Fiche du document numéro 32133

Num
32133
Date
Mercredi 29 avril 1998
Amj
Auteur
Taille
0
Titre
Audition du général Maurice Schmitt, chef d’état-major des armées (1987-1991)
Nom cité
Source
MIP
Fonds d'archives
MIP
Extrait de
MIP, Auditions
Type
Audition
Langue
FR
Citation
Audition du Général Maurice SCHMITT
Chef d’état-major des armées (1987-1991)
(séance du 29 avril 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli le Général Maurice Schmitt en
rappelant qu’il avait exercé les fonctions de Chef d’état-major des armées
jusqu’au 23 avril 1991, et qu’il avait, à ce titre, contribué à la mise en place
de l’opération Noroît.
Le Général Maurice Schmitt a précisé d’emblée que l’opération
Noroît s’était déroulée sans poser de problèmes majeurs.
Il a expliqué que la situation avait commencé à se dégrader au
Rwanda à la fin septembre 1990. A cette époque, le Gouvernement et les
armées de la France avaient à faire face à trois théâtres d’opérations : le
Moyen-Orient, le Tchad et le Rwanda.
Le Général Maurice Schmitt a insisté sur l’opération menée au
Tchad. La rébellion d’Idriss Deby se développait dans le Darfour et il
convenait d’être vigilant à la fois sur Abéché et N’Djamena. Il a fait
remarquer que la “ relève ” entre les deux Présidents tchadiens s’était passée
sans aucune exaction à l’encontre des populations civiles à N’Djamena.
L’armée française y a sans doute contribué en gardant les dépôts d’armes et
munitions de l’armée tchadienne.
En ce qui concerne le Rwanda, le Général Maurice Schmitt a fait
état d’informations transmises par le Colonel René Galinié selon lesquelles
des affrontements entre Tutsis et Hutus à Kigali, qui faisaient suite à une
attaque du FPR, pouvaient mettre en danger la vie des ressortissants
étrangers et en particulier des ressortissants français.
Il a rapporté plus précisément que lui-même avait accompagné le
3 octobre 1990 le Président François Mitterrand, MM. Jean-Pierre
Chevènement, Roland Dumas et Hubert Védrine, ainsi que l’Amiral Jacques
Lanxade dans un voyage au Moyen-Orient. Le 4 octobre, après une nuit à
Abu Dhabi, l’ensemble de la délégation est arrivé à Djeddah où elle était
reçue à déjeuner par le Roi Fahd. C’est peu avant ce déjeuner que deux
messages sont arrivés, en provenance respectivement de l’Elysée et de
l’état-major des armées. Ces messages précisaient que des risques graves
d’exactions existaient à Kigali et que le Président Habyarimana demandait
l’intervention de l’armée française. Un Conseil de défense restreint, très bref,
s’est tenu sur l’heure à Riyad, sous la présidence du Président de la
République, à la suite duquel l’ordre a été donné d’envoyer au plus vite deux
compagnies à Kigali, avec la mission de protéger les Européens, les
installations françaises et de contrôler l’aérodrome afin d’assurer l’évacuation
des Français et étrangers qui le demandaient. Ces troupes ne devaient en
aucun cas se mêler des questions de maintien de l’ordre qui étaient du ressort
du Gouvernement rwandais. Le Général Maurice Schmitt a précisé que ces
deux compagnies, parties de Bouar, étaient arrivées le soir même à Kigali et
qu’elles avaient été le lendemain renforcées par des Belges et des Zaïrois.
De retour à Paris, il a estimé que la situation au Darfour nécessitait
le maintien des effectifs qui se trouvaient au Tchad et en Centrafrique et a
donc décidé de relever le 3ème RPIMA et le 2ème REP, présents au Rwanda
depuis une semaine, pour les remplacer par un état-major tactique complet,
placé sous les ordres du Colonel Jean-Claude Thomann. Il a précisé que la
situation au Tchad et au Rwanda, en septembre 1990, avait conduit
l’état-major des armées à maintenir en réserve, partie en France, partie en
Centrafrique, trois régiments parachutistes professionnels pour pouvoir
intervenir rapidement et éviter que nos forces ne se trouvent en situation
d’infériorité au Tchad et nos ressortissants menacés au Tchad et au Rwanda.
