Fiche du document numéro 30659

Num
30659
Date
Jeudi 3 octobre 2019
Amj
Taille
1824023
Titre
Leçons de l’histoire de l’Afrique - Leçon inaugurale
Nom cité
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Mot-clé
Type
Conférence
Langue
FR
Citation
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Collège de
France
Leçons de l’histoire de l’Afrique

| François-Xavier Fauvelle

Leçons de
l’histoire de
l’Afrique
Leçon inaugurale a été prononcée au Collège de
France le jeudi 3 octobre 2019

François-Xavier Fauvelle
Texte intégral
1

Nous sommes dans la capitale d’un royaume prospère. Sur
les marchés, on paie les grosses quantités en monnaie d’or,
les petites en coquillages. La grand-place où nous nous
trouvons est bordée de baobabs. Le mur en terre devant

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nous, hérissé de traverses de bois, est l’enceinte du palais.
Le voyageur marocain Ibn Battûta nous fait le récit de deux
fêtes qui ont lieu sur cette place, respectivement le
10 novembre 1352 et le 17 janvier 13531. Les deux fois, parce
qu’il s’agit des fêtes canoniques du calendrier musulman,
c’est-à-dire celle du Sacrifice (Aïd al-Adha) et celle de la
Rupture du jeûne (Aïd al-fitr), l’ordonnancement précis
commence au musallâ, la mosquée à ciel ouvert, où le sultan
s’est rendu en procession depuis son palais, accompagné des
esclaves royaux, des dignitaires locaux et des résidents
étrangers, arabes et berbères. Après la prière rituelle et
l’homélie en arabe, le prédicateur, le khatîb, descend de sa
chaire et prononce un discours au contenu séculier, qu’un
interprète traduit simultanément en malinké. Ce discours
fait l’éloge du souverain et exhorte chacun de ses sujets
musulmans à l’obéissance. Un tel discours est d’usage dans
toutes les mosquées les jours de prière publique, les
vendredis, mais l’exercice est un peu plus délicat, convenonsen, lorsqu’il a lieu en présence du souverain. Puis celui-ci
sort du musallâ, traverse la grand-place et monte sur le
banbî, terme malinké qui désigne le trône. À présent, il n’est
plus sultan mais mansa, titre royal mandingue. Le public
local s’est massé à l’entrée de la place, du côté opposé à celui
du palais.
Arrive un personnage qui s’appelle Dûghâ. En
s’accompagnant du balafon et tandis que des acrobates
effectuent des saltos et font tournoyer leurs sabres, il
commence par chanter une louange à l’adresse du roi, peutêtre pour atténuer la rudesse de ce qui va suivre. Car tout à
coup arrivent des personnes qui insèrent le haut de leur
corps dans des effigies faites de plumes, ornées de têtes à bec
d’oiseau. Ces masques sont les manifestations des ancêtres,
momentanément revenus parmi les vivants pour jouer leur
propre rôle. Ils se tiennent ainsi, inquiétants, devant le
souverain, et ils chantent. Pour Ibn Battûta, on a traduit

