Fiche du document numéro 31041

Num
31041
Date
Lundi Août 1994
Amj
Auteur
Taille
151531
Titre
Pourquoi la France occupe-elle le Rwanda ?
Nom cité
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Lieu cité
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Mot-clé
ZHS
Fonds d'archives
CRF
Type
Note
Langue
FR
Citation
POURQUOI LA FRANCE OCCUPE-ELLE LE RWANDA ?

En créant la "zone de sécurité humanitaire", la France visait à stopper, sur le plan
militaire, l'avancée du Front Patriotique Rwandais et empêcher ce que le Ministre des
Affaires étrangères français, Alain Juppé, appelle «la victoire totale et sans concession»
de ce dernier. Objectif provisoirement atteint : pas moins d'un cinquième du pays est
occupé par la France, qui fait la loi dans tout le sud-ouest rwandais et empêche la
poursuite et l'arrestation des responsables du génocide. Mais l'opération a d'abord des
objectifs politiques : en attirant massivement des populations entières dans le sud-ouest du
pays ou autour des bases arrière de Bukavu et de Goma au Zaïre et en cherchant à les y
fixer grâce à une aide humanitaire massive, la France cherche à tout prix à :

- se requalifier aux yeux de l'opinion nationale et internationale grâce à
une intervention "humanitaire", trop médiatisée et trop tardive pour être crédible : accusée,
de toutes parts, d'avoir soutenu le régime responsable du génocide, elle a voulu reprendre
l'initiative pour assurer la continuité de sa présence dans la région. Ce faisant, elle a
compliqué, à dessein, une situation qui était déjà compliquée au point qu'aucun pays ne
semble prêt à hériter de ce "dossier pourri" et explosif dans le cadre de la Minuar 2. En
l'absence de tout repreneur sérieux, la France compte y rester et avoir les coudées
franches pour imposer sa paix au Rwanda et dans la région.

- "diaboliser" le Front Patriotique Rwandais : la prétendue "Armée de
libération" ne serait qu'une bande de «Khmers noirs», de Tutsi revanchards devant qui
fuit, terrorisée, la "majorité hutu" et qui n'hésite pas à tirer sur de pauvres civils errants !
Ainsi, donc, en dehors de sa zone, la France considère que le reste du pays constitue une
zone d'insécurité. En fait, seuls les massacreurs avaient besoin de se mettre en lieu sûr,
loin de toute poursuite, sous la protection de leurs maîtres. En effet, tous les observateurs
sérieux connaissent le comportement responsable du FPR dans les zones qu'il contrôle : la
masse des déplacés de Gikongoro, de Goma et de Bukavu sont tout simplement
manipulés par les responsables locaux ou nationaux du génocide et leurs milices, qui
déplacent et entraînent dans leur fuite des populations entières qui pouvaient et qui
pourront certainement bientôt continuer à vivre en paix sur leurs collines. Aujourd'hui,
avec la complicité de la France, ces populations sont prises en otages : elles constituent la
seule carte de l'ex-gouvernement intérimaire (Interview d'un de ses représentants au
quotidien Le Figaro du 11 juillet 1994), qui les ne cesse de les appeler à «suivre le repli
stratégique de[ses] forces armées» autour des pôles créés et protégés par les soldats de
l'Opération" Turquoise".

- faire apparaître les bourreaux, sous sa protection, comme des victimes
des "Tutsi du FPR" et faire oublier ou, tout au moins, minimiser ainsi leurs responsabilités
dans l'horrible génocide ; ce dernier est déjà lui-même plus ou moins éclipsé par l'urgence
de l'assistance aux centaines de milliers de "déplacés".

- forcer le FPR et les partis démocratiques regroupés au sein des "Forces
démocratiques du changement" à négocier avec les assassins partisans du "Hutu Power" et
cela notamment par le biais du chantage humanitaire : les millions de "déplacés" ne
rentreraient que si l'ex-gouvernement intérimaire les y appelle et qu'il soit donc associé au
Gouvernement d'unité nationale

- donner à ce qui reste de l'armée du dictateur rwandais le temps et les
moyens, si les négociations n'aboutissent pas, d'organiser une rébellion avec le Zaïre du
Maréchal Mobutu comme base-arrière : les soldats et les milices de l'ex-gouvernement
intérimaire ont effectué un «repli stratégique», avec armes et bagages, dans le Nord-
Kivu.

- encourager les extrémistes hutu du Burundi, qui veulent suivre
l'exemple de leurs congénères impunis du Rwanda : Bugarama, leur principale base-
arrière au Rwanda, se trouve dans Cyangugu dans la zone française.

Pour avoir soutenu le dictateur rwandais, là France a une grande part de
responsabilité dans le plus horrible génocide de cette fin de siècle. En continuant à
soutenir militairement et politiquement les héritiers du dictateur, elle retarde la lente et
nécessaire réconciliation nationale, l'urgente et difficile reconstruction du pays. La guerre
civile risque d'être bientôt relancée. Les conséquences de l'intervention militaire de la
France sont aussi énormes pour la région. Dans l'Est du Zaïre, l'afflux brutal, provoqué
et entretenu par la France et ses alliés du "Hutu Power", de millions de déplacés risque de
rallumer très vite les violences anti-Rwandais ; et au Burundi, les extrémistes du Palpehutu
ne peuvent qu'être encouragés à poursuivre et à parachever le génocide qu'ils ont
entrepris en octobre 1993. La France elle-même, manifestement dépassée par le tour
catastrophique que prend les événements, n'en sortira pas grandie : si elle reste isolée
dans son aventure rwandaise, c'est que les pays démocratiques refusent d'être complices
de la manipulation criminelle de populations innocentes au service d'intérêts français mal
définis. Le Rwanda s'en sortira, malgré les interventions de la France aux côtés des
partisans du "Hutu Power": c'est une vieille Nation qui, en plus de dix siècles d'Histoire,
n'avait connu aucun affrontement "tribal" jusqu'aux indépendances et à l'ingérence
criminelle de certains milieux belges et ecclésiastiques dans sa politique. Il n'avait jamais
vécu de génocide jusqu'à la dictature de Habyarimana - un rwandais de très fraîche date - aidé et soutenu par la France. Il aura évidemment besoin de toute aide internationale qui
respecte sa souveraineté.

RUBONA, B.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024