Fiche du document numéro 31346

Num
31346
Date
Jeudi Décembre 2022
Amj
Taille
1106697
Titre
Autour d’un livre. Thomas Borrel, Amzat Boukari-Yabara, Benoît Collombat et Thomas Deltombe (dir.), L’Empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique, Paris, Seuil, 2021, 1 008 pages
Mot-clé
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation

Le point de vue de Judith Scheele



Entre heuristique et activisme : la notion de Françafrique n’est pas prête à mourir

Il y a un peu plus d’un an, en avril 2021, le président français Emmanuel Macron prenait l’avion pour assister aux obsèques de son homologues tchadien Idriss Déby. Macron, seul chef d’État non africain qui avait fait le déplacement, posait aux côtés du fils du défunt, le Général Mahamat Idriss Déby Itno. Il entérinait ainsi de facto le coup de force de ce dernier, qui venait de prendre la tête du Conseil militaire de transition qui gouverne le pays depuis, indépendamment des dispositions prévues par la constitution tchadienne. Vu de N’Djamena, la continuité de la Françafrique semble manifeste, peu importe qui tient les rênes dans cette affaire.
Plus à l’ouest, où le gouvernement (tout aussi militaire) du Mali vient de renvoyer les soldats français, actifs au nord du pays depuis 2013, les choses semblent moins évidentes. L’intensité des réactions, qu’elles soient hostiles ou favorables à la présence des soldats français, indique pourtant qu’il s’agit de relations plus intimes que celles habituelles entre deux pays indépendants et souverains. En France se succèdent les publications d’officiers français de retour du Mali, profondément nourries d’un imaginaire colonial qu’on aurait voulu croire désuet. Des officiers qui, semble-t-il, sont encore et toujours au cœur de la «politique africaine de la France ».
Quelques années plus tôt, en août 2017 à Dakar, le journaliste et activiste franco-béninois Kémi Séba, deux fois condamné en France pour incitation à la haine raciale, brûla publiquement un billet de 5000 francs CFA. Séba fut acclamé par un public de jeunes gens qui ne semblaient pas tant se poser la question de l’existence ou du périmètre de la « Françafrique » que celle des moyens de s’en débarrasser. « Un activisme uniquement dénonciateur est limité dans sa portée transformatrice», comme le nota alors Felwine Sarr, «mais il faut reconnaître que s’il occupe autant de place, c’est du fait d’un vide, d’un espace non occupé par des forces sociales, d’une absence de proposition politique sérieuse de la part des mouvements politiques classiques dans nos espaces, du fait d’intellectuels inorganiques ou de sociétés civiles ne jouant pas pleinement leur rôle sur ces questions-là1.»

Une somme bienvenue

L’Empire qui ne veut pas mourir est une somme, détaillée, qui retrace la continuité des relations «privilégiées » entre la plupart des pays francophones en Afrique et leur ancienne puissance coloniale, depuis les dernières décennies de l’occupation coloniale jusqu’aux événements les plus récents. C’est un livre qui tranche avec une littérature plus classique sur la « Françafrique », par son envergure (1 008 pages), son ambition d’exhaustivité, sa rigueur documentaire, son choix de thèmes, et surtout par son caractère collectif (il réunit 20 contributeurs et 6 contributrices). La Françafrique n’y est plus principalement envisagée comme l’œuvre de quelques hommes extraordinaires (par leur corruption et leur machiavélisme) dont les activités inavouables ne pourraient être révélées que grâce aux travaux patients d’autres hommes extraordinaires. Du «plus grand scandale de la République», la Françafrique est devenue structurelle: un «système de domination», qui «mêle des mécanismes officiels, connus, visibles, assumés par les États, et des mécanismes occultes, souvent illégaux, parfois criminels, toujours inavouables» («Introduction», p. 14). Le but du livre n’est donc pas seulement de «débusquer ce qui nous est caché», mais aussi et surtout d’apprendre «à voir ce qu’on ne regarde plus» («Introduction», p. 20). Et force est de constater que ce but est brillamment atteint.
Cette redéfinition de la Françafrique comme un fait structurel plutôt que scandaleux, et le caractère collectif du livre, qui lui donne une tonalité différente de ses prédécesseurs, intéresseront à n’en pas douter un public qui s’était peut-être détourné d’ouvrages moins argumentés sur la question. Le livre est d’ailleurs le fruit d’une collaboration entre militants, journalistes et universitaires, ou tout cela à la fois, et rappelle – s’il le fallait – qu’une telle collaboration n’est pas seulement possible, mais productive et nécessaire.
Elle a aussi contribué à ouvrir le champ des investigations «françafricaines» à quelques femmes, la majorité universitaires, autrement peu visibles dans le domaine.
On s’étonnera donc du jugement porté dans l’introduction sur «ceux qui, journalistes ou universitaires, prétendent au monopole du savoir légitime » (« Introduction», p. 11).
Personne parmi eux ne s’intéresserait à la Françafrique, ce mot ne faisant que susciter de la «méfiance». Si le procès de la presse française, «docile et complaisante» et n’ayant «même pas besoin d’être manipulée» (p. 728), est fait plus tard dans le livre, la critique des universitaires, concentrée dans l’introduction, semble plus anecdotique. Ces derniers considéreraient le terme «Françafrique» comme un terme «militant», donc polémique, qui serait accompagné d’un «parfum de scandale ». Ils seraient in fine jaloux parce qu’aucun de « leurs » concepts n’aurait eu un tel succès populaire. Le même constat revient dans l’épilogue, de manière plus nuancée, sous la plume de la philosophe (universitaire) Nadia Yala Kisukidi: «On peut s’étonner de ce que ce “système” politico-économique ne fasse pas l’objet, dans le champ des études postcoloniales et décoloniales contemporaines de langue française, de l’analyse théorique fine à laquelle elle aurait droit » («Épilogue», p. 960).
Car en effet, quelles qu’en soient les raisons et quoi qu’on en pense, le silence sur le sujet (ou au moins sur le terme lui-même) est bien là. Le relever ainsi permet de soulever la question des sujets et des styles d’argumentation passés de mode (à tort ou à raison), tout en interrogeant la notion d’engagement politique et scientifique, et les difficultés de dialogue entre militants et universitaires. Ce livre, et la critique plus ou moins implicite du monde de la recherche qu’il porte, est une bonne occasion d’affronter ces questions collectivement et de manière constructive et pas corporatiste.
En y regardant de plus près, il semble que, sous le vocable « universitaire », les coordinateurs du livre désignent principalement Jean-François Bayart. Depuis les années 2000, ce dernier a rejeté le terme «Françafrique», parfois assez sommairement, comme étant «anachronique», ne s’appliquant plus à rien depuis le décès de Houphouët-Boigny et de Foccart et depuis la fin de la guerre froide et la dévaluation du franc CFA en 1994.
Depuis, dit-il, la «politique africaine de la France » aurait été surtout marquée par une «confusion» croissante (ce qui est effectivement difficile à nier). Quitte, parfois et de manière provocatrice, à flirter avec une certaine nostalgie pour une «Françafrique» qui aurait, au moins, eu une certaine cohérence2.
Or Bayart, malgré son poids institutionnel et intellectuel, ne saurait représenter les sciences sociales dans leur totalité. D’autres chercheurs sont tout aussi critiques, mais pour d’autres raisons. Pour Jean-Pierre Dozon3, le concept de Françafrique ne va tout simplement pas assez loin; il ne touche qu’« à l’écume des choses ». L’imbrication de l’État français avec ses anciennes colonies est telle qu’il faudrait plutôt parler d’un «État franco-africain», construit sciemment dès l’après-guerre pour contenir et pour se servir de ses anciens territoires africains. Pour abolir la Françafrique, il faudrait donc abolir la Ve République. De son côté, Bruno Charbonneau considère que les références à la Françafrique gomment d’importantes transformations historiques : « elles sont trop souvent utilisées, notamment et sans trop d’effort, pour appliquer de vieilles grilles d’analyse à de nouvelles situations4 ».
Néanmoins, ces discussions explicites de la notion de Françafrique se font rares. La plupart des chercheurs (francophones) parlent effectivement d’autres choses, soit parce qu’ils ont d’autres intérêts, soit parce qu’ils considèrent qu’une analyse «françafricaine» risque de trop orienter leurs recherches vers la France et vers les élites, ne laissant que peu d’autonomie aux populations africaines «ordinaires » – tel est d’ailleurs le sens de la critique de Rahmane Idrissa dans ce débat. Même le courant décolonial, comme le note Nadia Yala Kisukidi, parle plus souvent des traces culturelles et idéologiques du passé colonial que de sa réalité contemporaine, brute, et souvent très matérielle. La notion de « racisme structurel» rallie donc des universitaires qui, il y a cinquante ans encore, auraient certainement dénoncé le «néo-impérialisme». Ceci se fait au prix de ce que certains dénoncent comme une dépolitisation du champ, et d’autres au contraire comme sa politisation excessive. Ce qui se joue ici ne s’articule donc pas tant autour de l’opposition entre militants engagés et chercheurs desengagés (qui est aussi, parfois, bien réelle), qu’autour des divergences plus ou moins profondes à propos de la définition du politique.

