Fiche du document numéro 31613

Num
31613
Date
Jeudi 18 décembre 2008
Amj
Taille
46436
Surtitre
Le Procureur c. Théoneste Bagosora et consorts, affaire n° ICTR-98-41-T
Titre
Résumé du jugement rendu en l'affaire Bagosora et consorts
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Note
Langue
FR
Citation
Le Procureur c. Théoneste Bagosora et consorts, affaire n° ICTR-98-41-T

RÉSUMÉ DU JUGEMENT RENDU EN L'AFFAIRE
BAGOSORA ET CONSORTS

1.

Introduction

1.
Le jugement rendu en la présente affaire, souvent désignée par l'appellation
Militaires I, est l'aboutissement d’un procès qui a duré plusieurs années. Bon nombre
d'entre nous, présents dans cette salle d'audience aujourd'hui, avons collaboré les uns
avec les autres durant la majeure partie des 409 jours d'audience qu’a duré ce procès. La
Chambre a examiné les éléments de preuve produits par 242 témoins à charge et à
décharge et étudié les 30 000 pages et plus de comptes rendus d'audiences, près de 1 600
pièces à conviction, et environ 4 500 pages soumises par les parties dans le cadre de leurs
dernières conclusions. Le nombre des éléments de preuve produits en l'espèce dépasse de
près de huit fois celui des témoignages que le Tribunal entend en moyenne dans le cadre
d’une affaire à accusé unique. Les pages innombrables des conclusions écrites des parties
ont donné lieu à environ 300 décisions écrites dans la présente affaire.
2.
À l'instar d'autres procès à accusés multiples conduits devant le Tribunal, l’affaire
des Militaires I a été entendue dans le cadre de sessions entrecoupées de périodes de
suspension. Ce système a permis aux parties de se préparer pour l’audition des
témoignages envisagés pour la session suivante. Au cours des périodes de suspension, la
Chambre a entendu des affaires à accusé unique. De fait, parallèlement à la conduite du
présent procès, ses juges ont siégé dans neuf affaires de ce type.
3.
La présente affaire n'a pas été sans soulever un certain nombre de difficultés. Une
bonne partie des témoignages produits en l’espèce ont été traduits ou interprétés en trois
langues. Des enquêtes ont été conduites partout dans le monde et un bon nombre des
témoins qui ont comparu ont été acheminés au Tribunal des quatre coins du monde.
Chacun d'entre nous, qui sommes présents aujourd'hui dans cette salle d'audience – la
Chambre, les parties, le Greffe, les sténographes d'audience, la Section des services
linguistiques, la Section d’aide aux témoins et les agents de la sécurité – a eu par
moments, à travailler jusque tard dans la nuit et pendant les week-end, de même qu’à
consentir des sacrifices aussi bien sur le plan personnel que professionnel. La Chambre
tient à exprimer à chacun d'entre vous sa gratitude pour votre professionnalisme et votre
contribution à la justice pénale internationale.
4.
Le jugement intégral rendu en l’espèce compte plusieurs centaines de pages. La
Chambre entreprendra à présent de donner lecture d'un résumé de sa teneur. Elle fait
observer que seules les principales conclusions peuvent être mises en exergue ici. Le
texte intégral du jugement sera disponible dans les jours à venir, après la finalisation du
processus de sa rédaction. Y sont évoqués de nombreux faits au regard desquels le
Procureur n'a pas établi le bien-fondé de sa thèse. Sa traduction en français sera mise à
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disposition en temps opportun. Le présent résumé n’est pas revêtu de la force de
l’authenticité. Le jugement écrit est la seule version à faire foi.
5.
La présente affaire vise la responsabilité pénale individuelle du colonel Théoneste
Bagosora, Directeur de cabinet du Ministère de la défense, du général Gratien Kabiligi,
chef du bureau des opérations (G3) de l'état-major général de l'armée, du major Aloys
Ntabakuze, commandant du bataillon para-commando, une unité d’élite, et du colonel
Anatole Nsengiyumva, commandant du secteur opérationnel de Gisenyi, à raison de
crimes commis au Rwanda en 1994. Le Procureur accuse chacun d’eux d’entente en vue
de commettre le génocide, de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de
guerre, sur la base de la responsabilité individuelle ou du supérieur hiérarchique qu'ils
encourent.
6.
Les équipes de défense ont vigoureusement contesté la crédibilité des éléments à
charge. Bagosora et Kabiligi ont en particulier nié avoir eu une autorité réelle sur les
membres de l'armée rwandaise et Nsengiyumva et Ntabakuze ont contesté l’argument
tendant à établir que des militaires placés sous leurs ordres ont commis des actes
criminels. Relativement à certains des faits reprochés, les accusés ont invoqué un alibi.
C'est le cas en particulier de Kabiligi. Les équipes de défense ont également soulevé un
certain nombre d'objections sur des questions de procédure que la Chambre a analysées
dans le jugement.
7.
Il ressort une fois encore des éléments de preuve produits au titre du présent
procès qu'un génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre ont été
perpétrés au Rwanda après le 6 avril 1994. Les souffrances humaines endurées et les
massacres perpétrés dans ce cadre étaient d’une ampleur insondable. Ces crimes étaient
principalement dirigés contre les civils tutsis de même que contre les Hutus considérés
comme des sympathisants du Front patriotique rwandais (FPR) dirigé par les Tutsis ou
comme des opposants au régime en place. Au nombre des auteurs de ces crimes
figuraient des militaires, des gendarmes, des civils et des responsables de partis
politiques, des Interahamwe et d’autres milices, de même que des citoyens ordinaires. La
Chambre fait néanmoins observer qu'il ressort tant des éléments de preuve produits en
l'espèce que de l'histoire du Tribunal que ce ne sont pas tous les membres des groupes
susmentionnés qui ont commis des crimes.
8.
Des personnes autres que les Tutsis et les Hutus modérés ont également souffert
en 1994. La conduite d'un procès pénal ne permet pas de brosser un tableau exhaustif de
tout ce qui s'est passé au Rwanda, même pour une affaire de l’envergure de l’espèce. Le
champ d'intervention de la Chambre est limité par des normes de preuve et des
procédures strictes auxquelles elle est assujettie, de même que par l’obligation qu'elle a
de concentrer son action sur les quatre accusés et sur les éléments de preuve particuliers
dont elle est saisie en l'espèce.

