Fiche du document numéro 31647

Num
31647
Date
Lundi 6 mars 2023
Amj
Taille
72935
Titre
En Afrique, le nouveau « partenariat » proposé par Emmanuel Macron mis à l’épreuve par la crise en RDC
Soustitre
Le président français s’est refusé à désigner clairement la responsabilité du Rwanda dans la déstabilisation de l’est du pays, au grand dam de son homologue congolais, et son discours à Kinshasa a été perçu comme du « paternalisme aux relents françafricains ».
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M23
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Emmanuel Macron et le président de la RDC, Félix Tshisekedi, à Kinshasa, le 4 mars 2023. SAMY NTUMBA SHAMBUYI / AP

Quarante-huit heures après avoir présenté, lundi 27 février, à Paris, le « nouveau logiciel » supposé encadrer en les renouvelant les relations de la France avec l’Afrique, Emmanuel Macron est passé à l’étape d’expérimentation lors d’une mini-tournée, dense (soixante-douze heures sur place), qui l’a conduit au Gabon, en Angola, au Congo-Brazzaville et finalement en République démocratique du Congo (RDC). Là, attendu sur la question des violences dans l’est de la RDC, il a notamment constaté que l’application de son concept de « partenariat », qui suppose, selon les mots de l’Elysée, que « ce n’est pas la France qui apporte la solution en venant en sauveur », comporte une bonne dose d’ambiguïté.

Félix Tshisekedi a ainsi vainement attendu, samedi, lors d’une conférence de presse animée, que son homologue français condamne franchement et clairement ce que le président congolais nomme « l’agression injuste et barbare du Rwanda » contre son propre pays, dans lequel son voisin oriental intervient depuis plus d’un an dans la région du Nord-Kivu par rébellion interposée, en l’occurrence celle menée par le M23. Une source de l’Elysée admet pourtant détenir « les preuves que le Rwanda a un canal direct avec les rebelles du M23 et que Kigali est capable d’infléchir leur position ». « L’agenda et les soutiens extérieurs sont connus », a certes déclaré le président Macron. « La RDC ne doit pas être un butin de guerre. Le pillage à ciel ouvert du pays doit cesser. Ni pillage, ni balkanisation, ni guerre », a-t-il lancé lors d’une conférence de presse. Mais sans citer le nom du principal soutien extérieur.

Le dernier rapport des experts de l’ONU sur l’est de la RDC, publié fin décembre 2022, ne laisse aucun doute sur l’implication rwandaise, directe et documentée, et détaille le soutien logistique, financier et humain de Kigali apporté à ce groupe rebelle, composé essentiellement de Congolais tutsi et reparti à l’offensive en novembre 2021 après plusieurs années de sommeil. Si les pertes en vies humaines ne sont pas connues avec précision, tant du côté des combattants que de celui des civils, dans une région où les combats ont été accompagnés de massacres, l’impact sur la région orientale de la RDC est d’une grande ampleur.

Au total, « 1,5 million de personnes ont été déplacées au cours de la seule année 2022 », évalue le Programme alimentaire mondial de l’ONU, dans un communiqué qui a aussi salué, samedi 4 mars, la création d’un pont aérien humanitaire vers Goma (la capitale régionale de l’est de la RDC, menacée d’asphyxie par les rebelles), annoncée le même jour par l’Union européenne et financée en partie par la France.

Principe d’un cessez-le-feu



Face à ce drame s’inscrivant dans la continuité de multiples conflits ayant fait rage de façon continue depuis près de trente ans dans l’est de la RDC (ex-Zaïre), Kinshasa espérait que la France choisisse de désigner sans ambiguïté la responsabilité du Rwanda et appelle aussi à la mise en place d’un régime de sanctions internationales à l’égard de Kigali. « On peut apparaître effectivement en décalage avec certaines attentes », admet une source à l’Elysée, qui avance, pour défendre la position française, la nécessité de préserver des canaux de discussion avec chaque acteur, afin de pouvoir tenir un « langage de vérité ».