La valeur d’un concept

La valeur de tout concept – analytique autant que militant – réside dans son utilité, dans ce rapport entre ce qu’il donne à voir d’une manière nouvelle et, par le même mouvement d’illumination, ce qu’il empêche de voir. Que donne à voir, donc, le concept (ou plutôt la notion?) de Françafrique, et que nous cache-t-il, notamment en comparaison avec et par rapport à d’autres notions apparentées ? Faisons-en la liste : il a le grand mérite de s’inscrire dans une tradition d’enquête et de militantisme. Il a le mérite de ne pas être un terme neutre, mais un concept de dénonciation, qui fait sens, de manière immédiate, notamment auprès de toute personne qui se sent concernée. Il lie le politique à l’économique. Il nous rappelle, avec insistance, l’erreur fondamentale, ou plutôt le caractère idéologique, d’une vision du monde où des pays indépendants interagiraient librement les uns avec les autres, comme autant de boules de billards qui se repoussent sans s’interpénétrer, et sans se transformer mutuellement à chaque contact. Il nous rappelle que toute analyse, même des faits les plus locaux, se situe dans des champs politiques ; et que ceux-ci sont toujours asymétriques et historiquement construits, et souvent plus large que l’État-nation. Il est spécifique, dans le sens où il se réfère non pas à un néo-colonialisme potentiellement dilué par sa trop grande généralité, mais à «des formes spécifiquement françaises de la colonialité» («Épilogue», p. 960). Il n’invoque pas le passé colonial, qui devrait donner lieu à des réparations, mais une relation actuelle, qui doit être changée aujourd’hui.
Or le concept de Françafrique a aussi tous les inconvénients de ses mérites. Il s’enferme dans une vision très française des choses ; il s’adresse à un champ géographique circonscrit a priori plutôt qu’empiriquement, excluant ainsi la comparaison avec d’autres pays, ou d’autres formes de domination; il privilégie un certain moment historique au détriment d’autres, potentiellement tout aussi structurants ; il gomme les différences entre pays et régions. Il semble donner des réponses là où il faudrait peut-être encore poser des questions, et il a potentiellement un côté doctrinaire : à force de débattre de la mort ou de la survie de la Françafrique, ne risque-t-on pas de perdre de vue d’autres questions, plus concrètes et spécifiques encore (« que, exactement, fait la France au Mali ?»). Il met l’accent sur les continuités plutôt que sur les changements, et rend donc moins visible – par exemple – les changements profonds en œuvre dans la militarisation actuelle du continent. Il fait qu’on entend relativement peu les voix des penseurs et critiques africains (malgré le chapitre de Pigeaud et Sy), et quasiment pas celle des populations concernées.
Enfin, il reste basé sur une présomption nationale, dans le sens où l’injustice de la Françafrique apparaît comme le résultat des souverainetés nationales confisquées.
C’est une pensée qui trouve un écho certain dans la plupart des pays africains aujourd’hui; mais elle décrit aussi une rupture avec d’autres conceptualisations du « néo-colonialisme ». Nkrumah5, par exemple, voyait précisément dans la division des colonies en petit pays indépendants mais incapables de se défendre militairement ou économiquement la pierre angulaire du néo-colonialisme. Dans les faits, on le sait bien, le monde n’est pas composé de pays véritablement souverains, mais de nombreuses «Françafriques», grandes et petites, qui suivent parfois les contours d’anciens empires «qui ne veulent pas mourir», et qui parfois en créent d’autres, sous d’autres noms. La liberté des pays dominés, dans ce contexte, est surtout celle – loin d’être négligeable, comme Nkrumah le montre bien – de changer de maître.
Il est d’ailleurs dommage, mais assez révélateur – non pas du livre, mais de la force de cet ordre étatiste –, que les quelques comptes rendus du livre qui sont parus dans la grande presse aient été presque systématiquement casés dans la rubrique «Monde » plutôt que « France », tout comme on peut toujours enseigner la politique française d’après-guerre sans tenir compte du rôle crucial qui y a joué l’Afrique. Or la ligne de démarcation entre le «national» et «l’international» n’est pas une donnée de base, mais est le résultat toujours temporaire d’une négociation politique. Ces catégories sont largement idéologiques, et les Maliens qui disent à la France de «dégager» apparaissent donc somme tout assez proches des Algériens, des Égyptiens et des Argentins (et des Français) qui demandent «qu’ils s’en aillent tous».
S’il faut juger un concept par son utilité, L’Empire qui ne veut pas mourir prouve sans aucun doute que la notion de Françafrique continue d’être productive, en matière de savoirs autant que d’engagements. Mais elle ne pourra jamais être exhaustive: il nous faut plusieurs concepts, et surtout un débat ouvert – entre journalistes, militants et chercheurs – qui ne s’arrête pas aux mots. D’autant plus que le débat académique ne saura jamais se suffire à lui-même. Nous avons besoin de concepts qui parlent, qui rallient, qui mobilisent – et pour cela, la «Françafrique», notamment dans sa nouvelle version mise en lumière dans ce livre, n’a pas d’égal. Dans ce sens, L’Empire qui ne veut pas mourir n’est peut-être, après tout, pas une somme, mais plutôt – espérons-le – un début.

Judith Scheele
EHESS, Marseille

[Notes : ]
1. F. Sarr, «Franc CFA: “De quoi le geste de Kémi Séba est-il le nom?” », Le Monde, 28 août 2017.
2. J.-F. Bayart, « Quelle politique africaine pour la France ? » Politique africaine, n° 121, 2011, p. 147-159.
3. J.-P. Dozon, «L’état franco-africain», Les temps modernes, n° 620-621, 2002, p. 261-288.
4. B. Charbonneau, «De Serval à Barkhane : les problèmes de la guerre contre le terrorisme au Sahel», Les temps modernes, n° 693-694, 2017, p. 325.
5. K. Nkrumah, Neo-Colonialism, the Last Stage of Imperialism, Londres, Nelson & Sons, 1965.

Le point de vue de Véronique Dimier



La Françafrique est-elle spécifiquement française ?

Le livre décrit très bien, sous tous ses aspects, ce qu’a été et est encore la Françafrique: un système de domination et d’exploitation économique basé sur l’interdépendance entre élites africaines et élites françaises, où chacun dépend de l’autre pour le maintien de son pouvoir; sur la complicité entre divers acteurs politiques (chefs d’État, partis) et économiques (entreprises publiques, comme Elf, ou privées, comme celles de Vincent Bolloré) dans la mise en place d’institutions et de réseaux plus ou moins opaques favorisant prédation et corruption généralisée, brouillant délibérément les frontières entre légalité et illégalité.
Les racines coloniales de la Françafrique: de l’association à l’assimilation La première partie du livre analyse à merveille la manière dont les prémices de ce système se retrouvent déjà sous la période coloniale, soit à travers la politique d’association, soit à travers celle de l’assimilation tentée notamment après la Seconde Guerre mondiale. Les méthodes de gouvernement indirect envisagées dès le début du XXe siècle dans le cadre de la nouvelle doctrine coloniale française de l’association, expérimentées par Hubert Lyautey, résident général du Maroc (1912-1925), et étendues au reste de l’Empire, reposent avant tout sur un système institutionnalisé de corruption morale.
Soutenu ultérieurement par des fonctionnaires coloniaux influents comme Félix Éboué (gouverneur général de l’Afrique-Équatoriale française entre 1940 et 1944) et Henri Laurentie, l’un des architectes de la conférence de Brazzaville (1944) dont le but était de réformer l’Empire, le système est présenté comme libéral et «démocratique ». Officiellement, il s’agit de gouverner par le biais des chefs traditionnels, censés représenter les populations colonisées, et, par cet « art de gouverner », de gagner le soutien de ces dernières. En pratique, le gouvernement indirect consiste à acheter les élites locales en leur offrant certains privilèges et en renforçant leur pouvoir sur le reste de la société, pour s’assurer de leur soutien dans la mise en œuvre du projet colonial (projet de domination et d’exploitation économique par excellence). Reposant sur l’opacité de relations personnalisées entre administrateurs coloniaux et chefs locaux, sur l’arbitraire et l’exception permanente au droit, la concentration des pouvoirs entre quelques mains, il s’oppose en tout point aux principes démocratiques de la compétition électorale, de la séparation des pouvoirs et de l’État de droit. Les élites africaines qui participèrent de ce système, plus largement celles qui collaborèrent avec le gouvernement colonial, sortirent gagnantes de la colonisation. Ayant conservé leurs privilèges et accru leur pouvoir grâce au soutien de l’administration française, elles avaient tout intérêt à faire perdurer une collaboration étroite avec l’ex-puissance coloniale. Collaborèrent également les élites assimilées, notamment les premiers représentants des colonies au sein du parlement français après 1944. La France tente alors de réformer son empire (renommé Union française) en mettant en œuvre une certaine assimilation politique des territoires coloniaux, c’est-à-dire en leur permettant d’avoir quelques représentants au sein des institutions parlementaires de la métropole (selon le principe du collège électoral séparé), en créant une citoyenneté de l’Union française (comprenant des droits différents de ceux des citoyens français). Même très imparfaite, cette assimilation eut pour conséquence de rapprocher les futures élites politiques africaines des élites françaises et de créer des liens durables.
Comme le montrent plusieurs chapitres de ce livre, notamment ceux d’Amzat Boukari-Yabara et de Ghislain Youdji Tchuisseu, les tentatives réussies de cooptation par le gouvernement français de leaders africains comme Léopold Senghor, Félix Houphouët-Boigny ou Ahmadou Ahidjo, respectivement présidents du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Cameroun de l’indépendance jusqu’en 1992, 1993 et 1982, posèrent les fondements d’une nouvelle forme de corruption morale. Il s’agit bien, par l’intermédiaire de diverses institutions, de fabriquer une élite docile et loyale à la France, puis de soutenir ces leaders à travers une aide militaire et financière, en échange d’un soutien de leur part dans le cadre de la guerre froide, soutien qui devint très vite financier dans le cadre de campagnes électorales françaises de plus en plus coûteuses.
Quant aux premières aides au développement, débloquées dans le cadre du Fonds d’investissement pour le développement économique et social à partir de 1946, elles servirent davantage à accorder des subsides déguisés aux entreprises françaises qu’à assurer le bien-être des peuples colonisés, comme le notent Catherine Coquery-Vidrovitch et Thomas Deltombe dans leur chapitre. Avec la fin du travail forcé et l’extension du droit syndical en 1944-1946, les mobilisations sociales et ouvrières africaines se multiplièrent afin de revendiquer des droits non seulement politiques, mais également sociaux, égaux à ceux des Français. Quand, avec l’extension du Code du travail en 1952, il apparut aux milieux patronaux et au gouvernement français que la colonisation leur coûtait plus qu’elle ne rapportait, la métropole préféra laisser le dossier du partage des ressources entre les mains des gouvernements locaux, puis décoloniser, appuyant les leaders amis susceptibles de capter ces ressources à leur profit et participant à l’élimination de leurs opposants, souvent syndicalistes, comme Ruben Um Nyobè au Cameroun.

