Fiche du document numéro 3113

Num
3113
Date
Mardi 25 octobre 2011
Amj
Taille
48749
Titre
Interview d'Elie Ngezenubwo à Gishyita
Sous titre
Traduction de Vénuste Kayimahe
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Type
Interview
Langue
FR
Citation
ITW Elie
Nous allons maintenant interviewer Elie à Gishyita.
Q : Je vous ai déjà interrogé, et je voulais vous reparler de ce
que les Français ont fait à Gishyita. Est-ce que vous avez vu les
Français à Gishyita pendant le génocide ?
R : Je les ai vus, ils y étaient.
Q : Est-ce qu’il y a eu des attaques quand les Français étaient
là, des attaques contre les les tutsi survivant à Bisesero quand
les Français étaient là ?
R : Il y en a eu. Cela a eu lieu et je l’ai même dit la fois passée.
Q : Est-ce que tu peux te souvenir de la provenance des
miliciens qui sont venus attaquer les tutsi à Bisesero quand ?
R : Oui. Certaines attaques venaient…certains sont venus avec
des véhicules arrivaient de Rwamatamu accompagnés par
Ruzindana Obed, d’autres, c’était nous les paysans qui nous
rassemblions ici, en provenance de toutes les directions. Alors
après nous être rassemblés, nous montions vers Bisesero tandis
que les Français eux campaient là bas chez Fundi où se trouve
actuellement le bureau de secteur. C’est cela, je crois que je l’ai
déjà raconté la dernière fois.
Q : Est-ce que quand les Français étaient là, il y a des miliciens
qui venaient de loin, c’est-à-dire qui n’étaient pas de Gishyita
et de Gisovu ou de Mubuga ?
R : Ceux qui arrivaient de loin sont ceux qui sont venus de
Gisenyi et ceux qui sont venus de Cyangugu, miliciens de
Youssouf qu’il a emmenés personnellement. Sinon je ne peux
pas connaître ceux qui sont venus de Mubuga ou Rutsiro ou
d’ailleurs ; il y a d’autres personnes que vous pouvez interroger
qui ont donné des témoignages avec moi notamment
Simugomwa Fidèle et d’autres. Donc ceux-ci je sais que ce sont
comme moi des témoins sur le génocide perpétré contre les
tutsi en 1994. Alors Youssouf est venu, sont venus aussi les

interahamwe provenant de Gisenyi, il y en avait aussi qui
arrivaient de Birambo, Rutsiro, de partout ; en fait, il n’y a pas
eu un seul coin d’où ils ne sont pas venus. Il y avait nous les
simples paysans, mais aussi d’anciens militaires. Je les voyais
monter là-bas mais nous ne savions pas ce qu’ils faisaient làhaut. Sauf qu’il y a eu les dernières attaques et ce sont celles-là
qui ont exterminé les derniers tutsi après le rassemblement de
ceux-ci dans les Bisesero par les Français qui leur disaient qu’ils
venaient les protéger ; et après deux jours les Français sont
partis je ne sais où ailleurs et c’est là qu’il y a eu ces dernières
attaques qui en ont fini avec les tutsi de Bisesero alors que les
Français venaient de les regrouper là-bas. C’est comme ça que
nous avons donné des témoignages sur cela. Bien sûr c’est là
juste un résumé de ce qui s’est passé, on ne peut pas se
souvenir très bien de tout pour répéter mot à mot ce que l’on a
dit et vous pouvez retrouver nos témoignages dans le rapport
Mucyo.
Q : A propos des miliciens qui venaient de Bugarama
commandés par Youssouf, est-ce que Youssouf les conduisait,
est-ce qu’il les dirigeait, à combien ils étaient, combien de
véhicules les transportaient, combien de jours sont-ils restés, et
où ont-ils couché et ont-ils mangé, etc.
R : Je ne peux pas me rappeler combien de jours les
interahamwe y sont restés, mais ils sont venus dans deux bus
et une camionnette Suzuki qui transportait Youssouf, mais les
deux bus étaient remplis d’interahamwe en provenance de
Bugarama. Ils étaient alors établis à Mugonero et ils y laissaient
les bus et montaient à pied en passant par Muramba et d’autres
collines par là-bas pour aller attaquer Bisesero. Ils arrivaient
donc dans ces deux bus ainsi que cette Suzuki qui transportait
leur chef. Alors les paysans, dont nous qui avons fait des aveux
de culpabilité, nous remontions avec eux pour leur apporter
notre renfort et nous les assistions pour encercler ces gens-là
qu’on attaquait ; ceux-là (qui venaient de Bugarama) eux ils
savaient se battre, c’étaient des interahamwe professionnels.
Q : Y avait-il aussi des miliciens venus de Gisenyi, combien ils
étaient, qui les commandait, comment ils ont été transportés et
en combien de véhicules ?