A la fin du mois d’octobre 1990, il ne restait plus, avec les forces
françaises, qu’un contingent zaïrois, les Belges ayant décidé de quitter le
pays. A ce moment, le calme était revenu, le FPR avait repassé la frontière
ougandaise et les FAR, malgré leur faiblesse d’organisation, avaient pu
reconquérir Ruhengeri et les localités du nord du pays. Il a indiqué qu’à la
demande du ministère de la Coopération, il avait mis en place, après accord
du Ministre de la Défense, auprès des FAR, début 1991, un détachement
d’assistance militaire et d’instruction (DAMI) de trente personnes. La
présence militaire française au Rwanda était donc constituée par une
compagnie d’infanterie au titre de l’opération Noroît et un DAMI. Le
commandement de l’ensemble de nos deux unités a été alors confié au
Colonel Galinié proche de l’ambassadeur (attaché de défense). En mars, cette
période coïncidant avec la fin des opérations en Irak, le Général Maurice
Schmitt a considéré qu’il fallait recadrer et revoir notre dispositif au Rwanda,
s’agissant notamment des missions du DAMI, dans la perspective d’une
reconstitution de l’armée rwandaise qui nécessitait notamment la présence
d’instructeurs pour l’utilisation d’armes lourdes comme les mortiers.
Il a déclaré en conclusion de son intervention que les forces
françaises n’avaient pas à rougir de ce qu’elles avaient fait et a estimé que
notre simple présence avait empêché bien des exactions dans Kigali. Il a
d’ailleurs souligné que le faible nombre d’évacuations de nos ressortissants
témoignait de l’efficacité de cette présence. Toutefois, comme la situation
restait préoccupante dans la région de Ruhengeri, le DAMI avait reçu pour
mission l’évacuation sur Kigali des ressortissants qui s’y trouvaient, en cas de
nouveaux incidents de frontière avec l’Ouganda.
Le Président Paul Quilès a demandé des précisions sur la nature et
l’étendue des missions assignées au DAMI. S’agissait-il de missions
d’encadrement, d’aide, de formation ?
Le Général Maurice Schmitt a répondu, qu’en l’espèce, ce DAMI
était constitué, pour l’essentiel, de cadres et de spécialistes qui avaient
principalement des missions de conseil et d’instruction des cadres de l’armée
rwandaise. Basés à Ruhengeri, ils étaient aussi les premiers à pouvoir
intervenir, en cas de menace du FPR, pour procéder à l’évacuation des
ressortissants occidentaux vers Kigali. Il a indiqué que les missions de chaque
DAMI sont variables et fonction de la situation et des besoins de chaque
pays. En l’occurrence, l’armée rwandaise avait besoin de formateurs et
d’instructeurs pour l’utilisation d’armes lourdes.
Le Président Paul Quilès a ensuite demandé au Général Maurice
Schmitt s’il partageait l’analyse qui avait conduit l’Ambassadeur Georges
Martres à formuler l’observation suivante dans son rapport de fin de
mission : “ depuis l’affaire de Byumba au cours de laquelle l’assistance
technique militaire française a apporté un secours évident aux forces
armées rwandaises, le FPR a développé une campagne contre notre
présence militaire, assortie de menaces à l’égard de nos ressortissants et il
y a tout lieu de croire que, de leur côté, les partis proches du Président
amplifient les menaces pour provoquer de notre part des réactions
sécuritaires dont l’armée rwandaise pourrait tirer profit en cas de reprise
des combats ”.
Le Général Maurice Schmitt a estimé que ce point de vue lui
semblait conforme à ce qui se passait, malgré les difficultés d’appréciation
dues à la relative ancienneté de ces événements. Même si l’on ne pouvait pas
affirmer avec certitude que les attaques du FPR menaçaient réellement les
ressortissants occidentaux, elles justifiaient néanmoins la présence dissuasive
de nos forces armées, notamment pour éviter les pillages et les
comportements agressifs.
M. René Galy-Dejean, évoquant l’attentat du 6 avril 1994 contre
l’avion présidentiel, s’est demandé si des dépôts d’armement occultes
pouvaient avoir existé au Rwanda ou en Ouganda. Revenant sur les missions
du DAMI, il a noté que celles-ci comportaient l’instruction à l’utilisation des
armes lourdes et a demandé si cette fonction d’instruction pouvait aller
jusqu’au maniement d’armes antiaériennes.