La Françafrique et la dépendance au sentier colonial et postcolonial

D’un point de vue néo-institutionnaliste, l’histoire ici décrite de la Françafrique confirme les hypothèses émises par des auteurs comme Paul Pierson ou Kathleen Thelen en termes de «dépendance au sentier institutionnel1 ». Selon cette perspective, les choix accompagnant la naissance d’une institution, c’est-à-dire les réseaux construits, les structures de pouvoir mises en place, les normes et intérêts des coalitions au sein et autour de celle-ci, déterminent durablement le «sentier», à savoir l’évolution ultérieure de cette institution, et rendent tout changement extrêmement difficile, même en cas de crise majeure. Si l’on considère la Françafrique comme un système institutionnalisé, les réseaux et les structures de pouvoir mises en place avant et pendant la décolonisation dans le cadre des États coloniaux, puis postcoloniaux, ou du système français de coopération, devaient perdurer bien au-delà de cet événement majeur que fut l’indépendance formelle des territoires colonisés. Aucune des réformes jusqu’ici promises ou/et entamées par les présidents français de la République successifs n’a abouti, tant les intérêts financiers et politiques en jeu sont grands, tant eux-mêmes dépendent de ce système pour leur réélection. Au mieux a-t-on assisté à de nouvelles formes toujours plus subtiles de prédation, adaptées aux contextes international, législatif et financier du moment. S’étant épanoui dans le cadre de la guerre froide, le système a résisté aux bouleversements internationaux des années 1990, notamment à la chute du mur de Berlin. Il a passé outre la loi française de 1995 sur le financement de la vie politique, qui encadre les possibilités de dons privés dans le cadre des campagnes électorales. Comme le montrent dans le livre Olivier Blamangin et Thomas Borrel, il a emprunté les nouveaux chemins du néolibéralisme économique. En effet, des entreprises françaises déjà présentes sous la colonisation ou des groupes puissants comme celui de Bolloré ont, de par leur proximité avec les leaders africains et grâce aux réseaux de l’État français, largement profité des vagues de privatisation d’entreprises publiques en Afrique dictées par les programmes d’ajustement structurel de la Banque mondiale.
Les acquisitions en série leur ont permis d’étendre leur empire.

Quel coût de la Françafrique pour les sociétés, les économies et les démocraties françaises et africaines?

Restent quelques questions qui mériteraient de plus amples développements, notamment celui du coût – s’il est mesurable – d’un tel système pour les sociétés africaines certes, mais aussi pour la société française. Comme le montre l’ensemble du livre, les premières ont payé le prix fort, humain et économique, du pillage organisé de ressources qui auraient pu servir d’autres buts que celui d’assurer le bien-être économique des élites africaines et la carrière politique des élites politiques françaises.
Ce qu’a gagné ou perdu la société française est plus difficile à cerner. L’exploitation des ressources du continent africain pendant ou après la décolonisation a certainement participé au développement économique et social de la métropole. Les citoyens français ont néanmoins été eux-mêmes mis à contribution pour payer une aide au développement ou militaire qui, bien souvent, est revenue dans les poches d’entreprises souvent peu scrupuleuses, d’experts et d’intermédiaires multiples et variés, dont un certain nombre se sont enrichis personnellement au passage, ou tout simplement sous forme de dons occultes aux partis politiques français.
La deuxième question concerne la nature même de notre démocratie française, laquelle s’est construite parallèlement à la colonisation et à la décolonisation. Le projet libéral politique dont elle est porteuse s’est à l’origine bâti, comme bien d’autres démocraties si l’on en croit Dominico Losurdo2, sur l’exploitation économique et l’exclusion, notamment raciale. Ce livre montre à quel point la compétition électorale au sein de la République française s’est également appuyée, et s’appuie encore, sur la corruption, une corruption certes externalisée, mais qui n’en remet pas moins en cause les bases mêmes de notre État de droit. Ceci ne devrait-il pas inciter des organisations comme Transparency International à revoir leur échelle des pays corrompus, comme le fait remarquer Mlada Bukovansky3 ? Si une grande partie des régimes africains sont montrés du doigt du fait de leur corruption endémique, qu’en est-il de la France qui encourage et alimente cette corruption?
La troisième question concerne l’environnement financier international qui a permis à ce système de s’épanouir et de perdurer, autrement dit les instruments et les pays (les paradis fiscaux notamment) qui ont rendu possible de tels détournements d’argent public. L’analyse d’un tel système permettrait d’inclure la Françafrique dans le cadre d’une analyse plus large de réseaux internationaux plus ou moins mafieux et d’institutions (banques ou bureaux de consultant) encourageant ce genre de pratiques.

La Françafrique: une spécificité française?

La quatrième question tient précisément à la spécificité «française » de ce système.
Des livres tel que celui de Ludo De Witte4, montrant la complicité des autorités belges dans l’assassinat de Patrice Lumumba, leader de l’indépendance congolaise et premier Premier ministre du Congo indépendant, et ceux de Jean Claude Willame5 et de Colette Braeckman6 sur le régime Mobutu laissent entendre qu’une Belgoafrique non moins prédatrice existe. Les réseaux africains du Mouvement réformateur (parti libéral) ont récemment été décriés par certains journalistes7. Des scandales ont éclaboussé certains de ses membres : l’ex-bourgmestre de Waterloo, M. Kubla, est suspecté par la justice belge d’avoir versé en 2009 des pots-de-vin à l’ancien Premier ministre congolais Adolphe Muzito dans le but d’obtenir une autorisation d’exploitation d’une mine pour l’entreprise italo-suisse Duferco, recevant en échange des centaines de milliers d’euros de cette dernière. Sont également critiqués les liens étroits d’hommes politiques éminents, notamment Louis Michel, ancien ministre des Affaires étrangères (1999-2004) et commissaire européen en charge du développement (2004-2009), avec l’homme d’affaires belge George Arthur Forrest, dont le groupe, présent depuis 1922 au Congo, s’est taillé un empire au Katanga. Ce dernier est soupçonné – soupçons confirmés après une enquête de l’ONU rendue publique en 2002 – de faire partie du clan Kabila au pouvoir et d’avoir financé les campagnes électorales de ce dernier. L’on citera également les 150 articles et rapports publiés par Mediapart et ses partenaires à l’automne 2021 concernant les détournements de fonds en République démocratique du Congo («Congo hold-up »), dans lesquels sont impliqués l’ancien président Joseph Kabila, l’actuel président Félix Tshisekedi, des entreprises belges et françaises.
Le cas de l’Angleterre avec ses anciennes colonies, si souvent considéré comme différent, pour ne pas dire exemplaire, ne recèle-t-il pas aussi ses zones d’ombre? Celles par exemple des camps de concentration accompagnant la décolonisation du Kenya, que des historiens comme Caroline Elkins et David Anderson ont mises à jour dans les années 2000 à partir d’archives jusqu’ici bien cachées8 ? Celles, comme le montre Poppy Cullen9, de la cooptation par la Grande-Bretagne des élites postcoloniales tel que Kenyatta et la mise en place de tout un système d’interdépendance économique et militaire, peut-être plus discret mais non moins efficace, en termes de domination, que celui de la France ? L’affaire récente des Pandora Papers a jeté quelques doutes sur la provenance de la fortune de l’ex-Premier ministre Tony Blair, lequel par l’intermédiaire de son institut, l’Institute for Global Change (TBI), a mis en place des cellules d’experts pour accompagner les chefs d’État africains dans l’accélération de leurs projets prioritaires… un business juteux apparemment, autant que celui de Bernard Kouchner, dont les rapports de consultants concernant les réformes de systèmes de santé en Afrique ont été aussi inutiles qu’onéreux si l’on en croit Benoît Collombat. La spécificité française ne viendrait-elle pas plutôt de la ténacité de journalistes tel que François-Xavier Verschave ou de juges telle qu’Eva Joly, de la formation d’alliances entre divers acteurs qui ont permis de mettre durablement à jour un tel système et de le rendre condamnable?
Comparer les systèmes judiciaires et les coalitions d’acteurs entre ces pays serait intéressant pour comprendre pourquoi certaines affaires voient le jour et débouchent – ou pas – sur un procès et une condamnation.

Comment sortir de la Françafrique?