R : Ceux-là je crois qu’ils ont passés à peu près deux semaines
ici à Bisesero. Ils avaient deux véhicules genre taxis (minibus).
Ils avaient aussi une camionnette Mitsubishi. C’était donc trois
véhicules pleins. Ces interahamwe avaient été amenés par
Ruzindana Obed et Mpambara Joseph.
Q : Et ils étaient basés où, où dormaient-ils ?
R : Ils étaient logés chez Mika Muhimana, le conseiller, là-bas où
j’ai eu mon premier entretien avec lui (Jacques Morel). Ils y sont
restés plusieurs jours et c’est là qu’on leur faisait à manger.
Q : Pendant ces attaques, que faisaient les militaires français,
s’ils étaient là ? Est-ce qu’ils observaient les combats avec,
enfin ce que j’appelle des combats, bon ! avec des jumelles ou
est-ce qu’ils avaient des hélicoptères pour observer et qu’est-ce
qu’ils faisaient, est-ce qu’ils restaient spectateurs ou est-ce
qu’ils donnaient des armes ou et-ce qu’ils ont secouru les tutsi
ou est-ce qu’ils ont empêché les autres d’attaquer, etc ? …
R : D’habitude ils venaient, avant de s’installer en force ici, ils
venaient et passaient ici quelques jours puis s’en allaient je ne
sais pas si c’était parce qu’ils étaient obligés de se rendre
ailleurs mais à certains moments ils repartaient d’ici. C’est alors
durant ces périodes de leur absence qu’on…que ceux qui
travaillaient se remettaient aussitôt à l’ouvrage. Mais eux
(français) j’en ai vus qui avaient des jumelles et qui
observaient, sauf qu’ils ont fini par se rendre Bisesero et c’est là
qu’ils en ont sauvé quelques-uns, ceux-là qui ont survécu. Sinon
ce que je peux leur reprocher en toute certitude comme
responsabilité et dont j’ai été témoin, c’est que le bureau
communal a été incendié en leur présence. Et puis il y avait les
barrières sur lesquelles ils fouillaient les gens ; j’ignore ce qu’ils
cherchaient par ces fouilles car je ne comprenais pas leur
langue, ils avaient érigé deux barrières là-bas, je les ai vus. Ils
avaient une barrière là en bas et une autre là-haut. Toutes ces
informations, je les ai données. Là je suis en train d’essayer de
restituer ce que j’ai dit auparavant pour que cela corresponde à
mon précédent témoignage.
Q : Qui a mis le feu au bureau communal ?