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2.

Allégation d'entente en vue de commettre le génocide

9.
Le Procureur fait valoir qu’entre la fin de l’année 1990 et le 7 avril 1994, les
quatre accusés se sont entendus entre eux, et avec d’autres personnes, en vue
d’exterminer la population tutsie. Il évoque à l’appui de cet argument des éléments de
preuve – pour la plupart indirects – qui peuvent valablement constituer les maillons d’une
chaîne menant à une entente en vue de commettre le génocide dans les mois ou au cours
des années antérieurs à avril 1994.
10.
Les équipes de défense contestent l’existence d'une entente. Elles soutiennent en
particulier que le Procureur a fait fond sur des éléments de preuve peu crédibles et qu'il a
dégagé des conclusions sur la base de faits qui n'ont pas été établis. Certaines équipes ont
également avancé un certain nombre d'explications qui pourraient elles aussi rendre
compte des faits qui se sont déroulés. L'une d'elles se fonde sur la thèse selon laquelle ce
serait le FPR qui aurait abattu l'avion du Président Juvénal Habyarimana le 6 avril, et que
c’est ce fait qui, conjugué à d'autres, aurait été à la base du déclenchement de massacres
spontanés.
11.
Les explications en question ont particulièrement trait au chef d'entente, sauf à
remarquer qu’elles ont également été considérées de manière plus générale. La Chambre
fait observer que s’il est vrai que certaines d'entre elles contribuent à brosser un tableau
plus exhaustif des événements qui se sont déroulés au Rwanda en 1994, il reste cependant
qu'elles ne soulèvent aucun doute sur la qualification générale de génocide par elle
donnée aux faits en question, ou sur les principales conclusions qui servent de base à son
jugement.
12.
Relativement aux arguments développés par le Procureur sur l'entente, la
Chambre fait observer, premièrement, que la question qui se pose consiste à savoir s'il est
prouvé au-delà du doute raisonnable, sur la base des éléments de preuve produits en
l'espèce, que les quatre accusés ont commis le crime d'entente en vue de commettre le
génocide. Elle rappelle, deuxièmement, qu’il appert de la jurisprudence consacrée en la
matière que dès lors qu’elle est saisie de preuves indirectes, elle ne peut rendre un verdict
de culpabilité que pour autant que l'entente soit la seule déduction raisonnable qui se
puisse faire. Elle relève, troisièmement, qu’il ressort des éléments de preuve produits que
les accusés ont, à divers degrés, participé aux faits reprochés.
13.
Dans son jugement, la Chambre a analysé les faits évoqués par le Procureur tels,
par exemple, les travaux de la Commission mise en place en 1991 pour définir
« l'ennemi » ; les réunions ultérieures tenues par des militaires pour débattre de cette
définition ; l'allégation tendant à établir qu'en 1992 Bagosora avait dit, après avoir quitté
les négociations d'Arusha, qu’il rentrait pour préparer « l'apocalypse » ; l'affiliation
présumée des quatre accusés à certaines organisations clandestines ; une lettre anonyme
relative à un « plan machiavélique » ; les renseignements émanant d'un informateur
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prénommé Jean-Pierre mettant en garde contre l’existence d’un plan visant à tuer un