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cette fois du malinké vers l’arabe. « On m’a rapporté, dit-il,
que leur poésie est une sorte d’admonition dans laquelle ils
disent au sultan que sur ce banbî sur lequel il se trouve était
assis tel roi qui avait accompli telles bonnes actions […].
“Fais donc toi aussi du bien que l’on rappellera après toi.’’ »
Et le voyageur de nous apprendre « que cette manière de
faire remonte à l’ancien temps avant l’Islam et qu’ils y sont
restés fidèles2 ».
Puisque vous me faites l’honneur et l’amitié d’accompagner
l’inauguration de la chaire Histoire et archéologie des
mondes africains au Collège de France,
Monsieur le Président de la République,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et représentants
du corps diplomatique,
Monsieur l’Administrateur,
Mesdames et Messieurs les Professeurs, chers collègues,
Mesdames et Messieurs, chères et chers amis,
Ces quelques scènes, qui se situent dans la capitale du Mâli3
sous le règne du roi Sulaymân, au milieu du XIVe siècle, me
donnent d’abord l’occasion de vous livrer mon état d’esprit, à
la fois écrasé par la solitude du khatîb devant l’auditoire qu’il
tente de mériter, et intimidé par la fonction non moins
risquée qui est celle de Dûghâ de donner une leçon publique
d’histoire, sous la protection incertaine des ancêtres. En ce
lieu, le Collège de France, qui est à la fois enceinte solennelle
et place ouverte, ces sentiments me rappellent la double
responsabilité qui sera la mienne : celle de représenter un
domaine savant de connaissance qui aime naturellement à se
protéger du bruit extérieur, celle de contribuer à lutter
contre les privilèges de l’histoire, qui bénéficient trop
souvent de confortables tribunes. Aussi permettez-moi, en
guise de préambule aux leçons qui suivront sur l’histoire de
l’Afrique, de tirer aujourd’hui quelques leçons de l’histoire
africaine.

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*
En 2007, à Dakar, un président de la République française
déclarait, avec la conviction du sultan qui énonce un savoir
d’État, que l’« Homme africain n’[était] pas assez entré dans
l’Histoire4 ». Beaucoup ont dénoncé et contredit ces propos5.
Ils ont eu raison de le faire. Il me semble pourtant que l’on
n’a pas tout à fait mesuré la portée de la proposition. Car le
problème n’est pas qu’elle ait été prononcée, mais qu’elle ait
été et soit encore audible. Loin que l’Homme africain, avec
un grand H, souffre d’un défaut d’Histoire, avec un grand H,
ce sont plutôt nos sociétés contemporaines qui souffrent
d’un déni de l’historicité des sociétés africaines. Un déni qui
peut s’exprimer ouvertement aussi bien que de mille façons
plus feutrées : dans les musées, par l’esthétisation des objets
africains ; dans les documentaires et les reportages, par la
folklorisation des sociétés africaines ; dans les propos de
table qui se veulent les plus charitables, par la fétichisation
des sagesses immémoriales. Un déni qui s’exprime encore
dans l’aplomb révoltant avec lequel une chroniqueuse
people, un commentateur sportif s’autorisent à parler de
l’esclavage des Noirs ou de l’expérience quotidienne du
racisme, comme si leur ignorance de ces sujets constituait un
état partagé des connaissances.
Il y aurait beaucoup à dire sur ce que « ne pas être entré dans
l’Histoire » peut bien signifier. Où donc est cette maisonHistoire dans laquelle seraient entrées certaines sociétés,
d’autres pas ? Comment fait-on pour trouver l’entrée de
l’Histoire, y a-t-il assez de place pour tout le monde et, une
fois dedans, faut-il craindre d’être poussé dehors ? Si l’on
peut badiner avec cette métaphore, il n’est en revanche pas si
facile de se débarrasser de la conception qu’elle véhicule,
celle d’une Providence qui élit ou qui condamne, qui nous a
accueillis ou bien nous a abandonnés dans une éternelle
répétition, une sorte d’état végétatif des sociétés.
Congédions ces fantasmes. S’il faut n’avoir d’égards que pour

