Fiche du document numéro 31775

Num
31775
Date
Jeudi 15 mai 2003
Amj
Taille
30050
Titre
La guerre entre les ethnies hema et lendu fait redouter un génocide au Congo-Kinshasa
Sous titre
A Bunia, dans l'est du pays, la force de l'ONU se révèle incapable de mettre fin aux violences.
Lieu cité
Lieu cité
RDC
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Nairobi de notre correspondant

Le temps d'une offensive, la puissance de feu a fait la différence entre les milices rivales à Bunia, chef-lieu de l'Ituri, région est de la République démocratique du Congo (RDC), frontalière de l'Ouganda. Une campagne de pilonnage a permis, en début de semaine, aux Hemas de prendre le contrôle de l'agglomération (100 000 habitants en temps de paix) et d'en chasser leurs ennemis de l'ethnie lendu. Mais ce contrôle fut bref : mercredi 14 mai, les tirs de mortiers et d'armes automatiques s'acharnaient sur l'aéroport, où quelque 10 000 personnes avaient trouvé refuge à proximité des bâtiments de l'ONU.

Une fois les derniers soldats ougandais partis, le 7 mai, selon un calendrier établi par la Mission d'observation des Nations unies au Congo (Monuc), les miliciens lendus ont tenté de prendre le contrôle de la ville, supplantant rapidement une administration locale sans pouvoir réel, une force de police envoyée de Kinshasa, la capitale congolaise, et les six cents hommes de la Monuc. Bunia s'est alors transformée en champ de bataille.

Le retrait ougandais, conçu comme un pas important sur le chemin de la paix en RDC, avec le départ de l'ensemble des troupes étrangères et l'installation prochaine d'un gouvernement de transition dans la capitale congolaise, à plus de 2 000 kilomètres de distance, tournait à la catastrophe. Alors que les groupes armés devaient théoriquement respecter l'autorité de l'administration civile, les miliciens ont mis Bunia à feu et à sang. A la fin du week-end, plus d'une centaine de morts étaient dénombrés, dont des prêtres, des femmes et des bébés, essentiellement de l'ethnie hema.

La Monuc, supposée constituer la colonne vertébrale du maintien de l'ordre en ville, était dans le même temps réduite à l'impuissance, ses membres se trouvant "assiégés" dans leurs propres bâtiments, sous le feu des miliciens lendus.

Spirale de massacres



Le conflit entre les deux communautés remonte à plus d'un siècle, nourri, à l'origine, de querelles ayant trait à la terre. Mais le cycle des massacres n'a été entamé qu'avec la guerre du Congo, lorsque les manipulations des armées de la région - Ougandais en tête - ont transformé des querelles de clocher en explosions de violence.

Les Hemas comme les Lendus disposent désormais de milices entraînées, animées par une idéologie de peur et de haine. Depuis 1999, on a recensé en Ituri plus de 50 000 morts et 500 000 déplacés dans une spirale de massacres à laquelle les spécialistes reconnaissent un « potentiel de génocide », dont la bataille de Bunia, événement militaire sans portée réelle, n'est qu'un signe extérieur.

Les combats, à Bunia, sont révélateurs de plusieurs aspects du drame de l'Ituri. Pour commencer, ils montrent, par défaut, les ravages de l'implication étrangère. Les derniers éléments ougandais, qui ont quitté Bunia à pied, auraient distribué, selon des témoins, des armes aux miliciens hemas qui se préparaient à attaquer.

Les morts de Bunia, en quelques jours, illustrent aussi la tentation d'extermination qui anime les milices locales. Aucun des deux groupes de milices ne veut y mettre fin. Les Hemas avaient déjà tenu la ville pendant huit mois, avant d'en être chassés par les Ougandais en mars.

Pendant cette période, note une spécialiste, les Hemas « ont systématiquement arrêté, torturé, tué des civils lendus, et empêché toute distribution d'aide humanitaire aux membres de cette ethnie. Chacun des groupes est aussi mauvais l'un que l'autre ». L'épisode du retrait raté des Ougandais illustre le manque de préparation de ceux qui l'ont exigé, membres de la communauté internationale et responsables onusiens. Connaissant la situation de l'Ituri, le départ des troupes de Kampala se devait d'être organisé avec minutie pour éviter qu'un "vide du pouvoir", fût-ce celui d'une armée d'occupation, ne se traduise par une flambée de violence. Or, c'est précisément ce qui est arrivé à Bunia.

L'impuissance de la mission, surnommée Monique avec dédain par la population, est devenue une source de plaisanteries amères. Un dirigeant de la Monuc, familier de la région des Grands Lacs, l'admet volontiers : « Rien n'avait été préparé à Bunia. C'est un amateurisme criminel. On n'a pas donné à la Monuc, malgré ses 580 millions de dollars de budget, suffisamment d'hommes pour assurer le passage de témoin. Le prochain contingent de Bengladeshis ne doit arriver qu'en juillet. D'ici là, on aura peut-être un bain de sang. L'Ituri est géré par les bureaucrates de New York (siège des Nations unies), au département des opérations de maintien de la paix, comme le Rwanda l'avait été avant le génocide : ces gens se couvrent, évitent d'agir. Et quand les catastrophes arrivent, il n'y a pas de sanctions. »

Seule note d'espoir, les Nations unies donnent le sentiment de vouloir agir. Le Royaume-Uni étudie les conditions d'un déploiement militaire accru dans la région. La France a annoncé qu'elle pourrait participer à une force de paix. L'Ouganda n'exclut pas de revenir en Ituri, si l'ONU le lui demande...

Jean-Philippe Rémy

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024