Ce principe s’applique à l’Est congolais, identifié comme l’un des « fils rouges » de cette tournée africaine. Avant d’atterrir à Kinshasa, Emmanuel Macron avait ainsi tenu à recueillir les avis émis à la périphérie régionale de cette crise par Ali Bongo, à Libreville (Gabon), et Denis Sassou-Nguesso, à Brazzaville (République du Congo). Mais à Luanda (Angola), destination très fréquentée par de multiples « partenaires » – de hauts responsables chinois, russes, belges ou espagnols y sont passés depuis le début de l’année, en attendant le président brésilien Lula –, le sujet a occupé une grande part des entretiens menés vendredi par le président français avec son homologue angolais, Joao Lourenço, médiateur de l’Union africaine dans la crise congolaise. La veille, dans la même capitale, le chef du M23, Bertrand Bisimwa, rencontrait pour la première fois de façon officielle les autorités angolaises. Celles-ci ont envoyé ensuite un émissaire à Kinshasa pour communiquer la teneur de leurs discussions.

Le mouvement rebelle a accepté le principe d’un cessez-le-feu qui devrait entrer en vigueur à partir du mardi 7 mars, premier pas d’une désescalade devant aboutir au repli des rebelles à la frontière ougandaise, sur leurs positions antérieures à la reprise des combats, fin 2021. Les éléments d’une force régionale d’interposition, commandée par le Kenya, qui se déploie lentement depuis trois mois, occuperaient alors l’espace libéré par les rebelles.

Cependant, tous les cessez-le-feu négociés ces derniers mois ont volé en éclats. La France engage une part de sa crédibilité sur cette tentative, convaincue d’intervenir à un moment où s’opère un « alignement de la volonté de désescalade des différents acteurs », incluant le Rwanda. Samedi matin, Emmanuel Macron s’en est assuré lors d’une conversation au téléphone avec son homologue rwandais, Paul Kagame. « Il est à bord », soutient l’Elysée. Pas question, en conséquence, de sanctionner Kigali à ce jour. « La crainte de voir Kagame quitter le navire et la peur de ruiner les efforts déployés ces dernières années pour se rapprocher de lui tempèrent vraisemblablement les propos du président français », avance un ancien diplomate français.

Termes peu diplomatiques



A Kinshasa, cette forme d’équilibrisme n’a pas suscité l’enthousiasme. « Les annonces du président français sont satisfaisantes sur le plan théorique, attendons de voir en pratique », a commenté le président Tshisekedi, qui se dit « dubitatif sur la bonne foi de l’agresseur », et estime que seul « le pillage systématique » des ressources minières de la RDC par le Rwanda explique « l’agression ». « Est-ce que le Rwanda peut s’en passer ? Si ce n’est pas le cas, c’est là que je vérifierai les engagements du président Macron par rapport aux sanctions », a-t-il averti.

A la présidence congolaise, ce que l’Elysée présente comme des « conversations sans complaisance » a été perçu comme du « paternalisme aux relents françafricains ». En des termes assez peu diplomatiques, Emmanuel Macron a délivré au public un diagnostic sans concession des origines de la crise congolaise, avec en prime une série de recommandations pour les surmonter. « Depuis 1994, a-t-il dit, vous [autorités successives congolaises] n’avez pas été capables de restaurer la souveraineté, ni militaire, ni sécuritaire. Il ne faut pas chercher des coupables à l’extérieur. » « Bâtissez une armée solide, construisez la sécurité autour de l’Etat (…), faites passer la justice transitionnelle pour que vous n’ayez pas de criminels de guerre encore en responsabilité ou sur le terrain », a-t-il prescrit.

Les références du discours aux nouveaux partenariats dans les domaines de la santé et des sciences ou vantant avec « des accents toniques », selon l’expression du président, « la puissance culturelle » du Congo – parce que « c’est votre intérêt, c’est le nôtre d’avoir dans le monde, si je puis dire, un Nigeria francophone » – ne sont pas celles que l’auditoire congolais a retenues. La reprogrammation du logiciel franco-africain est loin d’être achevée.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024