La dernière question d’ailleurs est la suivante: comment lutter contre un tel système? Comme le prouvent certains exemples analysés dans ce livre, en en exploitant les failles et en formant des réseaux adverses fondés sur d’autres valeurs que celles de l’argent et du pouvoir. Le système de la Françafrique repose en effet sur un réseau de personnalités aux égos démesurés, cupides et avides de pouvoir, qui redoutent terriblement de voir leur réputation entachée, d’où les nombreux procès en diffamation qu’elles ont intentés contre les journalistes, les lanceurs d’alerte et les associations dénonçant leurs pratiques (voir le chapitre de Thomas Deltombe, p. 451-454). Seule une alliance entre activistes, journalistes, universitaires et avocats/juges, en Afrique, en France et plus largement au niveau mondial, peut contribuer à rendre publiques les actions moralement douteuses de ces personnalités politiques et économiques. Cette mise en transparence de la Françafrique est-elle toutefois suffisante pour pousser les citoyens à demander des comptes et des changements législatifs ? À quand un balai citoyen version française ?
Les théories néo-institutionnalistes nous enseignent que si une institution ne change pas facilement, de petites modifications à la marge, encouragées par un environnement spécifique, de nouvelles coalitions autour et dans l’institution peuvent parfois amener à long terme à des évolutions beaucoup plus importantes. Espérons que ce livre et les débats qu’il suscitera constitueront une étape supplémentaire dans ce processus.

Véronique Dimier
Université libre de Bruxelles

[Notes :]
1. P. Pierson, «The Path to European Integration: A Historical Institutionalist Analysis», Comparative Political Studies, vol. 29, n° 2, 1996, p. 123-164 ; K. Thelen, How Institutions Evolve: The Political Economy of Skills in Germany, Britain, the United States, and Japan, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.
2. D. Losurdo, Contre-histoire du libéralisme, Paris, La Découverte, 2006.
3. M. Bukovansky, «Corruption Rankings: Constructing and Contesting the Global Anti-Corruption Agenda», in A. Cooley et J. Snyder (dir.), Ranking the World: Grading States as a Tool of Global Governance,
Cambridge, Cambridge University Press, 2016, p. 61-84.
4. L. De Witte, L’assassinat de Lumumba, Paris Karthala, 2000.
5. J.-C. Willame, L’automne d’un despotisme. Pouvoir, argent et obéissance dans le Zaïre des années quatrevingt, Paris, Karthala, 1992.
6. C. Braeckman, Le dinosaure. Le Zaïre de Mobutu, Paris, Fayard, 1992.
7. Voir par exemple les articles de M.-C. Royen, «Les réseaux africains du MR», Le Vif, 12 mars 2015; L. Colart, «Affaire Duferco: le procès de Serge Kubla s’ouvrira le 19 janvier», Le Soir, 29 décembre 2021.
8. C. Elkins, Britain’s Gulag: The Brutal End of Empire in Kenya, Londres, Pimlinco, 2005 ; D. Anderson, Histories of the Hanged: The Dirty War in Kenya and the End of Empire, New York/Londres, W.W. Norton, 2005.
9. P. Cullen, Kenya and Britain after Independence: Beyond Neo-Colonialism, New York, Palgrave Macmillan, 2007.

Le point de vue de Rahmane Idrissa



Françafrique: l’idée qui ne veut pas mourir

C’est pour moi une gageure que de «débattre» de cet ouvrage. J’admire l’immensité du travail investi, et vois combien ses auteurs ont, comme on dit en anglais, « le cœur à la bonne place ». Le livre est de bout en bout déprimant, ne laissant, en conclusion, aucune porte franchement ouverte à l’espérance, cette source nécessaire de toute action politique créatrice. Mais en contraste avec cette amertume de fond, le texte est, à la lecture, fluide et entraînant, tissé qu’il est de récits, d’anecdotes et de thèses nettes émaillées d’illustrations et de références bien amenées. Il a l’acabit non pas tant d’un texte universitaire que presque d’un classique, ce qui est rare pour un livre collectif.
Son unité de ton et d’intention transcende la diversité des auteurs et produit le type très particulier de plaisir qu’on ne trouve généralement que dans la fréquentation des travaux d’un seul esprit. Et cependant, je l’ai lu avec plus d’inquiétude que de plaisir, plus de réticence que d’adhésion.
D’abord, comme l’indique du reste le bandeau de l’éditeur – «Guerres, pillages, racisme, coups d’État, corruption, assassinats…» –, il s’agit d’un réquisitoire. La réponse à lui apporter devrait donc être soit celle du juré convaincu (ou pas), soit celle de l’avocat de la défense. Or je ne veux être ni l’un, ni l’autre. Ensuite, je l’ai lu à partir de l’Afrique subsaharienne francophone où son propos ne peut avoir le sens que lui assignent les auteurs, à savoir éveiller des consciences assoupies, ou qui se bouchent plus ou moins délibérément les oreilles, à la réalité d’un empire colonial qui, pour perdurer dans son être au-delà de sa date d’expiration, se serait transformé en une entité exceptionnellement maléfique et endurante – la Françafrique. Dans la région africaine susmentionnée, les consciences ne sont pas assoupies et les gens ne se bouchent pas les oreilles : la Françafrique y est un article de foi et une explication universelle des déboires des pays, élément qui est, à mes yeux en tout cas, un problème.

Françafrique ou politique d’empire?

Je ne suis pas en complet désaccord avec les auteurs. Je pense comme eux qu’il existe une spécificité malsaine dans les relations entre la France et ses anciennes colonies subsahariennes, et cette spécificité est bien saisie par le titre «l’Empire qui ne veut pas mourir». Les empires ne veulent généralement pas mourir et, parfois, les colonies ne veulent pas devenir libres. «À la fin des empires », écrit l’historien Simon C. Smith, « dépendance et indépendance ont fréquemment coexisté, et souvent de façon désagréable1 ». La spécificité française en Afrique subsaharienne réside dans le fait que cette «coexistence désagréable» a été délibérément organisée par l’ancienne métropole au point de mettre en place un régime de – pour reprendre les termes de Richard Joseph – «colonisation indirecte2 ». Le caractère singulier de ce régime peut accréditer la notion de «Françafrique », et le livre dépeint et analyse avec brio le système ainsi généré, quoiqu’exclusivement à charge.
Cet aspect réquisitoire est regrettable de deux points de vue : d’une part, il introduit un biais déductif dans l’analyse des faits chroniqués ; et d’autre part, il appauvrit le réel pour les besoins de la cause. Un réquisitoire n’est pas nécessairement source de fausseté.
Au contraire, il doit entraîner la conviction en se fondant sur des preuves, et certains des auteurs sont d’ailleurs des historiens et des journalistes d’investigation soucieux d’adopter de bonnes méthodes et conscients des exigences de la démonstration par la preuve empirique. Néanmoins, ne sont convoquées, dans un tel exercice, que les preuves à charge, tandis que les preuves à décharge, lorsqu’elles sont éventuellement évoquées, sont minimisées. C’est le cas, par exemple, de celles assemblées par Klaas van Walraven dans son article publié par cette revue, «“Opération Somme”: la French Connection et le coup d’État de Seyni Kountché au Niger en avril 19743 », article qui démontre que la France n’était pas l’inspiratrice du putsch en question. Dans le cadre du livre, ces preuves n’ont pas paru recevables face à l’accusation lancée contre la France d’avoir eu besoin d’un homme de main (Kountché en l’occurrence) pour s’assurer l’accès à un uranium bon marché au Niger en renversant le patriotique président Diori. Je recommande au lecteur de lire l’article de van Walraven pour se faire une opinion indépendante. De plus, van Walraven est l’auteur d’un ouvrage de plus 900 pages sur le mouvement anticolonial Sawaba au Niger4, ouvrage animé d’une colère froide vis-à-vis de la France (et de Diori!) – et l’article mentionné ci-dessus a du reste été écrit dans l’optique de faire un pied de nez magistral à la politique néocoloniale de ce pays. Il est vrai que van Walraven ne croit pas en l’existence de la Françafrique.
La preuve cède donc quelque peu le pas à une sorte de conviction déductive: savons-nous vraiment, par exemple, que ce sont les services français qui ont éliminé ou organisé l’élimination de Thomas Sankara? Cela est avancé comme une évidence dans le livre, mais sans qu’aucun élément nouveau – en dehors des spéculations qui se fondent précisément, par voie de déduction, sur la notion de «Françafrique » – ne vienne nous éclairer empiriquement sur ce point. Ce ne fut d’ailleurs pas la seule fois où mon instinct d’historien s’est rebiffé devant une accusation très grave reposant sur un récit qui donne le statut de fait à ce qui serait au mieux une hypothèse, et qui mêle le probable et le certain sans prévenir le lecteur de la nuance nécessaire à faire entre les deux. Cela tient, bien sûr, au fait qu’il ne s’agit pas ici d’un ouvrage purement universitaire, mais cela n’en reste pas moins fâcheux.
L’un des objectifs du livre est de conférer à la notion de «Françafrique» une légitimité dans l’arène publique et intellectuelle, à travers un narratif historique sérieux et abondant qui construirait son irréfutabilité par le biais de la «chronique», c’est-à-dire de l’histoire événementielle. La notion me semblait excessive avant la lecture du livre, et me paraît toujours aussi excessive après. Un phénomène historique prolongé qui serait, sans nuance, négatif ou positif est à mes yeux bien rare, et l’excès interprétatif, dans un sens comme dans l’autre, me laisse dubitatif. Il fut un temps où, à cause du consensus et de l’espèce de pensée unique qui règnent sur le sujet en Afrique francophone subsaharienne – au point qu’un chanteur populaire ivoirien, Tiken Jah Fakoly, en a fait un tube –, je me suis forcé à croire en la chose, par esprit moutonnier. J’y ai d’autant moins réussi qu’en tant qu’historien, j’ai mené des projets de recherche qui m’ont révélé, sur les rapports entre la France et ses anciennes colonies subsahariennes, une complexité qui résiste à des caractérisations uniformément négatives (postulat du livre) ou purement positives. Surtout, au fil de telles recherches, j’ai forgé, sur ces rapports, une perspective incompatible avec la notion de «Françafrique», et qu’il est utile d’exposer, même très brièvement, dans le cadre d’un tel débat.
Je pars du constat que la France, à l’instar de quelques autres pays, a une politique d’empire. Cette politique d’empire française a existé longtemps avant la colonisation de l’Afrique – il faudrait remonter au moins à Richelieu et à Colbert, voire à François Ier – et ne s’est pas éteinte avec la décolonisation. Mais elle change avec le temps. Après la crise du canal de Suez, moment où la France et la Grande-Bretagne ont découvert qu’elles étaient des «puissances moyennes», cette dernière s’est engagée dans une renonciation lente mais continue à sa politique d’empire, largement récupérée par les États-Unis – tandis que la France a préféré conserver la sienne, en tout cas là où cela restait possible, en Afrique subsaharienne, en grande partie (mais pas uniquement) en vue de préserver une autonomie stratégique vis-à-vis des nouveaux empires, les États-Unis et l’URSS.
Notons que ce fait précis confirme la formule «l’Empire qui ne veut pas mourir». Quoi qu’il en soit, ce comportement de la France procède d’une rationalité lisible à l’aune de la théorie du calcul d’intérêt stratégique de l’école réaliste des relations internationales.
Cela signifie que son programme impérial est mutable suivant la façon dont sont définis ses intérêts, les évolutions de l’environnement international, et la manière dont les États africains définissent de leur côté leurs intérêts.
Cela étant posé, le fait est que, durant la période de la guerre froide, les pays à politique d’empire – les États-Unis, l’URSS et la France – ont chacun réussi à créer des «glacis » régionaux où devait s’exercer leur influence exclusive : Amérique latine pour les États-Unis, Europe de l’Est et Asie centrale pour l’URSS, Afrique subsaharienne francophone pour la France. Au sein de ces glacis, les interventions militaires du centre impérial étaient fréquentes et l’appareil de contrôle était très élaboré, institutionnalisé à l’extrême dans le glacis soviétique et de façon plus lâche dans le glacis américain, avec le glacis français offrant une « solution» intermédiaire. Mais tous ces glacis se sont mis à «fondre » avec la fin de la guerre froide, de façon plutôt abrupte pour l’URSS, et de manière plus graduelle s’agissant des États-Unis, avec la France représentant, ici aussi, un entre-deux, un effondrement plus rapide mais moins précipité. Je n’entre pas davantage dans les détails, au vu de l’espace alloué. Cependant, je devais rendre compte de ce point de vue car il offre une explication plus élaborée à ma résistance à la notion de «Françafrique». Il m’est par exemple impossible, de ce fait, de croire que le programme impérial français soit immarcescible, comme il semble l’être quand il apparaît sous les traits de ce monstre ayant une adaptabilité infinie, à savoir la Françafrique dépeinte par les auteurs, ou conçue par les Africains.