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le présent, plaçons notre confiance dans l’étonnement.
Françoise Héritier (1933-2017), qui occupa au Collège de
France, de 1982 à 1999, une chaire d’Études comparées des
sociétés africaines, historienne de formation convertie à
l’anthropologie par Claude Lévi-Strauss, à qui elle succéda
comme spécialiste des systèmes de parenté, avait, dès sa
leçon inaugurale, évoqué l’exceptionnelle diversité sociale du
continent6. Les quelque 2400 langues parlées en Afrique ;
l’invention religieuse qui se manifeste dans les cultes des
divinités du terroir, des génies, des héros ou des ancêtres,
qui n’ont cessé de transformer les religions non
monothéistes et d’habiter les christianismes et les islams
africains7 ; la complémentarité politique et économique qui
fait cohabiter royaumes centralisés et sociétés à classes d’âge,
urbanités marchandes et nomadisme pastoral ; ou encore le
dynamisme technique, qu’il concerne les matériaux lithiques,
céramiques, métallurgiques, l’armement, l’outillage, les
parures, le mobilier, l’architecture, l’art ; sont les fruits de
forces créatrices qui constituent le ressort de l’histoire. Cette
diversité est l’autre nom de l’être au temps des sociétés.
Felwine Sarr a rappelé combien cette diversité si présente
résiste à l’épistémè technicienne, naguère colonialiste,
aujourd’hui développementaliste, et devrait suffire à nous
interdire de verser en bloc dans l’afro-pessimisme ou l’afroeuphorie8.
S’il n’est jamais superflu de rappeler que les sociétés
africaines sont faites de la même étoffe historique que toutes
les sociétés, c’est parce que l’Afrique, bien que toujours déjà
là, a vu sa coprésence au monde depuis longtemps
méconnue. On n’est pas historien de l’Afrique, archéologue,
historienne de l’art, sans s’obliger, chaque fois que l’on
entreprend d’approfondir les connaissances, à remonter
dans la généalogie de cette méconnaissance. Alors
remontons. Suivons Achille Mbembe quand il écrit que les
expériences postcoloniales africaines devraient être (et ne

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sont pourtant pas) le grand sujet d’observation de notre
temps ; parce que ce qui s’y passe depuis la sortie de la
« grande nuit » coloniale (expression empruntée à Frantz
Fanon9), les ratés politiques comme les expériences sociales
foisonnantes, sont le laboratoire de notre avenir humain ;
parce que la condition « nègre », cette forme de
déshumanisation marchande qui s’universalise, s’est d’abord
exercée aux dépens des Africains10 ; parce que l’Afrique n’est
pas en panne d’histoire mais peut-être en avance sur ce qui
vient11. Remontons plus haut encore, au temps de la
domination de l’Afrique par des pouvoirs européens.
Écoutons Jacques Berque (1910-1995), qui avait été
contrôleur civil au Maroc sous le régime du Protectorat, dont
il avait vigoureusement dénoncé les errements, avant que ses
travaux ne l’amènent au Collège de France sur la chaire
d’Histoire sociale de l’Islam contemporain, qu’il occupa de
1956 à 1981. Tranchant les faux débats récurrents, déjà, au
sujet des bilans positif ou négatif de la colonisation, nul
n’aura alors exprimé avec autant de clarté qu’elle fut à la fois
un système de prédation économique et un système qui
construisait infrastructures et écoles ; que le colonialisme est
une idéologie qui cultive la nostalgie des sociétés qu’elle
détruit12.
Le philosophe allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel,
dans le premier tiers du XIXe siècle, et avant lui les Lumières
françaises et allemandes du XVIIIe siècle, avaient une
philosophie de l’histoire qui ressemblait à celle de la maison
dans laquelle on entre ou pas. Par une grâce divine, l’Esprit
de l’histoire s’était posé, tel un rayon de soleil, sur des
régions successives du monde. Il avait commencé, paraît-il,
par l’Orient, puis s’était posé, à chaque fois, sous une forme
plus évoluée, moins infantile, sur l’Égypte, la Grèce, Rome, et
à présent l’Europe occidentale, en attendant l’élection d’une
civilisation nouvelle. Maison, esprit ou lumière : la
Providence change d’instrument. Mais, au fond, il s’agit de la