nombre considérable de Tutsis ; l'élaboration de listes de personnes à liquider ; et la
création de milices civiles, la distribution d'armes à leurs éléments et l'organisation
d'actions de formation militaire à leur intention.
14.
En ce qui concerne la participation de Bagosora, Ntabakuze et Nsengiyumva à la
« Commission sur la définition de l'ennemi », la Chambre reconnaît que l'accent excessif
mis sur l'appartenance au groupe ethnique tutsi dans la définition de l'ennemi était gênant.
Elle n'estime pas pour autant que le document, ou sa distribution aux militaires de l'armée
rwandaise par Ntabukuze en 1992 et en 1993, démontre en soi l'existence d'une entente
en vue de commettre le génocide.
15.
La Chambre a conclu que certains des accusés ont joué un rôle dans la création de
milices civiles ainsi que dans la distribution d'armes à leurs éléments et dans les actions
de formation militaire organisées à leur intention, tout aussi bien que dans la tenue de
listes de personnes soupçonnées d’être des complices du FPR, ou d'autres opposées au
régime en place. Toutefois, il n'a pas été établi au-delà du doute raisonnable que ces actes
visaient à tuer des civils tutsis dans l'intention de commettre le génocide.
16.
Plusieurs des éléments qui ont servi de base à la thèse développée par le Procureur
sur l'entente n'ont pas été étayés par des témoignages suffisamment fiables. À titre
d’exemple, on citera l'allégation tendant à établir que Bagosora préparait le
déclenchement de « l'apocalypse » en 1992 et le rôle qu’auraient joué les accusés dans
certaines organisations criminelles clandestines dont AMASASU, le Réseau zéro ou les
escadrons de la mort. Le témoignage fait sur une réunion tenue en février 1994 à Butare
et au cours de laquelle Bagosora et Nsengiyumva auraient dressé une liste de Tutsis à tuer
n'a pas été considéré crédible. La Chambre est parvenue à la même conclusion
relativement au discours que Kabiligi aurait prononcé sur le génocide à Ruhengeri en
février 1994. Par certains de leurs aspects, la lettre anonyme faisant état de l’existence
d'un « plan machiavélique » et les renseignements fournis par Jean-Pierre inspirent
également des réserves.
17.
La Chambre reconnaît sans conteste que certains faits peuvent être interprétés
comme établissant l'existence d'un plan visant à commettre le génocide, en particulier
lorsqu’on tient compte de la rapidité avec laquelle les meurtres ciblés ont été perpétrés
immédiatement après que l'avion du Président eut été abattu. Elle fait toutefois observer
qu’il ressort également des éléments de preuve produits que des dispositions avaient été
prises en vue d’un affrontement pour la conquête du pouvoir politique ou militaire et que
des mesures qui avaient été adoptées dans le contexte d’une guerre engagée contre le FPR
avaient été mises en œuvre à d’autres fins à partir du 6 avril 1994.
18.
En conséquence, la Chambre n'est pas convaincue que le Procureur a établi audelà du doute raisonnable que la seule conclusion raisonnable qui se puisse tirer des
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éléments de preuve produits est que les quatre accusés se sont entendus entre eux, ou
avec d'autres, pour commettre le génocide avant qu’il ne s’étende à partir du 7 avril 1994.
La Chambre les a acquittés du chef 1 de chacun de leurs actes d'accusation.
3.