Lu d’Afrique

Tout ce qui précède est une réaction à l’aspect réquisitoire du livre, et je voudrais, pour finir, dire un mot de l’aspect « lu d’Afrique».
Ce point ne concerne pas le contenu du livre, mais son sens dans l’espace politique africain. Bien que n’étant plus ce qu’elle était, la politique d’empire de la France en Afrique n’est pas morte, et il importe donc de l’étudier. L’avantage de ce livre est qu’en insistant sur les continuités, il nous offre une bonne appréhension de son enracinement dans le temps, même si le fait de minorer les ruptures empêche de jauger l’avenir. À partir de l’Afrique, je vois, pour ma part, des ruptures : certainement l’année 1994, qui combine la dévaluation du franc CFA – plus voulue par le FMI que par la France et réduisant de fait la suzeraineté française sur cette monnaie – et le génocide des Tutsi au Rwanda, «effondrement intellectuel» de l’État français (ou de l’Élysée) aux dires, fort crédibles, de l’historien Vincent Duclert. Si l’emprise africaine du secteur français de la défense – celui qui, ultima ratio regum, maintenait jadis le glacis – a plus ou moins résisté aux coupes claires d’un État français frappé par des nécessités économiques, le ministère de la Coopération s’est étiolé avant de disparaître corps et biens. C’est à ce ministère que la plupart des intellectuels francophones d’Afrique subsaharienne (moi y compris) doivent leur prime accès à une culture textuelle cosmopolite, à travers le vaste don gratuit de la littérature mondiale qu’il faisait aux bibliothèques municipales et scolaires des capitales et des villes de province de leurs pays. Était-ce là aussi de la politique d’empire? Il le semble. Les auteurs du livre rappellent que ce genre d’offrande s’inscrivait dans une entreprise de «conquête morale» jadis théorisée par le fonctionnaire colonial Georges Hardy, et commentée à nouveaux frais par François Mitterrand dans ses Réflexions sur la politique extérieure de la France5. Il est curieux, dans ce cas, que les critiques les plus acerbes et les moins généreux de la France soient précisément ces personnages qui ont reçu ses libéralités, qui ont par ailleurs un inévitable côté émancipateur. Genre de détail qui renvoie à la complexité et à la complication des rapports entre la France et ses anciennes colonies subsahariennes dont je parlais plus haut.
Mais, dans le contexte africain, la notion de «Françafrique» sert à une simplification idéologique de la nature de ces rapports, simplification véhiculée par la majorité des intellectuels et propagée, de façon encore plus réductrice et émotionnelle, dans l’opinion publique, notamment, ces derniers temps, grâce aux réseaux sociaux. Il en résulte une sorte de rétrécissement intellectuel du discours politique dans la région. En vertu de l’axiome «plus ça change, plus c’est la même chose » – que le livre accepte également –, les intellectuels se sont persuadés que nous, en Afrique subsaharienne francophone, sommes encore des colonies ; que nous sommes toujours engagés, comme dans les années 1950, dans une lutte de libération nationale; que nos États étant des néocolonies, nos dirigeants sont des gouverneurs coloniaux ; et que même nos instances régionales – la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) par exemple, qui compte pourtant des pays anglophones parmi ses poids lourds – sont à la solde de la France. Le fait de continuer à vivre à l’heure de la lutte pour la libération nationale empêche nos intellectuels de réfléchir à quoi faire de la part de liberté que nous avons bel et bien acquise depuis 1960. L’idée règne, comme vers 1950, mais de façon bien moins convaincante, que tous nos problèmes seraient résolus comme par enchantement le jour où la France cessera de nous dominer; et que toute autre domination – par exemple celle des nouveaux pays à politique d’empire, telles que la Chine ou la Russie – vaut mieux que celle dénommée Françafrique. On voit de ce fait des événements grotesques comme ceux du Mali, où une junte est applaudie à tout rompre dans les capitales francophones pour avoir évincé le «gouverneur néocolonial» du cru (Ibrahim Boubacar Keïta) avant d’inviter une « coopération russe » qui se fait payer par le biais d’un accès privilégié aux richesses minières du pays, « crime » qu’on accusait pourtant les Français de vouloir commettre à travers leur intervention militaire sans frais pour l’État malien.
Dans une telle ambiance, un livre tel que celui-ci – aussi louables que soient ses intentions – suscite mes inquiétudes plutôt que mes applaudissements.

Rahmane Idrissa
Université de Leyde

[Notes :]
1. S. C. Smith. «Dependence and Independence: Malta and the End of Empire », Journal of Maltese History, vol. 1, n° 1, 2008, p. 47.
2. R. Joseph. «The Gaullist Legacy: Patterns of French Neo-Colonialism», Review of African Political Economy, n° 6, 1976, p. 4-13. Joseph insiste notamment sur l’aspect bureaucratique et officiel du néocolonialisme français en Afrique, qui le distingua, au moins jusqu’au milieu des années 1990, de néocolonialismes plus informels, et le rapproche ainsi de la pratique coloniale directe. Cette analyse est en phase avec celle présentée dans le livre. Voir aussi le travail de Jean Suret-Canale portant sur l’emprise économique de la France au cours des trente premières années de l’indépendance, Afrique et capitaux. Géographie des capitaux et des investissements en Afrique tropicale d’expression française, Paris, L’arbre verdoyant, 1987.
3. L’article a été publié dans Politique africaine, n° 134, 2014, p. 133-154.
4. Ouvrage paru en anglais sous le titre Yearning for Relief: A History of the Sawaba Movement in Niger, Boston/Leyde, Brill, 2013. J’en ai assuré la traduction en français, publiée sous le titre Le désir de calme. L’histoire du mouvement Sawaba au Niger, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017.
5. François Mitterrand, Réflexions sur la politique extérieure de la France, Paris, Fayard, 1986.