R : Il y a eu deux véhicules qui venaient de Cyangugu. Mais il y
en a qui dans leur témoignage affirment qu’il y avait deux
voitures qui venaient d’en partir. Ils disent que c’était le
bourgmestre Sikubwabo qui revenait pour brûler les dossiers de
la commune qu’il y avait laissés. Il est donc revenu de
Cyangugu où il s’était réfugié, il est revenu avec deux voitures ;
la commune a alors aussitôt brûlé, moi je me trouvais ici à la
maison car je suis originaire d’ici et si la commune brûlait je ne
pouvais pas ne pas le voir d’ici. J’ai vu ces véhicules là-bas et
sitôt qu’ils en sont repartis, la fumée s’est élevée du bureau
communal. Et là, les Français se trouvaient encore dans la
place, mais ils étaient seulement deux, ils n’étaient pas
nombreux. Alors pour la suite, personne n’imaginait qu’il y
aurait des recherches sur ce qui s’était passé pour penser à
bien observer la suite ; si on avait pensé que cela aurait lieu,
qu’il y aurait des conséquences, on aurait fait attention et bien
suivi le programme de tout ce qui se déroulait ; c’est ainsi que
moi je le comprends.
Q : Lors des attaques contre les survivants tutsi, est-ce que les
Français ont essayé d’empêcher les miliciens d’attaquer les
tutsi ?
R : Dans les environs ici tout près non, ils n’ont rien empêché ;
et d’ailleurs des tutsi, il n’en restait plus. Lorsque les Français
sont arrivés ici, ils se sont rendus compte que plus personne
n’était tué, ceux qui étaient tués en ce moment-là étaient ceux
qui s’étaient réfugiés dans les Bisesero.
Q : Mais donc, vous ne dites pas qu’ils ont essayé d’empêcher
les attaques mais est-ce qu’ils ont soutenu les miliciens, est-ce
que par exemple ils ont fourni des armes aux miliciens ?
R : Cela moi je ne pouvais pas le savoir facilement, mais ce
serait plutôt un dirigeant comme Mika, plutôt Sikubwabo qui
devrait le savoir, malheureusement il n’a pas encore été
appréhendé ; car lui pouvait discuter avec eux et il pouvait
aussi leur demander (des armes), je ne sais pas moi, je ne peux
pas affirmer ces choses comme si j’y avais assisté.
Q : As-tu participé aux attaques à Bisesero quand les Français
étaient là ?

R : J’y suis allé dans la dernière attaque, celle du 13 ou du 14 je
ne me rappelle plus bien. Nous sommes montés devant eux
(vers Bisesero) et ils n’ont pas su ce que nous entreprenions,
mais aussi nous les avons dépassés puis retrouvés en cours de
route lorsque eux-mêmes montaient vers là. Arrivés là-bas,
nous avons réalisé des massacres, mais eux je ne les ai pas vus
nous prêter main forte, seulement ils y sont montés pour
observer, ils sont passés par un côté et nous par l’autre ; sinon
moi aussi j’ai participé à cette époque aux attaques de
Bisesero. De même qu’un certain Simugomwa que je n’ai pas
cessé d’évoquer dans cette interview ; lui il a plusieurs
personnes dont certains vivent à Mubuga qui seraient partis de
là à Mubuga en compagnie des français. Mais je ne le sais pas
très bien, dans le témoignage qu’il donne, il a plusieurs autres
témoins qu’il connaît qui eux aussi donnent ce témoignage.
Vous allez le chercher, il va vous trouver d’autres personnes qui
fournissent des preuves…peut-être nombreuses et claires,
provenant de diverses sources, ce sera autre chose que mon
seul témoignage ou celui d’un seul autre individu qui ne
connaitrait pas bien ces choses. Donc vous le contacteriez lui
aussi et il vous montrerait ces autres personnes qui pourraient
vous donner leur témoignage sur ce qu’ils savent et ont vu sur
les responsabilités des soldats français. Quant à moi, la
responsabilité sur laquelle j’insiste concerne ce qui s’est passé
ici au bureau communal car quand il a brûlé, il s’y trouvait
deux français. Simugomwa Fidèle, vous pourriez le chercher du
côté de Mubuga, je ne sais pas s’il y travaille toujours au bureau
du secteur ou s’il fait le TIG(travaux d’intérêt général), mais je
sais il détient des informations sur les militaires français car je
sais qu’on allait ensemble témoigner à ce sujet. Nous sommes
allés ensemble à Bisesero, ainsi qu’un nommé Twagirayezu. Ce
Twagirayezu lui, était même leur interprète. Vous le
connaissez ? Oui, Twagirayezu, on était ensemble également à
Kigali. Il était leur interprète, il détient des informations bien
claires, lui il s’entretenait avec eux.
Q : Peut-tu situer la date de la dernière attaque à Bisesero, estce que c’était le jour ou le matin, ou du jour où les hélicoptères
ont porté secours aux survivants, c’est-à-dire tu sais, le 30
juin ?

