exagèrent, ils posent des conditions absolument
inacceptables par Habyarimana. »
Le gouvernement tanzanien était finalement plus proche de
l’opposition démocratique rwandaise que du FPR car ce dernier, du fait de
ses exigences estimées outrancières à Dar Es-Salam, avait perdu beaucoup
de crédibilité.
M. Yves Dauge a demandé si le FPR avait une existence et une
action en Tanzanie, ou si les réfugiés y attendaient simplement un éventuel
retour sans participer au conflit.
M. Bernard Lodiot a répondu que le FPR n’avait pas de base à
Dar Es-Salam, mais qu’il existait des camps de réfugiés.
M. Pierre Brana a demandé si le gouvernement tanzanien était
conscient que le problème des réfugiés rwandais d’Ouganda, avec un FPR
qui bénéficiait du soutien logistique du Président Museveni, pouvait
constituer un facteur de déséquilibre profond pour toute la région dans les
années à venir.
M. Bernard Lodiot a répondu que le gouvernement tanzanien
n’avait sûrement pas considéré à l’époque que la présence des réfugiés
rwandais en Ouganda et l’attaque de 1990 pouvaient constituer le facteur
déclenchant d’une crise grave au Rwanda. En fait, la Tanzanie était plus
préoccupée par les réfugiés rwandais sur son propre sol que par les réfugiés
rwandais dans les autres pays.
M. Pierre Brana a pris acte que les deux grandes préoccupations
de la Tanzanie étaient, d’une part, les réfugiés et, d’autre part, la stabilité de
la région. Il a demandé si le gouvernement tanzanien faisait le lien entre ces
deux problèmes.
M. Bernard Lodiot a estimé que le gouvernement tanzanien n’avait
pas pris toute la mesure du risque.
Le Président Paul Quilès a demandé si gouvernement tanzanien
était proche du gouvernement ougandais, s’il avait de bonnes relations avec
lui.
M. Bernard Lodiot a confirmé qu’il y avait toujours eu de bonnes
relations entre les gouvernements tanzanien et ougandais.
Le Président Paul Quilès a demandé si ces bonnes relations avaient
amené la Tanzanie à garder une attitude de stricte neutralité quand les choses
se sont envenimées sur le plan militaire.
M. Bernard Lodiot a répété que le Président Mwinyi avait toujours
entretenu de bonnes relations avec le Président Museveni mais que le FPR
avait fini par singulièrement l’agacer. Il a cité l’exemple de la conférence
d’Arusha de juillet 1992 où les exigences de la délégation du FPR avaient
provoqué une sérieuse crise entre le facilitateur tanzanien et cette délégation.
Le Président Paul Quilès a rappelé que le progrès des négociations
avait été dû en grande partie à l’attitude du Ministre des Affaires étrangères
du premier gouvernement pluripartite du Rwanda, M. Ngulinzira. Il a
demandé quelles étaient les relations entre le Président Habyarimana et son
Ministre et quelle avait été l’attitude de la France au regard des divergences
qui opposaient les deux hommes.
M. Bernard Lodiot s’est déclaré avoir été très frappé par
l’expérience, la cohésion et l’intelligence de la délégation du FPR, en
comparaison d’une délégation gouvernementale rwandaise dépourvue
d’instruction. M. Ngulinzira était issu de l’opposition démocratique. Ses
relations avec le Président Habyarimana n’étaient pas bonnes, pas plus
qu’avec les autres membres de la délégation. Cette situation avait produit
une impression extrêmement pénible sur la présidence tanzanienne et les
observateurs.
Le Président Paul Quilès a demandé s’il était vrai que
M. Ngulinzira avait fait progresser les négociations et comment ses efforts
étaient ressentis par les gens proches du Président Habyarimana.
M. Bernard Lodiot a rappelé que le facilitateur tanzanien avait, au
préalable, demandé à la délégation gouvernementale rwandaise de s’entendre
avec le Président Habyarimana. La délégation rwandaise était donc retournée
à Kigali et avait obtenu du Président rwandais des instructions beaucoup
plus précises qu’en juillet 1992.
M. Yves Dauge a demandé s’il y avait en Tanzanie une population
tutsie présente depuis des générations, comme cela était le cas dans d’autres
pays avoisinants.
M. Bernard Lodiot à répondu qu’à l’origine, il n’y avait pas de
population tutsie en Tanzanie.
M. Yves Dauge a demandé si les Tutsis ont participé à des
gouvernements tanzaniens.
M. Bernard Lodiot a répondu par la négative. La politique
tanzanienne vis-à-vis des réfugiés a toujours consisté à permettre leur
installation en leur donnant des terres et la possibilité de s’intégrer,
notamment en leur octroyant la nationalité tanzanienne, ce qui n’allait pas
sans tensions parfois avec les populations locales qui se sentaient
particulièrement frustrées. Mais il n’y a jamais eu d’incident majeur entre les
réfugiés et les populations locales.
Le Président Paul Quilès a demandé pourquoi la Tanzanie avait
été choisie, de préférence au Zaïre, pour être le pays facilitateur de la
négociation.
M. Bernard Lodiot a rappelé que le Président Mobutu n’avait pas
toute la sympathie qu’on aurait pu attendre de la part des pays de la région.
En revanche, compte tenu de sa politique vis-à-vis des réfugiés et de son
souci affiché de stabilité régionale, compte tenu également du passé et de la
personnalité du Président Nyerere, la Tanzanie avait toujours été un des pays
les plus respectés dans la région.
Le Président Paul Quilès a demandé si les Etats-Unis et la
Belgique avaient un avis sur ce choix et quels étaient les rapports de ces pays
avec la Tanzanie au cours de ces négociations.
M. Bernard Lodiot a précisé qu’après avoir connu des vicissitudes
très graves, les relations entre les Etats-Unis et la Tanzanie étaient
redevenues bonnes. Il a indiqué qu’il assistait à la conférence d’Arusha en
tant qu’observateur de même que l’ambassadeur des Etats-Unis,
l’ambassadeur du Burundi et le directeur d’Afrique au ministère belge des
Affaires étrangères. Les Belges, les Français et les Américains étaient les
observateurs occidentaux privilégiés. Il a ajouté que l’on attendait moins des
Américains que des Français pour faire pression sur le gouvernement
rwandais.
M. Pierre Brana a demandé s’il avait eu l’impression que les
Etats-Unis s’intéressaient beaucoup plus que par le passé à l’Afrique
orientale.
M. Bernard Lodiot a répondu par la négative.
M. Pierre Brana a demandé si les Etats-Unis attachaient une
attention particulière au Rwanda.
M. Bernard Lodiot a répondu à nouveau par la négative et a
déclaré que l’ambassadeur américain présent comme observateur obéissait à
ses instructions mais semblait avoir une connaissance assez limitée du
dossier.
Le Président Paul Quilès a demandé comment la Tanzanie avait
réagi lorsqu’il a été question d’installer à la frontière entre l’Ouganda et le
Rwanda et au Rwanda même des contingents sous l’autorité de l’ONU et
que les Français se sont engagés à retirer leurs troupes du Rwanda.
M. Bernard Lodiot a répondu que les Tanzaniens n’ont jamais
insisté sur ce point. Le problème s’est posé lorsque le groupe d’observateurs
militaires a été mis en place. L’article 2, paragraphe 6 de l’accord de N’Sele
prévoyait qu’il fallait que les troupes étrangères quittent le Rwanda. Or, les
Tanzaniens n’ont jamais exercé de pression pour que cette stipulation
s’applique à la France.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024