La réponse des auteurs



Thomas Deltombe, Thomas Borrel, Amzat Boukari-Yabara et Benoît Collombat

Pour une analyse systémique de la Françafrique

L’Empire qui ne veut pas mourir part d’une interrogation : pourquoi la notion de Françafrique, pourtant si mal étudiée, est-elle si décriée ? Le terme suscite en effet un rejet immédiat, presque viscéral, dans les sphères dominantes de la société française.
Responsables politiques, journalistes, universitaires sont nombreux à affirmer que ce néologisme ne «correspond pas » – ou «plus» – à la «réalité», que pareil vocable relève d’un registre «militant » largement dépassé et qu’il alimente toute sorte de fantasmes aux relents complotistes. Selon cette ligne argumentative, les gens qui utilisent ce terme ne seraient pas sérieux.
Mais combien sont-ils, parmi ces contempteurs, à avoir étudié l’histoire de ce mot qu’ils vouent aux gémonies : son origine, son évolution, ses possibles définitions? Aucun d’entre eux, en tout cas, n’a pris la peine d’en explorer sérieusement la généalogie. Ils auraient alors découvert que le mot «Françafrique» n’est ni une invention sémantique de Félix Houphouët-Boigny, comme le veut une légende sans cesse ressassée, ni le slogan militant auquel le réduisent les commentateurs pressés.
Le mot apparaît en réalité dès le 15 août 1945 – au lendemain de la capitulation japonaise – à la une d’un journal français à gros tirage. Alors que la guerre s’achève, la France doit rénover son Empire colonial, socle de sa puissance, plaide ce jour-là Jean Piot, éditorialiste du journal L’Aurore. Pour ce faire, recommande-t-il, elle doit s’inspirer du Commonwealth britannique, dont la souplesse garantit selon lui la longévité, et concentrer ses efforts «sur l’essentiel – sur ce qui, dans le monde nouveau, doit faire, à l’avantage commun, bloc avec nous : sur ce que j’appellerai la “Françafrique”1 ».
Avant même la naissance de la IVe République, l’idée de «Françafrique », conçue comme le cœur battant d’un Empire français modernisé capable de rendre à la métropole son « rang» dans le monde, était donc clairement évoquée. Sans que le mot soit encore adopté, elle trouvait un certain écho dans les classes dirigeantes françaises. Pierre Mendès France, François Mitterrand, Charles de Gaulle lui-même, et tant d’autres avec eux, n’allaient pas tarder à s’en faire les promoteurs. La ligne directrice de notre travail était ainsi tracée : nous nous proposions d’étudier comment cette idée avait émergé, comment elle s’était concrétisée et comment elle avait évolué, depuis les années 1940 jusqu’à nos jours.
Cette ambition répondait à une double frustration de lecteurs. Frustration d’abord devant la rareté des ouvrages cherchant à inscrire l’histoire des relations franco-africaines dans la longue durée. Cette histoire est trop souvent découpée en segments discontinus: on érige quelques dates dites «charnières» en tournants décisifs (1945, 1958, 1960, 1989, 1994, 2001…) et on postule ainsi des «ruptures» historiques dont la pertinence mérite pourtant d’être questionnée. Frustration surtout devant cette littérature qui, refoulant a priori toute continuité entre le passé et le présent, tend à dépolitiser les questions historiques – sous prétexte, souvent, de ne pas «juger le passé avec les yeux d’aujourd’hui» – et à entériner les discours des dirigeants français qui jurent en chœur, depuis quelques années, que leur pays à «rompu avec le passé» et que «la page est tournée».
Le projet que nous entreprenions ne pouvait évidemment être mené à bien sans le renfort d’une solide équipe. D’entrée de jeu, nous souhaitions qu’elle soit variée. Si les autrices sont moins nombreuses que les auteurs, comme Judith Scheele le regrette à juste titre, elle s’ouvre à différentes formes de savoir (académique, journalistique, syndical et associatif) et à une diversité de champs disciplinaires (histoire, philosophie, sociologie, économie, sciences politiques, etc.). Plutôt qu’afficher une factice «neutralité», nous avons donc plutôt misé sur la pluralité des parcours des contributeur·ice·s et sur la qualité de leurs travaux, indépendamment de leurs titres ou de leurs affiliations.

La «Françafrique» : transformer une notion polémique en cadre analytique

Si nous adoptons la notion de «Françafrique», et assumons ce choix, cela ne veut pas dire que nous en acceptons la définition généralement admise – ou, plus exactement, implicitement admise. Il y a en effet quelque chose de troublant dans cette notion polémique : tout le monde semble savoir ce qu’elle signifie mais personne ou presque n’en donne la définition. C’est ce qui apparaît, par exemple, dans le commentaire de Rahmane Idrissa, lorsqu’il réduit la Françafrique à une «chose», à laquelle – ajoute-t-il – il se serait
«forcé » à « croire» dans sa jeunesse, par simple «esprit moutonnier». Et c’est ce qui apparaît plus généralement dans la plupart des commentaires, journalistiques ou universitaires, qui la considèrent, par hypothèse, comme une chimère informe qui ne mérite guère l’attention des esprits cultivés.
C’est pour rompre avec cette paresseuse habitude que nous proposons, dès l’introduction du livre, une nouvelle définition de la Françafrique. Loin de désigner seulement le versant occulte, illégal ou crapuleux des relations franco-africaines, ce mot mérite selon nous une acception plus large. Il s’agit d’un système politique, économique, culturel et institutionnel, schématiquement composé de deux facettes complémentaires: un volet occulte certes, fait de réseaux parallèles, de trafics illégaux et de barbouzeries ; et un volet officiel déployé par une myriade d’institutions reconnues, identifiés et souvent célébrées (dont celles de l’«État franco-africain» dont parle Jean-Pierre Dozon2, mais pas uniquement, car les acteurs non étatiques ne sont pas en reste).
Comme le souligne très justement Judith Scheele, qui prend au sérieux les questions sémantiques que nous tentons de soulever, nous procédons donc à une « redéfinition» de la Françafrique, désormais décrite «comme un fait structurel plutôt que scandaleux» ou, pour être plus précis encore, comme un fait structurel dont certains aspects pourraient – et même devraient – scandaliser, même quand ils ne sont pas sulfureux.
Car ce n’est pas parce que nous analysons la Françafrique comme un système, et non comme une collection de scandales, que nous la considérons comme un système «neutre» ou «acceptable». Il s’agit d’un système de domination, qui prolonge, perpétue et réinvente le système colonial dont il est l’héritier, et avec lui sa cohorte de violences, d’injustices et d’inégalités.
Tel est d’ailleurs ce qui perturbe Rahmane Idrissa qui, à la seule vue du bandeau apposé sur la couverture de l’ouvrage et sans percevoir le déplacement notionnel proposé quelques pages plus loin, qualifie notre travail de « réquisitoire». Adoptant une posture qui rappelle en tout point le «juste milieu» que brocardait jadis Max Weber3, le chercheur nigérien rattaché à l’université de Leyde (Pays-Bas) nous appelle à plus de mesure. Ne faut-il pas, dit-il en convoquant son cas personnel, considérer aussi les bienfaits d’un système qui offre aux « intellectuels francophones d’Afrique subsaharienne» leur «prime accès à une culture textuelle cosmopolite»?
Pour notre part, nous refusons d’emprunter cette voie qui met en balance, comme s’il s’agissait de justice, le destin de quelques Africains «méritants» qui accèdent à des postes de prestige et le sort moins enviable de tous les autres. Notre objectif n’est pas plus d’identifier les aspects prétendument positifs de la colonisation que de saluer les supposés bienfaits du système françafricain. On s’étonne d’ailleurs, à la lecture du compte-rendu de Rahmane Idrissa, que les écrits de Jean-Paul Sartre, d’Aimé Césaire, de Frantz Fanon et de tous ceux qui ont mis en pièces la «mystification néocolonialiste» aient été si prestement oubliés.
«Les néocolonialistes pensent qu’il y a de bons colons et des colons très méchants», ironisait Jean-Paul Sartre : on stigmatise les seconds pour mieux louer les premiers – et réhabiliter ainsi le système tout entier4.
Un mot s’impose ici sur la théorie qui voudrait que la Françafrique ait été inventée par les franges les plus conservatrices du colonialisme français. On trouve par exemple cette théorie dans le rapport qu’Achille Mbembe a rendu au président Macron en 2021.
Distinguant à sa manière les «bons colons» et les «colons très méchants» évoqués par Sartre, l’historien camerounais y oppose les milieux coloniaux réactionnaires, dont les positions « serv[ir]ent de prémices à ce qui, au lendemain de la décolonisation, deviendra[it] la “Françafrique”», aux partisans de la modernisation coloniale, qui développèrent selon lui une vision «réformiste, et à certains égards, anticolonialiste5 ». Nos recherches nous amènent à des conclusions diamétralement opposées : c’est précisément pour contrer le conservatisme des milieux coloniaux traditionnels, dont l’acharnement rétrograde mettait en péril le système colonial, que les milieux coloniaux réformistes en ont promu une version alternative, plus souple et plus ouverte, capable de rallier aussi bien les franges les moins obtuses du colonat que les élites africaines dites «modérées» désireuses d’accéder à des postes de responsabilités (celles que Nicolas Bancel appelle les «élites de compromis6 »).
Ainsi, c’est le courant réformiste colonial, bien décidé à sauvegarder ce qui pouvait l’être face à l’offensive des mouvements anticolonialistes, qui a enfanté le système françafricain dans le courant des années 1950. La Françafrique est, d’une certaine manière, le paravent «anticolonialiste» que les élites franco-africaines ont adopté pour assurer la perpétuation de leurs intérêts impériaux en Afrique.