Le Général Maurice Schmitt, après avoir précisé que la mission
d’instruction à l’utilisation des armes lourdes excluait leur utilisation directe
par les militaires français, a indiqué que cette mission ne s’était pas a priori
appliquée aux armes antiaériennes car une menace aérienne du FPR venant
d’Ouganda n’était pas envisagée. Il a souligné néanmoins qu’il n’était pas
très difficile d’apprendre à se servir d’un Stinger ou d’un missile SAM et que
certains étaient de surcroît très faciles à transporter sans attirer l’attention, à
la différence d’un SCUD par exemple.
M. Pierre Brana a souhaité savoir si les missions confiées aux
troupes françaises de l’opération Noroît avaient évolué au cours du temps et
si, comme cela a été précisé devant la mission, des militaires français avaient
participé ou assisté à des interrogatoires de prisonniers du FPR.
Le Général Maurice Schmitt a rappelé que le premier message
signé de l’Amiral Coatanéa contenait des instructions concernant la
protection des ressortissants français et étrangers ainsi que des installations
françaises. Il ne comportait pas de missions d’instruction de l’armée
rwandaise. Cette dernière mission est apparue début 1991. Dans un message
dont le texte pourrait être communiqué à la mission d’information, le Chef
d’état-major des armées a formulé très précisément les missions du
détachement d’assistance militaire et d’instruction (DAMI). Il a précisé qu’il
tenait à ce que les chefs des DAMI aient des instructions précises de façon à
éviter tout débordement. Les ordres donnés aux militaires de l’opération
Noroît ne leur auraient pas permis d’assister à des interrogatoires, d’ailleurs
cette manière d’agir n’entre pas dans les habitudes des forces françaises.
Pour sa part, il n’a jamais était informé de tels agissements, ni par le Colonel
René Galinié, ni par le Colonel Jean-Claude Thomann. Toutefois, il n’a pas
exclu qu’à titre individuel un soldat français ait pu assister à des
interrogatoires, mais en aucun cas une telle initiative ne pouvait relever
d’ordres de l’autorité militaire. Qui plus est, ce type d’interrogatoire n’aurait
vraisemblablement apporté aucune information intéressante sur le plan du
renseignement car nous étions suffisamment au courant de la situation locale
par le biais de nos attachés de défense, fort bien renseignés.
Citant un rapport d’Amnesty International mettant en cause les
instructeurs du DAMI français, M. Charles Cova a demandé si l’assistance
militaire s’était limitée à l’instruction d’officiers et de soldats de l’armée
régulière rwandaise ou si elle avait pu concerner les forces paramilitaires des
“ escadrons de la mort ” qui ont participé par la suite au génocide.
Le Général Maurice Schmitt a souligné que, pendant la période
couverte par l’opération Noroît, il n’existait pas encore de milice et qu’en
tout état de cause il ne voyait pas en quoi les personnels des DAMI,
spécialistes des transmissions ou du maniement d’armes lourdes, pouvaient
être d’une quelconque utilité dans l’apprentissage de l’utilisation de la
machette. Or, c’est avec ce type d’armes blanches que les massacres ont été
perpétrés.
Il n’est certes pas impossible que des militaires des FAR,
démobilisés à partir de 1992, aient pu encadrer les milices. L’ancien Chef
d’état-major des armées a alors estimé que l’origine du génocide pouvait être
trouvée dans l’effroyable panique qui a saisi les Hutus à la suite de l’offensive
du FPR dans le nord du pays. Il a rappelé que la France avait été, après
autorisation du Conseil de Sécurité, la seule à intervenir, dans le cadre de
l’opération Turquoise, pour tenter de rétablir le calme dans le pays alors que
les troupes de l’ONU, sur place au moment du déclenchement des massacres,
étaient restées sans réaction.
M. Jean-Bernard Raimond a souhaité obtenir des précisions sur la
présence concomitante des militaires du détachement d’assistance militaire et
d’instruction et des militaires de l’opération Noroît, et sur d’éventuelles
livraisons d’armes par la France aux forces armées rwandaises.
Le Général Maurice Schmitt a indiqué qu’au début de l’année
1991, le dispositif Noroît avait été allégé, une des deux compagnies ayant été
renvoyée en Centrafrique, et que le DAMI avait été placé sous les ordres du
colonel commandant l’opération Noroît.
Le Président Paul Quilès a rappelé que le dispositif Noroît est
resté opérationnel jusqu’à fin 1993, date à laquelle il a été remplacé par la
MINUAR.