R : Les hélicoptères, ils y allaient aussi sauf que moi je ne les ai
pas rencontrés là-bas ; ils (hélicoptères) s’y sont rendus. Leurs
véhicules aussi s’y rendaient, mais je ne sais pas…il y en,
j’entends dire, qu’ils ont protégés mais par après…
Q : (Intervention de Jean) : Le jour où ils les ont emmenés ces
gens-là qui se trouvaient à de Bisesero, est-ce le jour où vous
aviez lancé cette attaque ?
R : Je pense que c’était le jour d’après l’attaque, quand ils (les
Français) sont allés ramasser ceux qui avaient survécu ; mais ils
(les Français) avaient commencé par les regrouper comme je
l’ai déjà dit plus haut qu’ils les avaient rassemblés et là ils
disaient qu’ils allaient les protéger, et peu après ils (les Français
) se sont esquivés un peu et ne sont pas restés avec eux, et
puis nous on est passé par les côtés et ces gens ont été
massacrés.
Q : Le soir, est-ce que lui Elie, il redescendait à Gishyita,
première question, deuxième question : est-ce qu’il a souvenir
de la visite du ministre de la défense français François Léotard
ici à Gishyita qui est venu voir les militaires ; il a dû venir
probablement en hélicoptère ?
R : Je rentrais ici, chez moi (après chaque attaque, je revenais le
soir ici à Gishyita).
Q : (intervention de Jean) : L’autre question était : est-ce que tu
as souvenir de la visite du ministre de la défense français
François Léotard ici à Gishyita qui est venu voir les militaires
Je ne pouvais pas le connaître ; la venue d’un type comme lui,
quelqu’un de très important, ne me concernait pas ; moi je
n’aurais eu rien à lui dire, je n’aurais pas pu parler avec lui. Il
venait des hélicoptères mais je n’aurais pas su quel Blanc ils
transportaient, à quoi il ressemblait ; il y en a même qui
venaient boire un coup chez Mika. Comment les connaitrais-je !
Q : Est-ce que ces militaires français avaient des galons ?
Beaucoup de galons ? Quelle était la couleur de leurs bérets ?

R : Leurs bérets n’étaient pas les mêmes pour tous ; il y en
avait des verts et aussi des rouges, qui ressemblaient à ceux de
notre ancienne gendarmerie ; c’était mélangé. Le vert, ce
n’était pas un vert foncé et puis certains portaient des casques
(de métal).
Q : Pendant les attaques à Bisesero là dans les montagnes, estce qu’il y avait des hélicoptères français qui survolaient la
montagne pour observer ce qui se passait ?
R : Survolant les Bisesero ? Le jour où je m’y suis rendu les
hélicoptères français ne sont pas montés là, mais plus tard,
quand nous nous n’y allions plus, il y a eu des jours où les
hélicoptères s’y rendaient.
Q : Y a t-il eu une seule attaque pendant que
étaient là, ou plusieurs ?

les Français

R : Je ne me rappelle pas le nombre de fois mais les attaques, il
y en a eu, s’il ne savait pas ce qui se passait je l’ignore, en tous
cas il y en a eu au moins quatre ou cinq fois pendant qu’ils
étaient là. Sauf que je ne connaissais pas leur programme (des
attaques ? des Français ?).
Merci.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024