Des «ruptures» en trompe-l’œil: de la nécessité de l’histoire longue

L’indépendance des colonies africaines de la France, en 1960, est l’exemple type du «tournant historique» en trompe-l’œil. Si la transformation de ces territoires en États indépendants marque une étape, il est curieux qu’elle soit encore décrite comme une «rupture» dans tant d’ouvrages, d’articles et de manuels scolaires. Tout a été fait en réalité pour que le «divorce» n’ait pas lieu, les dispositifs que nous qualifions de françafricains et que le langage officiel appelait «coopération» ayant justement pour fonction d’empêcher que les indépendances incitent les jeunes États à rompre avec la métropole et à interrompre la trajectoire historique sur laquelle cette dernière les avait emmenés.
C’est par méfiance à l’égard des fausses « ruptures » historiques que nous nous sommes attachés à inscrire dans le temps long notre analyse du système françafricain.
Bien que notre récit débute à l’orée de la Seconde Guerre mondiale, la première partie revient, ainsi que le souligne Véronique Dimier, sur les «prémices de ce système » : le poids des hiérarchisations raciales, les effets durables du système esclavagiste et les adaptations successives de la gouvernance coloniale, depuis le XIXe siècle jusqu’à la loi-cadre Defferre. Plutôt que de fixer arbitrairement une date de naissance à la
Françafrique, il nous a donc paru plus pertinent d’en explorer les racines profondes et la lente maturation.
Le livre de David Todd, A Velvet Empire: French Informal Imperialism in the Nineteenth Century7, paru aux États-Unis alors que nous rédigions le nôtre, nous conforte dans cette analyse. Mobilisant la notion d’impérialisme informel, développée de longue date par les historiens britanniques, David Todd montre que le néocolonialisme français n’est pas né après les indépendances du milieu du XXe siècle, mais au siècle précédent, après l’émancipation des colonies nord-américaines et caribéennes8. Les acteurs politiques et économiques français ont alors mis en place de nouveaux dispositifs de domination – financiers, juridiques, culturels – afin de maintenir une discrète tutelle sur divers pays étrangers. Soulignant que l’impérialisme français a, depuis 1815, mobilisé successivement, et parfois simultanément, des instruments de colonisation formelle (comme en Algérie) et de domination informelle (Haïti, Mexique, Égypte), l’historien inscrit explicitement l’histoire de la Françafrique dans cette longue trajectoire historique. Il est révélateur, écrit-il, que l’incapacité des élites dirigeantes françaises à démocratiser le régime colonial dans les années 1950 ait débouché en Afrique subsaharienne «non sur de véritables indépendances mais sur un néocolonialisme qui rappelle par plus d’un trait la domination informelle exercée par la France sur Haïti, le Mexique ou l’Égypte au XIXe siècle.
Ainsi la “Françafrique” s’appuie elle aussi à la fois sur des mécanismes institutionnels avantageant les acteurs économiques français et sur une complicité certaine avec les élites locales, tandis que son histoire est également ponctuée d’interventions militaires rappelant que l’empire informel ne repose jamais seulement sur le soft power9 ».
Ce que souligne Todd, et qui nous intéresse particulièrement dans l’étude de la Françafrique, c’est l’hybridité et la fluidité des systèmes impériaux. Ces derniers disposent d’une vaste palette de dispositifs, plus ou moins formels, plus ou moins coercitifs, plus ou moins visibles, qu’ils peuvent mobiliser pour assurer leur perpétuation tout en s’adaptant aux circonstances historiques. On retrouve cette caractéristique dans les travaux de Véronique Dimier, qui a étudié en détail les évolutions de la gouvernance coloniale dans la première moitié du XXe siècle. Les doctrines britanniques et françaises en la matière étaient à la fois moins rigides, moins différentes et moins incompatibles qu’on ne le dit généralement, démontre-t-elle dans Le gouvernement des colonies, regards croisés franco-britanniques10. Ainsi s’explique que les réformistes coloniaux français se soient abondamment appuyés sur les théories dites « britanniques », réputées plus libérales (indirect rule), pour justifier la transition du colonialisme direct à une forme plus moderne, plus souple et plus durable de gouvernance coloniale (colonialisme indirect). Tel est par exemple l’argument de l’éditorialiste Jean Piot, cité plus haut, lorsqu’il appelle les dirigeants français à s’inspirer du Commonwealth britannique. Ce que montre Véronique Dimier, c’est que ce «modèle britannique» n’est en réalité pas tellement différent de ce qu’une longue lignée de gouverneurs coloniaux français – depuis Faidherbe jusqu’à Lyautey – a théorisé et mis en pratique entre le milieu du XIXe et le milieu du XXe siècle. Loin d’être apparue subitement à la faveur des indépendances de 1960, la Françafrique s’inscrit dans le prolongement de cette longue tradition coloniale. Et c’est parce que ses racines sont plus profondes qu’on ne le croit qu’elle peine aujourd’hui à disparaître. Si la Françafrique apparaît comme un «monstre d’infinie adaptabilité », selon l’expression de Rahmane Idrissa, c’est simplement parce que ce système repose sur des bases idéologiques profondément enracinées et encore largement partagées. La Françafrique n’est pas morte car elle se nourrit d’une culture impériale encore bien vivace.

Une exception française

Inscrire l’avènement et l’évolution de la Françafrique dans la longue durée a en effet pour autre intérêt de mettre en évidence les invariants de cette histoire au long cours et les spécificités de la relation franco-africaine. Une des caractéristiques de cette relation est la croyance, profondément ancrée chez les élites hexagonales et partagée par une partie des élites africaines, dans l’«universalisme » français. La France, décrite comme le berceau des Lumières et comme la patrie des droits de l’Homme, occuperait une place singulière dans la hiérarchie des civilisations et dans l’ordre du monde. Elle serait appelée simultanément à occuper le premier « rang» sur la scène internationale et à faire profiter aux peuples moins favorisés de l’avance qu’elle aurait, dit-on, accumulée.
Cette étrange idéologie, par laquelle la France se pense en même temps supérieure et au service des «autres», explique en partie la relation très spéciale qu’elle entretient avec l’Afrique, continent universellement regardé comme le plus «sombre», le plus «en retard», le plus «sous-développé». Entre le «phare du monde» et le «cœur des ténèbres», une singulière relation devait, semble-t-il, naturellement s’instaurer. Figures en quelque sorte inversées, la «France » et l’«Afrique » seraient non seulement complémentaires mais indétachables, et potentiellement vouées à se fondre l’une dans l’autre : tel fut l’idéal porté explicitement par les partisans français de l’Eurafrique au milieu du XXe siècle et, implicitement, par les défenseurs de la Françafrique depuis lors.
La France aurait donc une «vocation africaine », comme l’écrivaient par exemple François Mitterrand dans les années 1950 ou Jacques Chirac dans les années 198011, et entretiendrait une «histoire d’amour » avec le continent africain, ainsi que le clamait Emmanuel Macron dans Jeune Afrique en novembre 2020, décrivant au passage la France comme «le pays de la créolisation, du métissage, des mariages mixtes12 ». Bref, la relation franco-africaine serait d’essence familiale, la France occupant au choix – ou simultanément – le rôle du père, du parrain, du tuteur ou du (grand) frère.
Cette envahissante familiarité, mélange singulier de «progressisme» et de conservatisme, explique aussi le consensus dont jouit en France l’idéologie (néo)coloniale (et qu’a par exemple souligné Tony Smith s’agissant de la IVe République13). Habillé de générosité, l’impérialisme français est défendu avec une ardeur similaire par les mouvements conservateurs et par les milieux dits «progressistes» (lesquels se scandalisent parfois de ses « excès» mais rarement de ses fondements).
Plongeant ses racines dans une très longue histoire et se prolongeant jusqu’à aujourd’hui, cette vision du monde explique aussi la croyance persistante dans la « mission » que la France serait appelée à jouer en Afrique (Jean-François Médard parlait à ce sujet du «messianisme français14 » en Afrique). Ainsi, les Africains, considérés à la fois comme «frères» et comme «sujets», pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Dozon15, auraient naturellement besoin que les Français leur viennent en aide.
Avant comme après les indépendances, ce cocktail idéologique particulier s’est matérialisé dans des dispositifs très concrets, détaillés dans notre ouvrage et qui marquent selon nous une indéniable spécificité française. Quel autre pays que la France a maintenu une présence militaire sur le continent africain sans discontinuer depuis 1830? Quelle autre puissance impériale a conditionné l’indépendance de ses anciennes colonies africaines à leur renoncement à des pans entiers de leur souveraineté (notamment monétaire) ? Quel autre pays s’est doté pendant des décennies d’un ministère spécifiquement consacré à l’Afrique (sous le masque de la «Coopération») ? Quel autre pays entretient des relations aussi cordiales, et depuis si longtemps, avec autant d’autocrates africains (dont certains sont les fils des autocrates qu’elle avait elle-même placés aux commandes)?
Quel pays, croyant nécessaire de défendre son «rang» en Afrique, s’est à ce point compromis dans le dernier génocide du XXe siècle ? Et dans quel pays, enfin, toute cette politique, mélange détonnant d’interventionnisme militaire, d’ingérence politique, d’intrusion économique et d’«aide au développement», est-elle menée sans quasiment aucun contrôle démocratique et dans une impunité judiciaire presque totale?
Ces quelques observations répondent à leur manière aux interrogations de Véronique Dimier sur la « spécificité» de la relation que la France entretient avec l’Afrique. Si les relations franco-africaines méritent évidemment d’être comparées, avec les relations anglo-africaines ou belgo-africaines notamment, elles nous apparaissent comme un cas spécifique, pour ne pas dire unique, dans l’histoire de l’impérialisme. D’où, une nouvelle fois, l’utilité du néologisme «Françafrique», en un seul mot, qui souligne le fantasme fusionnel dont les élites franco-africaines francophones peinent à se débarrasser. Comme le remarquait un collectif d’auteurs rassemblés en 2014 par l’association Survie, même quand elle parle de divorce, la famille françafricaine parvient à se recomposer16.