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même conception que l’on pourrait dire « bourgeoise » de
l’histoire : on la reçoit sans mérite particulier, mais on n’ira
pas en contester le principe, car c’est bien commode d’y
rester au chaud.
Un point commun entre les philosophies insuffisantes d’hier
et le déni péremptoire d’aujourd’hui est que l’Afrique n’était
déjà pas au programme. On ne peut pourtant pas dire que
c’était faute d’avoir reconnu la massivité du continent
africain depuis les débuts de l’expansion européenne, au
XVe siècle. Au contraire, même : ce qui frappe, c’est que la
philosophie de l’histoire dont se dote l’Occident moderne
évite l’Afrique aussi sûrement que les voyageurs contournent
l’obstacle géographique africain sur la route de l’Orient. Et ce
n’est pas un hasard si l’Europe choisit de méconnaître les
sociétés africaines au moment même où ses compagnies
marchandes se procurent dans des comptoirs côtiers
d’Afrique les esclaves pour l’exploitation des colonies
d’Amérique. Ce sont ainsi près de 12 millions de femmes,
d’hommes et d’enfants qui furent victimes embarquées de
cette traite atlantique, sans pouvoir compter les millions de
personnes victimes indirectes de ce commerce, tuées lors des
razzias pratiquées par les sociétés africaines côtières dans
leurs arrière-pays, ni les millions de personnes nées en
esclavage aux Amériques. Si la traite atlantique a une
importance historique singulière, ce n’est pas seulement
parce que chaque expédition négrière ou presque a laissé des
archives ; ce n’est pas seulement non plus parce que
l’économie du monde moderne est tributaire de la richesse
engendrée par ce commerce parmi les nations esclavagistes ;
c’est parce que l’expérience de la traite par les esclaves
africains, transportés d’un continent à l’autre, réduits à la
condition de marchandises, à la fois victimes et instruments
de la globalisation du monde, constitue le point à la fois
central et aveugle de la modernité. Aussi Norman Ajari a-t-il
raison d’observer qu’il n’existe aujourd’hui « pas un seul

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Africain ou afrodescendant dont l’humanité des ancêtres
n’ait été radicalement contestée sur les plans juridique,
scientifique, philosophique, théologique, économique,
psychiatrique13 ».
C’est dans ce dispositif de déshumanisation des ancêtres
d’une partie d’entre nous, dispositif qui occupe au sens
propre, plusieurs siècles durant, le milieu du monde, que
s’enracine la généalogie du déni. Déni du passé de l’esclave,
aboli en même temps que son individualité ; déni de sa
faculté d’action dans l’histoire aussi bien que dans la société.
Car, à vrai dire, c’est la peur, une peur raciale, qui actionne
les théories providentialistes de l’histoire. Parler d’histoire
des sociétés africaines, ç’aurait été déchirer le voile de
justification morale qui drapait le crime de l’esclavage ;
confesser la peur permanente de la révolte individuelle ou
collective à bord des navires négriers ou dans les colonies
esclavagistes, ç’aurait été admettre des marchandises à
entrer en société. C’est encore la peur qui rend la révolution
de Saint-Domingue « impensable », comme le dit l’écrivaine
haïtienne Yanick Lahens, titulaire en 2018-2019 de la chaire
Mondes francophones du Collège de France14. Impensable en
effet qu’un demi-million d’esclaves, dont les deux tiers nés
en Afrique, attachés aux plantations sucrières et indigotières
de la colonie française, sans doute l’une des plus rentables de
l’économie globale d’alors, se soulèvent en 1791 et entrent de
leur propre volonté dans l’événementialité du monde15.
Impensable parce que l’exigence radicale de liberté chez des
hommes et des femmes qui s’émancipent eux-mêmes offre
aux Lumières leur plus authentique révolution.
*
C’est toujours au sein de chaque société que débute la mise
en récit du passé. Dûghâ, à la cour de Sulaymân du Mâli, et
après lui, jusqu’à aujourd’hui, les dyéli ou griots qui furent,
dans le monde mandingue, les porte-parole des chefs de
lignages aristocratiques, étaient détenteurs de ces récits

