Fiche du document numéro 31055

Num
31055
Date
Janvier 2022
Amj
Fichier
Taille
8223477
Titre
Billets d'Afrique No. 313
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Cote
No 313
Type
Publication périodique
Langue
FR
Citation
Service historique
de la défiance
Les promesses successives des présidents
Hollande et Macron quant à la consultation
des archives françaises sur le génocide des
Tutsis au Rwanda n’ont pas disparu. C’est notamment
le cas pour certains documents
consultés par la commission Duclert, versés
au Service Historique de la Défense (SHD) et
en principe désormais librement accessibles
aux chercheurs. Mais ces derniers, au
nombre desquels le militant de Survie François
Graner, se voient toujours opposer des
refus catégoriques. Pourquoi ces obstacles ?
Les fonds d’archives du SHD consultés par la
Commission Duclert ontils
été purgés au
préalable des documents précisant les responsabilités
françaises dans le génocide ?
Seul l’accès à ces boîtes d’archives dans leur
intégralité permettrait de lever le doute
quant à l’exhaustivité des fonds du SHD que
la commission a pu consulter. Mais pour le
SHD, les dossiers demandés « porteraient
une atteinte excessive aux intérêts protégés
par la loi »...


GÉNOCIDE DES TUTSIS : UN
NOUVEAU PETIT PAS POUR LA
JUSTICE
Deux ans après la condamnation à perpétuité par la cour d’assises de Paris en appel de Tito
Baharira et Octavien Ngenzi, anciens bourgmestres de la Commune de Kabarondo
(Rwanda), pour crime de génocide et crimes contre l’Humanité, s’est déroulé du 22
novembre au 16 décembre 2021 le procès de Claude Muhayimana.
Visé par un mandat d’arrêt international
depuis décembre 2011 et malgré
l’avis favorable de la Cour d’Appel de
Rouen pour son extradition (avis annulé par
la Cour de cassation en 2012) puis de Paris
(avis annulé par la Cour de cassation en
2014), l’accusé a été renvoyé devant la cour
d’assises de Paris en novembre 2017. Il aura
fallu 10 ans pour qu’il soit enfin jugé pour
ses actes, en décembre 2021. Le refus d’extrader
de la justice française s’appuie sur la
non intégration des peines pour ces crimes
dans le code pénal rwandais d’avant 1994,
même si le Rwanda, en signant la Convention
contre les crimes de génocide en 1975,
s’engageait à les réprimer. Pour les rescapés
et leurs familles ce refus est intolérable, il allonge
considérablement les délais de jugement.
D’autant qu’on peut remarquer non
sans ironie que cela n’a pas empêché l’extradition
de plusieurs hommes accusés de génocide
vers le TPIR… créé en novembre
1994.
Des témoignages accablants
La pandémie Covid 19 ayant repoussé
deux fois la venue des témoins vivant à
l’étranger, le choix a été fait de tenir le procès
en recourant plus que dans les procès
précédents à des auditions en visioconférence
tant depuis le Rwanda, l’Ouganda,
l’Italie, Auxerre, ou Toulouse, avec une très
bonne qualité technique d’après les parties
civiles présentes.
Alors qu'il était chauffeur d'une guesthouse
à Kibuye (ouest du Rwanda) en 1994,
M. Muhayimana est accusé d'avoir « aidé et
assisté sciemment », entre avril et juillet, des
gendarmes et des miliciens en assurant leur
transport sur des lieux de massacres, notamment
dans les régions de Kibuye (72.000 victimes
estimées) et Bisesero (50.000 victimes
estimées). Un témoin a précisé que quand le
véhicule de M. Muhayimana partait vers
l’Est, on savait qu’ils allaient « travailler »,
c’est à dire « tuer ». C’était le seul travail de
l’époque. De plus, ce véhicule était le seul à
transporter des militaires et des civils armés
de fusils et de grenades. Cette audition a
mis en lumière la tentative de l'accusé de
faire pression sur le témoin en parlant de
manipulation des témoins à charge : il a
avoué lors d’une audience avoir fait contacter
le témoin par un tiers pour l’influencer.
Des témoignages poignants ont été entendus
lors de ces semaines d’audience, faisant
approcher l’horreur des humiliations et
tortures subies ces jourslà,
souvenirs aussi
de la résistance des réfugiés du Home Saint
Jean ou encore des familles des tueurs venant
détrousser les victimes ou bien se partageant
leurs parcelles. A l'issue de près de
quatre semaines de procès et de longues
auditions d'une cinquantaine de témoins, le
ministère public a demandé aux jurés de la
cour d'assises « de le déclarer coupable de
s'être rendu complice de génocide et complice
de crimes contre l'Humanité pour les
massacres des collines de Kibuye, Gitwa, Bisesero
et de l'école de Nyamishaba ».
Soutiens politiques
et militaires français
Le 5 avril 2019, le président Macron s’engageait
à « doter la justice de moyens nécessaires
pour juger les personnes suspectées
de génocide vivant en France ». Depuis,
quelques poursuites ont été initiées par le
parquet alors que précédemment seuls des
rescapés ou des ONG déposaient plainte.
C’est un progrès notable. Depuis la loi du 22
mai 1996, il est possible de le faire dès lors
que l’intéressé se trouvait sur sol français.
L’OFPRA, après de sombres années qui
avaient permis l’accueil de nombreux génocidaires,
a appliqué le code d’entrée sur sol
français et a exclu de l’asile « les personnes
qu’on aura des raisons de penser …qu’elles
ont commis un crime contre la paix, crime
de guerre ou crime contre l’Humanité », désignant
ainsi comme suspects de génocide
des dizaines de ressortissants rwandais. Cependant
ces décisions n’ont jamais été suivies
par l’ouverture d’une instruction
judiciaire par le parquet.
L’accusé ayant demandé l’appui du général
Sartre auprès de l’OFPRA puis du préfet
de Rouen pour obtenir le droit d’asile politique,
le président du Tribunal a souhaité
que le premier soit entendu. Le militaire n’a
pas voulu abandonner un ancien « collaborateur
» comme les harkis l’avaient été. On
ne peut s’empêcher de constater les soutiens
d’hommes politiques ou de militaires
français apportés à des personnes mises en
cause pour crimes de génocide. L’audition
du général Sartre a permis quelques questions
sur les liens tissés dès le début de
l’opération Turquoise avec les Rwandais qui
étaient en train de commettre le génocide et
qui ont servi de guide, de contact ou de
chauffeur. Le Tribunal a entendu que les instructions
données au général et à ses
hommes étaient sciemment erronées sur la
situation, mentionnant des combats interethniques
et non un génocide, alors que la
hiérarchie militaire et le chef de l’État étaient
parfaitement au fait de ce qui se passait au
Rwanda en 1994. Les plus hauts responsables
français politiques et militaires d'alors
encore en vie serontils
un jour mis en cause
devant la justice de la République ?
Verdict rendu : 14 ans de réclusion criminelle
pour complicité de génocide et complicité
de crimes contre l'humanité pour son
rôle en 1994 lors de l'extermination des
Tutsis du Rwanda.
Laurence Dawidowicz

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