Le Général Maurice Schmitt a indiqué que la France avait livré
aux forces armées régulières du Rwanda des armes destinées à des combats
classiques dans cette région, de type mortier, dans le cadre de l’accord de
coopération et dans le respect des autorisations délivrées par la CIEEMG. Il
a précisé que l’avion présidentiel, qui a été abattu par un missile, aurait pu
également l’être, le cas échéant, par une mitrailleuse de 12/7 ou un
quadritube de 13 mm d’origine soviétique. Il est en effet assez facile
d’abattre à l’atterrissage un avion de transport civil de ce type sans recourir
nécessairement à l’utilisation d’un missile antiaérien.
Le Président Paul Quilès a évoqué un document manuscrit, tiré
d’un manuel d’instruction tenu par un militaire rwandais et récupéré par le
FPR, qui permet de cerner le contenu de l’instruction délivrée par les
instructeurs du DAMI. Ce document fait notamment état d’explications
concernant le tir au mortier, le tir en position couchée, etc., c’est-à-dire de
notions correspondant à une instruction militaire de base. Il a insisté sur la
nécessité pour la mission de procéder clairement à l’inventaire des missions
d’assistance et des missions d’intervention.
Citant un document transmis par le ministère de la Défense qui
précise : “ le schéma de l’opération Noroît (forces engagées, volume des
forces) ne présente qu’une illustration des effectifs AMT-DAMI, limitée à la
période pendant laquelle ces éléments sont passés sous commandement
Noroît et ne relevaient plus de la direction du ministère de la Coopération
au titre de la coopération militaire ”, M. Bernard Cazeneuve, rapporteur,
s’est interrogé sur la configuration de l’opération Noroît en termes de
missions et de structures. Il a rappelé que les effectifs du DAMI avaient été
évolutifs entre mars 1991 et décembre 1993 et que le “ DAMI de base ”
d’environ vingt personnes avait été renforcé passant à trente personnes de
mars 1991 à juin 1992, puis à soixante personnes et même à quatre-vingts de
juillet 1992 à septembre 1993 avant de redescendre à un effectif de trente en
septembre-décembre 1993 pour n’être plus constitué que par une seule
personne de janvier à avril 1994. Très logiquement, si le DAMI fait partie de
l’opération Noroît, celle-ci devrait alors avoir pris fin seulement en avril 1994
et non pas en décembre 1993. Il s’est également interrogé sur la nature de
l’opération Noroît, initialement conçue comme une opération d’évacuation et
de protection de nos ressortissants, qui s’est ensuite enrichie de la dimension
de coopération militaire puisque le DAMI, composante de l’opération
Noroît, et qui relève de la Mission d’Assistance militaire, a procédé à des
missions d’instruction auprès des FAR. Il a souhaité savoir si ces opérations
d’instruction découlaient des accords d’assistance passés avec le Rwanda en
1975 et se trouvaient justifiés par l’avenant, signé en 1992, faisant référence
non plus à la gendarmerie nationale rwandaise mais aux forces armées
rwandaises.
Le Général Maurice Schmitt a souligné qu’en octobre 1990
l’opération Noroît consistait uniquement à protéger et à évacuer des
ressortissants et que la présence des forces françaises avait permis, avec les
renforts belges, de stabiliser la situation au Rwanda. Après quelques mois, la
Mission de Coopération a effectué une demande pour participer à
l’instruction des FAR. Comme il ne pouvait y avoir au Rwanda deux
détachements français sous deux commandements différents, le DAMI, mis
en place à la demande du ministère de la Coopération, a été placé sous les
ordres du Lieutenant-Colonel René Galinié qui était également l’attaché de
défense.
Le Général Maurice Schmitt a alors souligné qu’il avait fixé luimême,
en mars 1991, les missions d’instruction du DAMI et limité ses
effectifs à trente personnels.
M. Michel Voisin s’est interrogé sur le rôle des forces belges,
françaises et zaïroises dans l’arrêt de l’offensive du FPR, sur le maintien des
troupes françaises au Rwanda après le départ des soldats belges et sur la
présence de forces d’autres nationalités lors de l’entrée du FPR au Rwanda.