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historiques et les rendaient disponibles les jours de sortie des
masques16. Dans beaucoup de sociétés africaines, de tels
récits sont l’affaire de spécialistes, qui les mémorisent et les
transmettent. Parce que ces récits sont mémorisés et
transmis de façon stable, on les appelle « traditions orales »,
et leurs détenteurs « traditionnistes ». De tels textes (car ce
sont des textes) constituent une véritable « littérature orale »
(pour ne pas craindre l’oxymore), ou « orature » (pour ne
pas craindre le néologisme formé, précisément afin d’éviter
l’oxymore, par le linguiste et théoricien de la littérature
ougandais Pio Zirimu17). Déroutés devant le continent
documentaire qu’est l’oralité, quelques-uns ont cédé à la
naïveté du néophyte pensant recueillir le passé lui-même,
d’autres à l’ironie du sceptique qui n’y entend que fables. Les
historiens et historiennes de l’Afrique savent pourtant que ce
matériau immatériel de l’histoire, ni plus ni moins sujet à
l’altération que des écrits soumis à la copie, se travaille
comme tout autre matériau pour être commué en
documents.
La vivacité de l’oralité en Afrique ne doit cependant pas
laisser croire à une absence de l’écrit. Les alphabets libycoberbères et tifinagh employés du Maghreb au Sahara,
l’alphasyllabaire éthiopique, les écritures hiéroglyphique,
méroïtique, copte et grecque utilisées dans la vallée du Nil, le
script arabe employé pour écrire tant la langue arabe que le
peul et l’haoussa en Afrique de l’Ouest, ou encore le swahili
et le malgache en Afrique orientale, témoignent d’une
diversité et d’une très large distribution spatiale des
systèmes d’écriture créés, adoptés ou adaptés en Afrique au
cours de l’histoire. Il est vrai, néanmoins, que les sociétés
africaines qui ont employé l’écrit l’ont souvent réservé à des
usages
dédicatoires,
commémoratifs
ou
encore
prophylactiques.
Plusieurs sociétés africaines ont cependant développé des
cultures lettrées. La chrétienté érythréenne et éthiopienne,

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enracinée depuis le IVe siècle sur les hauts plateaux de la
Corne de l’Afrique, nous a transmis des dizaines de milliers
de manuscrits, produits dans les monastères ou à la cour
royale, essentiellement des textes bibliques traduits du grec,
mais également des textes traduits de l’arabe et des histoires
saintes produites localement. Au Soudan voisin, la
disparition de la chrétienté nubienne aux alentours du
XVe siècle nous a peut-être fait perdre un semblable corpus.
Dans les régions exposées à l’influence de l’islam, du Sahel à
la côte swahilie, qui s’étire de la Somalie au Mozambique et
aux Comores, la production d’écrits ou la constitution de
bibliothèques suit de quelques siècles les premières
inscriptions arabes. Au sein de ces mondes lettrés, l’essentiel
de la littérature produite, copiée ou acquise, concerne des
œuvres religieuses ou juridiques. Cependant, émerge parfois
une véritable écriture de l’histoire. La chronique de Kilwa, en
Tanzanie, au début du XVIe siècle, les chroniques du Kanem
et du Borno rédigées par l’imam de Birni Ngazargamu, dans
le nord de l’actuel Nigéria, dans les années 1570 ; les
chroniques de Tombouctou, au XVIIe siècle ; celle de Gonja,
dans le nord de l’actuel Ghana, au XVIIIe siècle ; celle de
Kano, dans le nord du Nigéria, au XIXe siècle ; sont toutes des
récits historiques dus à des lettrés musulmans locaux.
Bertrand Hirsch a récemment souligné ce que ces récits
historiques, si éloignés les uns des autres par le milieu
culturel dans lequel ils ont été produits, ont de commun : un
semblable impératif d’enregistrement et de préservation des
mémoires en des temps de crise18. Dans la Tombouctou du
XVIIe siècle, les lettrés al-Saadî et Ibn al-Mukhtâr savent – et
de la sorte sauvent comme ils peuvent – l’histoire des
formations politiques de la région19. S’ils évoquent la gloire
du royaume Songhay, et avant lui du Mâli, et avant lui de
Gao, c’est parce que la boucle du fleuve Niger est désormais
dominée par une élite militaire marocaine. Quant aux
quelques pages en arabe des Annales du Choa, dont nous