Kigali, 6-9 avril 1994

19.
Pour ce qui est des éléments de preuve produits à l'appui des autres crimes, la
Chambre rappelle que c'est vers 20 h 30, le 6 avril 1994, qu'un missile sol-air, tiré à partir
du voisinage de l'aéroport de Kigali, a abattu l'avion transportant le Président
Habyarimana et d'autres. Ils rentraient des négociations de paix tenues à Dar es-Salaam
en vue de la mise en œuvre des accords d'Arusha. L'explosion qui a été entendue partout
dans Kigali a tué tous ceux qui se trouvaient à bord de l’appareil. La chute de l'avion au
sol plongeait le Rwanda dans une spirale de violence et dans un laps de temps de 24
heures, le conflit armé opposant l'armée rwandaise au FPR avait repris.
20.
Dans la soirée du 6 avril, peu après l'attaque de l'avion du Président, Bagosora a
présidé au camp de Kigali une réunion du Comité de crise militaire, qui était composé
d'officiers supérieurs de l'armée et de la gendarmerie. Le général Roméo Dallaire,
commandant des forces de la MINUAR, a également participé à cette réunion au cours de
laquelle il a proposé aux militaires de prendre contact avec le Premier Ministre Agathe
Uwilingiyimana. Il leur a également fait savoir qu’il était nécessaire qu'elle s’adresse à la
nation motif pris de ce que l'avion du Président avait été abattu. Bagosora a refusé. Plus
tard, cette nuit-là, Bagosora et Dallaire se sont réunis avec le Représentant spécial du
Secrétaire général, Jacques Roger Booh-Booh, à sa résidence. Bagosora a de nouveau
refusé de prendre contact avec le Premier Ministre.
21.
Après son retour au camp de Kigali, Bagosora a approuvé et signé un
communiqué dont lecture devait être donnée à la radio afin d’annoncer la mort du
Président. Le communiqué en question a été publié au nom du Ministre de la défense qui
était à l'étranger.
22.
Dans la nuit, le général Dallaire a ordonné qu'une escorte de la MINUAR soit
affectée au Premier Ministre pour lui permettre de s'adresser à la nation sur les ondes de
radio Rwanda le lendemain matin. Le 7 avril, vers 5 heures, 10 casques bleus belges ont
été dépêchés à sa résidence. Dans les heures qui avaient précédé cette mesure, des
éléments du bataillon de reconnaissance et de la Garde présidentielle avaient encerclé
l'enceinte de la résidence du Premier Ministre et s’étaient mis à faire feu, de temps à
autre, sur les gendarmes et sur les casques bleus ghanéens affectés à la garde du Premier
Ministre. Après l'arrivée des Belges, l'enceinte de la résidence du Premier Ministre avait
été attaquée. Le Premier Ministre s’est enfuie de sa résidence pour se réfugier dans une
autre enceinte qui la jouxtait. Elle a été retrouvée, tuée, et puis agressée sexuellement.