Le Général Maurice Schmitt a estimé que cette présentation des
événements n’était pas conforme à la réalité. Les FAR n’étaient guère à leur
aise dans le nord et le franchissement de la frontière par le FPR avait entraîné
des exactions et des pillages à Kigali. C’est cette situation qui a motivé
l’intervention française. Les instructions du Président de la République
étaient claires, il s’agissait de protéger les populations et d’évacuer ceux qui
souhaitaient partir. La stabilisation de la situation militaire, avec le retour en
Ouganda du FPR, n’a été qu’une conséquence indirecte de la présence
française. La mission initiale n’a pas évolué et n’a jamais consisté à
combattre aux côtés des FAR contre le FPR, même si ce dernier avait
marché sur Kigali, exception faite du contrôle de l’aéroport. Compte tenu
des liens entre le FPR et les forces ougandaises, il est très vraisemblable que
ces dernières ont participé à l’offensive de 1990. Aucune information ni
aucune allusion n’ont permis de déterminer la présence de forces d’autres
nationalités et il est peu probable qu’il y ait eu des Libyens, le Colonel
Khadafi ayant bien d’autres préoccupations. Il faudrait, pour répondre avec
certitude à ces questions, examiner les télégrammes diplomatiques ou les
messages que pourrait communiquer le service historique des armées.
Evoquant le Conseil de défense restreint qui s’était tenu à Djeddah
pour décider l’intervention Noroît, M. François Lamy s’est demandé si les
événements de Kigali n’avaient pas été amplifiés par les FAR ou par le
Gouvernement rwandais pour accélérer cette décision d’intervention et si la
présence de soldats occidentaux, qui n’avaient pas participé au combat, avait
été déterminante dans le retrait du FPR trois semaines après leur offensive du
1er octobre 1990.
Le Général Maurice Schmitt a indiqué que, pour ce qui concerne
les événements liés à l’offensive du 4 octobre 1990, il avait disposé
d’informations précises, en provenance de l’ambassade comme de la Mission
de Coopération faisant état d’exactions et de spoliations entre Hutus et
Tutsis et même à l’égard de quelques étrangers. Il n’y a pas eu
d’amplification artificielle des événements. La présence de Noroît a bien été
déterminante, ce qui confirme la nécessité d’envoyer des troupes
suffisamment nombreuses et dissuasives pour éviter que les événements ne
dégénèrent. C’est cette stratégie qui d’ailleurs avait été choisie à Abéché. Les
Belges ont envoyé les mêmes effectifs que la France. Il y avait aussi des
Zaïrois mais leur armée qui n’était pas payée s’est transformée en armée de
soudards. Le FPR a été dissuadé de poursuivre son offensive vers Kigali car
il n’était pas aussi puissant en 1990 qu’en 1994, et savait qu’il ne pouvait
pas, à ce moment, prendre le pouvoir.
M. Pierre Dauge a souhaité avoir des précisions sur le recadrage,
effectué en mars 1991 des missions de l’opération Noroît qui, sur le plan
opérationnel, engageait plus fortement la France aux côtés des forces armées
rwandaises et a considéré qu’il y avait là la traduction d’une nouvelle
nouvelle orientation politique qui correspondait partiellement aux voeux du
Président du Rwanda.
Le Général Maurice Schmitt a précisé qu’il avait personnellement
recadré les missions des uns et des autres car, dans la mesure où un DAMI
avait été envoyé au Rwanda et se trouvait sous les ordres du responsable de
l’opération Noroît, il devenait nécessaire que chacun dispose d’instructions
écrites précises sur ce qu’il avait à faire, d’autant que la situation devenait
plus tendue et que la menace se précisait. L’accord de 1975, dont la portée
était limitée, était géré par le ministère de la Coopération et non par celui de
la Défense qui mettait des personnels d’aide technique à la disposition de la
Mission de Coopération. Il a rappelé que le DAMI n’était composé que de
trente spécialistes en mars 1991, soit environ une dizaine d’officiers et une
quinzaine de sous-officiers et qu’il convenait de rapporter ces chiffres aux
effectifs de l’armée rwandaise.
Précisant que ce n’était pas les instructions de l’opération Noroît
qui avaient été modifiées, le Président Paul Quilès a indiqué que la mission
entendait vérifier, compte tenu de l’accord de coopération de 1975 alors en
vigueur, si une aide militaire a été apportée par la France au Rwanda, dans
quelles conditions et pour quelles raisons. Il a souligné que jusqu’à présent
les témoignages entendus par la mission confirmaient qu’il ne s’agissait pas
de faire participer les troupes françaises aux combats.
Le Général Maurice Schmitt a souhaité que le document qu’il
avait signé en mars 1991 soit communiqué à la mission d’information.
