Fiche du document numéro 31498

Num
31498
Date
Mardi 31 janvier 2023
Amj
Taille
94425
Titre
En République démocratique du Congo, le pape François appelle l’Afrique à être « protagoniste de son destin »
Sous titre
La ferveur et la joie se lisaient dans les yeux et les saluts enflammés des quelques dizaines de milliers de personnes qui s’étaient massées, mardi, avenue Lumumba, à Kinshasa, où le souverain pontife a pris la parole.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le pape François (au centre) à son arrivée à l’aéroport international de Ndjili à Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC), le 31 janvier 2023. ALEXIS HUGUET / AFP

Surtout ne rien rater. Tenter autant que faire se peut d’apercevoir la main, le visage, peut-être de capter le regard de ce pape qui a décidé de venir leur rendre visite pendant trois jours, en République démocratique du Congo (RDC). La ferveur et la joie se lisaient dans les yeux et les saluts enflammés des quelques dizaines de milliers de personnes qui s’étaient massées, mardi 31 janvier, avenue Lumumba, entre l’aéroport et le palais présidentiel de Kinshasa, où devait se rendre le souverain pontife.

Le chef de l’Eglise catholique était attendu dans ce pays troublé, dont les habitants pensaient leurs souffrances oubliées, reléguées au second plan par des guerres plus récentes peut-être, plus proches aussi du monde occidental. Le pape François, qui devait initialement venir en juillet 2022, avait dû repousser un voyage important pour lui en raison de son état de santé. Les Congolais qui espéraient sa visite avaient dû prendre leur mal en patience.

Jorge Bergoglio, 86 ans depuis le 17 décembre, l’a redit dans l’avion : il aurait voulu aussi se rendre à Goma, ville principale d’une région de l’est du pays frontalière du Rwanda, le Kivu, en proie à des troubles meurtriers depuis plusieurs années. La détérioration de la situation depuis fin 2022 l’a empêché de s’y rendre. Qu’à cela ne tienne, mardi, le souverain pontife s’est offert un bain de foule revigorant dans sa papamobile avant de se rendre au palais présidentiel. Tout au long du chemin, des Kinois étaient debout sur les terrasses et les toits des immeubles, sur les blocs de béton séparant les deux voies, avant d’accourir vers le convoi là où c’était possible.

« Cessez d’étouffer l’Afrique »



Une fois au palais, c’est d’ailleurs de sa « proximité » que François a assuré les Kinois en particulier et les Congolais en général, lors d’un discours prononcé peu après une brève rencontre à huis clos avec le président Félix Tshisekedi. Le pape, qui espère attirer l’attention du monde d’abord sur la RDC, puis sur le tout jeune Soudan du Sud, indépendant depuis 2011 et victime d’une guerre civile depuis près d’une décennie, a déclaré « venir au nom de Jésus comme un pèlerin de réconciliation et de paix ».

Il a déploré avec des mots durs la situation du pays qui lutte pour « sauvegarder » sa « dignité » et « son intégrité territoriale contre les méprisables tentatives de fragmentation ». Il a enjoint les Congolais à prendre leur destin en main : « Courage, frère et sœur congolais. Relève-toi, reprends dans tes mains ta dignité, ta vocation à garder en harmonie et en paix la maison que tu habites. »

Fidèle à sa vision du monde qui met les marges en valeur et impute la responsabilité de la situation parfois catastrophique de certains pays du Sud à la prédation d’intérêts économiques, François a évoqué le « colonialisme économique ». Celui-ci a, selon lui, succédé, au « colonialisme politique », en étant tout « aussi asservissant ». « Ce pays, largement pillé, ne parvient donc pas à profiter suffisamment de ses immenses ressources », a-t-il déclaré avant d’ajouter : « Retirez vos mains de la République démocratique du Congo, retirez vos mains de l’Afrique ! Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser. Que l’Afrique soit protagoniste de son destin ! »

Il fallait, en revanche, mardi, chercher dans les phrases parfois cryptiques de son discours les allusions à l’implication des pays étrangers, en l’occurrence le Rwanda, dans le conflit qui agite l’est du pays depuis plusieurs années. Et dans l’instrumentalisation reconnue par les Nations unies de la rébellion du M23, un mouvement à dominante tutsi créé dans les années 2010, en lutte contre le pouvoir central. Sans préciser à quoi il faisait référence, le pape a évoqué « un génocide » en cours en RDC, un terme dont l’emploi suscite des interprétations très divergentes dans cette partie du monde.

Il a aussi mis en garde les Congolais contre « le tribalisme et la confrontation ». Expliquant que « prendre obstinément parti pour sa propre ethnie ou pour des intérêts particuliers, alimentant des spirales de haine et de violence, tourne au détriment de tous ».

Les pouvoirs publics tancés



Face à lui, le souverain pontife avait un président congolais déterminé à porter des accusations directes et explicites contre son voisin. Evoquant des « ennemis de la paix et des groupes terroristes venus essentiellement des pays voisins », Félix Tshisekedi a insisté : « Outre les groupes armés, les puissances étrangères avides des minerais dans notre sous-sol commettent avec l’appui direct et lâche de notre voisin le Rwanda de cruelles atrocités. » Le 24 janvier, le Rwanda a tiré sur un avion de chasse congolais qu’il accusait de violer son espace aérien, conduisant Kinshasa à parler « d’actes de guerre » quand Kigali évoquait une « agression » de la part de son grand voisin.

S’il n’a pas directement répondu, François a tancé les pouvoirs publics congolais, un pays touché par la corruption. « Dans la société, ce sont souvent les ténèbres de l’injustice et de la corruption qui obscurcissent la lumière du bien », a-t-il ainsi déclaré. Et d’ajouter, citant saint Augustin : « Si la justice n’est pas respectée, que sont les Etats, sinon des bandes de voleurs ? »

Le pays, où doit se tenir une élection présidentielle en décembre a souvent compté sur l’Eglise catholique pour exercer une influence majeure dans sa vie politique. François espère accentuer ce rôle pendant ses trois jours de visite. Mercredi, il devait célébrer une des plus importantes messes de son pontificat avec un million et demi de personnes attendues à l’aéroport Ndolo, à l’est de Kinshasa.

Sarah Belouezzane (Kinshasa (RDC), envoyée spéciale

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