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23.
Approximativement au même moment, des militaires de la Garde présidentielle
ont tué quatre responsables importants de l'opposition ou personnalités éminentes dans le
quartier de Kimihurura à Kigali, en l'occurrence, Joseph Kavaruganda, président de la
Cour constitutionnelle ; Frédéric Nzamurambaho, président du Parti social démocratique
et Ministre de l'agriculture, Landoald Ndasingwa, vice-président du Parti libéral et
Ministre du travail et des affaires sociales, et Faustin Rucogoza, responsable du
Mouvement démocratique républicain et Ministre de l'information. Le lendemain, des
militaires ont tué Augustin Maharangari, directeur de la Banque rwandaise de
développement.
24.
Il est absolument impossible à la Chambre d’accepter l’idée que des unités d'élite
de l'armée rwandaise puissent, de manière soutenue, faire feu sur des gendarmes rwandais
et des casques bleus des Nations Unies et leur lancer des grenades puis assassiner et
agresser le Premier Ministre de leur pays et tuer cinq personnalités éminentes du Rwanda
sans que leurs actes ne s'inscrivent dans le cadre d'une opération militaire organisée,
exécutée pour donner suite à des ordres émanant des autorités militaires supérieures.
25.
Les casques bleus belges et ghanéens ont été désarmés à la résidence du Premier
Ministre et conduits au camp de Kigali vers 9 heures. Peu après, une foule de soldats
venant du camp ont encerclé les casques bleus belges et ont commencé à les agresser.
Plusieurs officiers rwandais dont le colonel Nubaha, commandant du camp, ont
verbalement essayé de calmer les militaires rwandais.
26.
Alors que se déroulaient ces faits, vers 10 heures, Bagosora était en train de
présider une réunion d'officiers supérieurs de l'armée et de la gendarmerie dans une école
de formation d'officiers (ESM) située non loin de là. Les participants à cette réunion
débattaient de la situation créée par le décès du Président. Nubaha a quitté le camp, s’est
présenté au lieu où se tenait la réunion et a informé Bagosora de la menace qui pesait sur
les soldats belges. La réunion s'est poursuivie mais les participants ont par la suite
entendu les coups de feu venant de la direction du camp.
27.
Après la réunion à l'ESM, Bagosora est arrivé au camp de Kigali. Il a vu les
cadavres des quatre soldats belges et s'est rendu compte que d'autres casques bleus belges
qui se trouvaient dans le bureau étaient vivants. Il fait valoir qu'il avait été menacé et
qualifié de traître par la foule de soldats et que cela étant, il s'était retiré. La Chambre
relève qu'il n'a pas été fait usage de la force pour maîtriser cette situation explosive. Peu
après le départ de Bagosora, les soldats du camp ont tué le reste des casques bleus belges
avec des armes puissantes.
28.
Il y a eu d'autres meurtres organisés auxquels l'armée rwandaise a participé,
parfois en compagnie d’Interahamwe et d'autres miliciens, partout dans Kigali, au cours
des 72 heures qui ont suivi la mort du Président Habyarimana. Des barrages routiers ont
été établis partout dans la ville et se sont très rapidement transformés en lieux de
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massacre manifestes et notoires. Au Centre Christus, des militaires ont tué 17 rwandais
avec des armes à feu et des grenades, après les avoir enfermés dans une pièce. À Kabeza,
non loin du camp Kanombe, des éléments du bataillon para-commando ont fouillé l’une
après l’autre les maisons et ont tué les civils. À la mosquée de Kibagabago et à l'église
située dans le quartier de Remera, de même qu’au Centre Saint-Joséphite à Nyamirambo,
des militaires, en compagnie de miliciens ont attaqué et tué des Tutsis. La Chambre juge
également convaincants les témoignages faits sur un membre de la Garde présidentielle à
l'effet d'établir qu'il a violé une réfugiée tutsie au cours de l'attaque perpétrée au Centre
Saint-Joséphite ainsi que ceux faisant grief à des militaires d’avoir tué des civils tutsis à
un barrage routier et à une école à Karama.
29.
Au cours d'une attaque perpétrée à la paroisse de Gikondo, le 9 avril au matin,
l'armée rwandaise a bouclé le quartier de Gikondo qui a alors été systématiquement
ratissé par des gendarmes munis de listes, sur la base desquelles ils ont envoyé les Tutsis
à la paroisse de Gikondo. Les gendarmes ont procédé au contrôle des cartes d'identité des
Tutsis à la paroisse en les confrontant à leurs listes, suite à quoi ils les ont brûlées. Les
Interahamwe se sont ensuite mis à tuer de manière atroce les réfugiés tutsis dont le
nombre était supérieur à 150. Les prêtres de la paroisse et les observateurs militaires de la
MINUAR ont été forcés à assister à ces meurtres sous la menace des fusils. Le
commandant Brent Beardsley de la MINUAR est arrivé sur les lieux peu après l'attaque
et a décrit la scène terrible à laquelle il a assisté et qui attestait que des meurtres, des
mutilations et des viols avaient été perpétrés. Les Interahamwe sont revenus plus tard sur
les lieux cette nuit-là pour achever les survivants.
30.
Dans son jugement, la Chambre a considéré que Bagosora était la plus haute
autorité du Ministère de la défense et qu'il a exercé un contrôle effectif sur l'armée et la
gendarmerie rwandaise du 6 au 9 avril, date à laquelle le Ministre de la défense est rentré
au Rwanda. Pour les motifs juridiques, fournis dans le jugement, il est par conséquent
responsable de l'assassinat du Premier Ministre, des quatre politiciens de l'opposition, et
des dix casques bleus belges, de même que de la participation à grande échelle des
militaires aux meurtres de civils perpétrés à Kigali durant cette période. La même
conclusion s'applique à Ntabakuze relativement aux crimes commis par les membres du
bataillon para-commando à Kabeza.
4.