La fin de la Françafrique?

Cette relation spéciale n’est-elle pas, tout de même, en train de se normaliser ? La question, qui agite les milieux intellectuels et journalistiques depuis un quart de siècle, fait l’objet d’une longue discussion dans l’ouvrage. Si nous ne nions en aucune manière les évolutions, parfois profondes, qu’a subies la Françafrique ces dernières années, les arguments avancés par ceux qui décrètent sa mort à échéances régulières peinent à nous convaincre, et cela notamment parce que les «nouveautés» qu’ils mettent en avant
doivent souvent être relativisées.
Une des «nouveautés » souvent évoquées est l’intérêt croissant que la France porte aux États qui n’appartiennent pas à son traditionnel pré carré, à l’instar du Nigeria, de la Libye, de l’Afrique du Sud ou de l’Angola. Le problème est que cette «nouveauté» est déjà très ancienne, comme l’illustrent différents épisodes historiques plus ou moins connus : la guerre du Biafra à la fin des années 1960, le rapprochement franco-libyen dans les années 1970, la fourniture d’équipements militaires – y compris nucléaires – au régime d’apartheid sud-africain dans les années 1970-1980 ou l’«Angolagate » dans les années 1990-2000. Autant d’épisodes qui, sans même parler des ingérences françaises en République démocratique du Congo (dès les années 1960) et au Rwanda (dès les années 1970), montrent que la France s’est toujours intéressée de très près à ce qui se passe en dehors de ses ex-colonies.
Autre «nouveauté » souvent mise en avant: les « concurrences étrangères » et les «mouvements antifrançais» qui menaceraient la présence française en Afrique. Si leur ampleur peut surprendre et s’ils prennent des formes encore inconnues – du fait notamment du développement des réseaux sociaux –, ces deux phénomènes sont moins inédits qu’il n’y paraît. Une plongée dans les archives montre en effet qu’il s’agit de vieilles obsessions françaises (l’expression « sentiment antifrançais » étant d’ailleurs d’usage courant au siècle dernier) et que ces dynamiques ont déjà mené l’armée française à se retirer de tel ou tel pays par le passé, comme nous le rappelons dans le livre.
Du reste, c’est précisément pour faire face à cette double «menace » que le système (néo)colonial n’a cessé d’être réformé. Comme leurs prédécesseurs, les réformistes françafricains contemporains cherchent la parade, non pas pour mettre fin à la relation spéciale que la France entend entretenir avec l’Afrique mais, au contraire, pour la rénover et la prolonger. Il n’est pas anodin que le Président Macron ait placé le «Nouveau Sommet Afrique-France» d’octobre 2021 sous le signe de la «reconquête», ainsi qu’il l’expliquait quelques semaines plus tôt lors d’un discours prononcé en Afrique du Sud.

La responsabilité des élites

Une critique récurrente de la notion de Françafrique consiste à laisser entendre que celle-ci minorerait la responsabilité des dirigeants africains, voire déresponsabiliserait les peuples africains eux-mêmes, en faisant porter sur Paris l’entière responsabilité des «malheurs de l’Afrique ». Cette critique, qui transparaît dans la charge de Rahmane Idrissa contre notre livre «lu d’Afrique», est un refrain entonné de longue date dans les cénacles parisiens les plus conservateurs (on le retrouve par exemple dans le livre de Stephen Smith Nécrologie. Pourquoi l’Afrique meurt, publié en 200317). Ce reproche s’applique mal à L’Empire qui ne veut pas mourir, qui étudie en détail les stratégies des leaders africains dans leurs relations avec la France: stratégies d’alliance, de négociation, de contestation, de chantage qui montrent qu’ils n’ont jamais été des agents passifs dans l’histoire de la Françafrique. Ils en ont été des acteurs de premier plan et portent pour certains une lourde responsabilité dans son évolution, participant notamment à la
répression directe ou indirecte des mouvements de résistances populaires, dont le rôle est également analysé dans le livre bien que sa taille déjà conséquente n’ait sans doute pas permis, comme Judith Scheele le regrette, de donner toute leur place aux «populations africaines “ordinaires” ».
Reste que ce livre, parce qu’il cherche à comprendre les mécanismes de domination plutôt qu’à en étudier les seuls effets «par le bas », ne met pas sur le même plan les différents acteurs évoqués. Le risque de simplification existe, certes, mais c’est un danger plus grave qui menace selon nous les analyses de trop nombreux universitaires qui se gargarisent de « complexité » et s’honorent parfois un peu vite de scientificité. En brouillant les cartes à l’excès, en invisibilisant les jeux de domination, en dissolvant les responsabilités, en fuyant les sujets contentieux par crainte du « simplisme » ou du «militantisme», les élites académiques francophones ont laissé un «vide », comme le pointe justement Judith Scheele (à travers une citation bienvenue de Felwine Sarr).
C’est ce «vide» que notre travail voudrait contribuer à combler. Un vide que l’écrivain camerounais Mongo Beti, s’attaquant avec la verve qu’on lui connaît à l’intelligentsia franco-africaine, décrivait dans les années 1970 comme un silence complice. Car ce silence a des effets. Outre qu’il permet à quelques éminences de ménager leurs entrées dans les coulisses du pouvoir (comme l’illustre le cheminement récent d’Achille Mbembe), il laisse le champ libre aux bateleurs de foire qui se targuent sur les réseaux sociaux d’être les seuls « résistants». Le déficit d’analyses à la fois sérieuses et critiques place ainsi nombre de lecteurs intéressés par ces sujets face à un dilemme, tiraillés qu’ils sont entre un savoir acritique et une critique aveugle. C’est ce qui échappe à Rahmane Idrissa qui, disant craindre que notre travail n’alimente une «simplification idéologique» du débat et une propagation «émotionnelle» de l’information en Afrique de l’Ouest, appelle les universitaires à s’autocensurer sur l’usage de notions devenues un champ de bataille politique.
Notre ambition est simplement de fournir à celles et ceux que cela intéresse, africain·e·s ou non, une documentation solide, argumentée, compréhensible et sans concession. Ce qui est difficile dans le travail intellectuel n’est pas de produire des récits foisonnant de «complexité». C’est bien plutôt d’identifier les structures sociales et les rapports de force que le foisonnement de la réalité, par nature complexe, rend parfois imperceptibles, et aider ainsi les citoyen·ne·s à mieux comprendre – et à agir sur – le monde dans lequel ils et elles vivent. Nous militons pour un tel savoir, solide et engagé, qui laisse une juste place aux productions extra-universitaires et ne préjuge pas des capacités des lecteur·ice·s «non qualifié·e·s» à comprendre ce que nous essayons de partager.

Thomas Deltombe
Éditeur, éditions La Découverte

Thomas Borrel
Association Survie

Amzat Boukari-Yabara
École politique africaine

Benoît Collombat
Radio France

[Notes :]

1. J. Piot, «Éditorial», L’Aurore, 15 août 1945.
2. J.-P. Dozon, Frères et Sujets. La France et l’Afrique en perspective, Paris, Flammarion, 2003.
3. «Le “juste milieu” n’est pas le moins du monde une vérité plus scientifique que les idéaux les plus extrêmes des partis de droite ou de gauche. Nulle part l’intérêt de la science n’est à la longue davantage nié que là où l’on se refuse à voir les faits désagréables et la réalité de la vie dans sa dureté.» M. Weber, «L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociale», in M. Weber, Essais sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965 [1904], p. 155.
4. J.-P. Sartre, «Le colonialisme est un système », in J.-P. Sartre, Situations. V, Paris, Gallimard, 1955, p. 25.
5. A. Mbembe, Les nouvelles relations Afrique-France: relever ensemble les défis de demain, Paris, Présidence de la République, 2021, p. 62-63.
6. N. Bancel, Décolonisations? Élites, jeunesse et pouvoir en Afrique occidentale française (1945-1960), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2022.
7. D. Todd, A Velvet Empire: French Informal Imperialism in the Nineteenth Century, Princeton, Princeton University Press, 2021.
8. D. Todd, Un empire de velours. L’impérialisme informel français au XIXe siècle, Paris, La Découverte, 2022.
9. Ibid., p. 241.
10. V. Dimier, Le gouvernement des colonies, regards croisés franco-britanniques, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2004.
11. Voir par exemple F. Mitterrand, «La vocation de la France », in F. Mitterrand, Aux frontières de l’Union française, Paris, Julliard, 1953, p. 207; J. Chirac, «La vocation africaine de la France», Le Monde, 7 novembre 1981.
12. B. Roger et M. Ben Yahmed, «Emmanuel Macron: “Entre la France et l’Afrique, ce doit être une histoire d’amour” », Jeune Afrique, 22 novembre 2020. Voir aussi T. Deltombe, «Entre la France et l’Afrique, une histoire d’amour, vraiment ?», Afrique XXI, 6 octobre 2021.
13. T. Smith, «The French Colonial Consensus and People’s War, 1946-58», Journal of Contemporary History, vol. 9, n° 4, 1974, p. 217-247.
14. J.-F. Médard, «Les avatars du messianisme français en Afrique», in CEAN, L’Afrique politique 1999. Entre transitions et conflits, Paris, Karthala, 1999, p. 17-34.
15. J.-P. Dozon, Frères et Sujets…, op. cit.
16. F. Tarrit et T. Noirot (dir.), Françafrique. La famille recomposée, Paris, Éditions Syllepse, 2014.
17. S. Smith, Nécrologie. Pourquoi l’Afrique meurt, Paris, Calmann-Lévy, 2003.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024