M. Jacques Myard a souhaité connaître le nombre d’assistants
militaires présents au Rwanda avant l’opération Noroît.
Le Général Maurice Schmitt a indiqué que l’effectif des
coopérants militaires ne dépassait pas une dizaine de spécialistes, ce qui
représente des chiffres faibles par rapport par exemple à ceux du Tchad.
M. Pierre Brana s’est interrogé sur le rôle de la cellule spéciale de
la présidence de la République, et notamment sur la possibilité, évoquée dans
un article du Monde, qu’elle ait piloté directement l’encadrement de l’armée
française en court-circuitant la hiérarchie militaire.
Le Général Maurice Schmitt a estimé invraisemblable que la
présidence de la République donne directement des ordres aux militaires
français présents au Rwanda. Il a douté que ceux-ci aient pris le risque
d’obéir à de tels ordres, sans l’aval du Chef d’état-major des armées, qui
aurait lui-même pris celui du Ministre de la Défense.
M. Jacques Myard a évoqué les critiques exprimées dans la presse
et par M. Michel Cuingnet au cours de son audition par la mission selon
lesquelles l’armée française se serait comportée alors comme une armée
d’occupation.
Evoquant également le témoignage de M. Michel Cuingnet, le
Président Paul Quilès a rappelé que celui-ci n’avait pas utilisé au cours de
son audition les mêmes termes que dans les documents portant sa signature
et parvenus à la mission d’information (rapport de fin de mission de service
ou télégrammes diplomatiques) dans lesquels il fait seulement des mises en
garde. Soit M. Michel Cuingnet savait à l’époque ce qu’il a déclaré à la
mission mais il n’en a pas averti sa hiérarchie. Soit il a réécrit l’histoire et il
faut alors en être conscient.
M. François Lamy a demandé s’il existait une liaison directe entre
l’état-major particulier du Président de la République et l’attaché de défense.
Le Général Maurice Schmitt a répondu que, bien qu’il ne soit pas
d’usage que l’attaché de défense adresse copie de ses messages à l’état-major
particulier du Président de la République, l’état-major des armées l’acceptait
parfois et se mettait d’accord avec le Chef de l’état-major particulier pour
simplifier les communications ; il a précisé qu’il n’y avait pas vu
d’inconvénients lorsqu’il était Chef d’état-major des armées, sous réserve
qu’il soit lui-même le destinataire principal du message, étant le chef
hiérarchique de l’attaché de défense, et qu’il en était de même vis-à-vis de la
DGSE. Il a ajouté que lorsqu’il était Chef d’état-major des armées, il n’avait
jamais eu vent que le Chef de l’état-major particulier ait directement donné
des ordres à l’attaché de défense sans passer par lui-même, qu’il s’agisse du
Rwanda ou d’autres pays.
Il a précisé en revanche que lui-même et le Chef d’état-major
particulier se tenaient régulièrement au courant des événements et que le
Ministre de la Défense était lui aussi régulièrement informé.
Remarquant que la description faite par le Général Maurice Schmitt
impliquait qu’il n’y avait pas eu, dans le cas du Rwanda, de circuit dérogeant
au processus de décision habituel auquel participent à des titres divers le
Président de la République, Chef des armées, le Ministre de la Défense,
l’état-major des armées, les autorités militaires sur place et l’ambassadeur, le
Président Paul Quilès a souligné qu’on se trouvait en présence de chaînes
d’information et de décision complexes qu’il conviendrait de clarifier.
Le Général Maurice Schmitt a précisé que l’ambassadeur avait
toujours le droit et la possibilité de transmettre des renseignements
confidentiels au Ministre des Affaires étrangères sans en informer le Ministre
de la Défense mais que, pour éviter cet inconvénient, le Chef d’état-major
des armées dispose d’un conseiller diplomatique destinataire des dépêches
diplomatiques.
M. Jacques Myard a alors rappelé qu’en tout état de cause, la
présidence de la République n’était pas reliée par liaison chiffrée avec les
postes diplomatiques à l’étranger.
M. René Galy-Dejean a rappelé à ce propos la récente décision de
rendre désormais le Président de la République obligatoirement destinataire
des dépêches, au même titre que le Ministre des Affaires étrangères. Il a
estimé qu’il ne fallait pas confondre circulation de l’information entre des
responsables qui se connaissent et qui sont en relations constantes et
institution de circuits décisionnels parallèles.

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