Faits survenus à Kigali à des dates ultérieures

31.
Le 11 avril, des milliers des réfugiés tutsis se sont enfuis de l'École technique
officielle (ETO) à Kigali après que le contingent belge se fut retiré de cette position. Ils
ont été arrêtés au carrefour de la Sonatube par des membres du bataillon para-commando.
Les membres dudit bataillon, en compagnie d'Interahamwe, ont ensuite fait marcher les
réfugiés sur plusieurs kilomètres en direction de la colline de Nyanza. Un camion pick-up
rempli d’éléments du bataillon para-commando a dépassé les réfugiés. Lorsque les
réfugiés sont arrivés à Nyanza, les militaires étaient là, en train de les attendre, et ils ont
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ouvert le feu sur eux. Les Interahamwe ont ensuite tué les survivants à l'aide d'armes
traditionnelles.
32.
Le 15 avril, des membres du bataillon para-commando, en compagnie
d'Interahamwe, ont également participé au meurtre d'environ 60 réfugiés tutsis en
provenance de l'Institut africain et mauricien de statistiques et d'économie (IAMSEA),
dans le quartier Remera, à Kigali.
33.
Étant donné que Ntabakuze avait sous ses ordres les membres du bataillon paracommando et qu'il exerçait sur eux son contrôle et eu égard à l'organisation des crimes
reprochés, la Chambre considère qu'il est responsable des crimes commis par les
membres du bataillon para-commando à Nyanza et à l'IAMSEA.
Gisenyi
34.
S’agissant de la préfecture de Gisenyi, les militaires, les Interahamwe et d'autres
miliciens ont participé à des meurtres ciblés de civils tutsis le 7 avril au matin, dans la
ville de Gisenyi et dans ses environs. La Chambre fait observer en particulier que l'une
des victimes de ces meurtres, Alphonse Kabiligi dont le nom figurait sur une liste tenue
par l'armée rwandaise avait antérieurement été identifié comme quelqu’un ayant des liens
avec le FPR. Le 8 avril, à l'université de Mudende, des miliciens en compagnie d’un petit
groupe de militaires, ont séparé les Hutus et les Tutsis et tué les civils tutsis. La paroisse
de Nyundo a été le théâtre de multiples attaques perpétrées par les miliciens du 7 au 9
avril.
35.
L'autorité de Nsengiyumva sur ces attaques est manifeste. La présence de
militaires, la nature systématique des attaques et le fait qu'elles aient été perpétrées
presque au même moment que le Président décédait et immédiatement après sa mort
dénote l'existence d'une coordination centralisée qui ne pouvait être assurée que par la
plus haute autorité dans la préfecture. En outre, au moment où se perpétraient ces
attaques, Bagosora était la plus haute autorité du Ministère de la défense et exerçait de ce
fait son contrôle sur l'armée et la gendarmerie. Il est par conséquent également
responsable de ces meurtres.
36.
En juin 1994, Nsengiyumva a envoyé, de la préfecture de Gisenyi, des miliciens
dont il supervisait l'entraînement, afin de les voir participer à une opération menée à la
mi-juin 1994 à Bisesero, dans la préfecture de Kibuye. Une fois sur les lieux, ces
miliciens ont été rejoints par d’autres venant de Cyangugu et des attaques ont été
perpétrées contre les réfugiés tutsis sur la colline de Bisesero.
5.

Kabiligi

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37.
S'agissant de Kabiligi, le Procureur a fait valoir que le 28 janvier, il a participé à
une réunion tenue à la préfecture de Cyangugu, notamment sur la distribution d'armes, et
à une autre tenue le 15 février à la préfecture de Ruhengeri à l’effet de planifier le
génocide. Il le tient également responsable de crimes commis à divers barrages routiers à
Kigali et dans ses environs en avril et juin 1994.
38.
Kabiligi a invoqué un alibi pour les dates du 28 janvier et du 15 février ainsi que
pour la période courant du 28 mars au 23 avril. Les allégations portées par le Procureur se
fondent sur la déposition d'un seul témoin dont la crédibilité est douteuse. En outre, le
Procureur n'a pas établi que l'alibi invoqué n'était pas vrai. Ce fait est de nature à soulever
des doutes sur les crimes particuliers à raison desquels le Procureur l’a mis en cause.
39.
Le Procureur soutient également que la responsabilité pénale de Kabiligi est
engagée en tant que supérieur hiérarchique, sur la base de son rang, de sa position, de sa
réputation et de l'influence charismatique dont il jouissait. La Chambre fait toutefois
observer que des éléments de preuve suffisants n’ont pas été présentés par le Procureur
pour démontrer l'étendue de l’autorité réelle qu’il exerçait en tant que membre de l'étatmajor de l'armée. La Chambre fait observer que, contrairement à sa thèse, l'expert
militaire de la Défense et d'autres témoins ont fait valoir qu'il ne découlait nullement de
sa position qu'il était investi d’une autorité de commandement.
40.
De l'avis de la Chambre, certains des témoins ont fait savoir que Kabiligi jouait un
rôle plus actif dans la conduite des opérations militaires que celui d'un simple officier
administratif. Toutefois, les témoignages n'ont pas permis d'établir avec clarté la nature
exacte de son rôle, en particulier en ce qui concerne la question de savoir s'il était investi
de l'autorité de commandement, ou si l'une quelconque des opérations auxquelles il a pu
participer avait été dirigée contre des civils.
6.

Conclusions

La Chambre a conclu que Théoneste Bagosora est responsable des meurtres du
Premier Ministre Agathe Uwilingiyimana, de Joseph Kavaruganda, de Frédéric
Nzamurambaho, de Landoald Ndasingwa, de Faustin Rucogoza, d’Augustin
Maharangari, des 10 militaires belges, d’Alphonse Kabiligi, de même que des crimes
commis aux barrages routiers érigés dans la région de Kigali, au Centre Christus, à
Kabeza, à la mosquée de Kibagabaga, à l'église catholique de Kibagabaga, à l'école
Karama, au Centre Saint-Joséphite, à la paroisse de Gikondo, à la paroisse de Nyundo et
à l'université de Mudende, ainsi que des meurtres ciblés perpétrés le 7 avril au matin dans
la ville de Gisenyi.
43.
La Chambre a conclu, sur la base de ces conclusions factuelles, qu’Aloys
Ntabakuze est responsable des meurtres perpétrés à Kabeza, à Nyanza et à l'IAMSEA.

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44.
La Chambre a estimé qu'Anatole Nsengiyumva est responsable des meurtres
ciblés perpétrés dans la ville de Gisenyi au matin du 7 avril, dont celui d’Alphonse
Kabiligi, ainsi que de ceux commis à l'université de Mudende et à la paroisse de Nyundo.
Il est également tenu pour responsable d'avoir envoyé des miliciens à l’effet de les voir
participer aux attaques perpétrées dans la zone de Bisesero, de la préfecture de Kibuye.
7.

Détermination de la peine

45.
Aux fins de la détermination de la peine, la Chambre a tenu compte de la gravité
de chacun des crimes pour lesquels
ont été reconnus coupables de
même que des circonstances aggravantes et atténuantes. La Chambre est investie du
pouvoir souverain d'imposer une peine unique et décide de ce faire. Compte tenu des
circonstances particulières analysées dans le jugement, la Chambre
46.
Conformément aux articles 102 A) et 103 du Règlement,
seront
maintenus sous la garde du Tribunal en attendant leur transfert vers l'État où ils
exécuteront leurs peines.
48.
C'était là le résumé du jugement écrit. Le procès diligenté en l'affaire des
Militaires I arrive à sa conclusion. L’audience est ajournée.

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CI08-0053 (F)

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Résumé du jugement

18 décembre 2008

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