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sommes quelques-uns à travailler à une nouvelle édition
commentée, elles sont l’unique témoignage d’une société
musulmane éthiopienne du XIIIe siècle qui a disparu sans
laisser d’autres traces que ce texte, émouvant et obscur20.
L’adoption du christianisme et de l’islam par de nombreuses
sociétés africaines a opéré une mise en connexion de ces
régions avec d’autres régions du monde et permis une
participation active d’Africains aux échanges commerciaux et
à la circulation d’idées et de connaissances. Au Caire, au
milieu du XIVe siècle, un grand encyclopédiste, al-Umarî,
recueille le témoignage de musulmans de la Corne de
l’Afrique venus porter au sultan mamelouk leurs griefs à
l’égard du souverain chrétien d’Éthiopie, dont le royaume est
alors hégémonique ; al-Umarî en tire une description
géographique et politique qui compte parmi nos principales
sources pour l’histoire de l’Abyssinie21. Parce que Le Caire est
décidément un carrefour, le même al-Umarî consigne
également les souvenirs de tous ceux qui, en 1324, avaient
rencontré personnellement Mûsâ, sultan du Mâli, frère et
prédécesseur de Sulaymân, lors de son séjour dans la ville
sur le chemin de La Mecque (fig. 1) ; à partir de ces
témoignages, al-Umarî nous a laissé l’un des plus essentiels
documents sur le royaume ouest-africain22.
Figure 1

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L’Atlas catalan, manuscrit sur vélin produit par des
cartographes juifs de Majorque aux Baléares en 1375, fait
figurer les régions d’Afrique s’étirant du littoral
méditerranéen jusqu’au Sahel. Ici (détail) le roi Mûsâ du
Mâli est représenté en majesté portant dans sa main une
boule d’or. La légende en catalan le décrit comme « le plus
riche et le plus noble seigneur de toutes ces régions » (la
portion occidentale du Sahel).
Source : Bibliothèque nationale de France, département des
Manuscrits, Espagnol 30, tableau V-VI.

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Ce sont des motifs similaires, religieux ou diplomatiques, qui
conduisent des chrétiens éthiopiens à Jérusalem et à Rome,
où ils fondent des communautés. Les connaissances qu’ils
mettent en circulation éveillent l’intérêt des humanistes
italiens de la Renaissance et ceux de la République
européenne des lettres, aux XVIe et XVIIe siècles23. En 1649, un
érudit allemand de 25 ans du nom de Job Ludolf, qui
pratique l’hébreu, le syriaque et l’arabe, est dépêché à Rome
par son employeur, le baron von Rosenhahn, émissaire
suédois à Paris, pour y dénicher des archives relatives à la
Suède. Il n’en trouve pas. Mais il rencontre un certain
Gorgoryos, Grégoire, un Éthiopien originaire du monastère
de Mäkanä Sellasé dans l’Amhara, le domaine royal
éthiopien. Gorgoryos séjourne alors au monastère éthiopien
de Santo Stefano dei Mori à Rome. En moins de trois mois,
et à l’occasion d’un séjour postérieur de trois autres mois de
Gorgoryos à Gotha, en Thuringe, chez Ludolf, celui-ci réunit
la matière pour un dictionnaire et une grammaire de
l’amharique, la langue vernaculaire de l’Éthiopie, un
dictionnaire de la langue guèze, la langue classique
éthiopienne, une Histoire de l’Éthiopie complétée d’un
Commentaire, et enfin une Théologie éthiopienne, ouvrages
qu’il publiera au cours du demi-siècle suivant24.
Sur le tard, Ludolf, devenu président du Collège historique
impérial, reçoit une étrange lettre de son ami Gottfried
Wilhelm Leibniz, le fameux mathématicien et philosophe.
Celui-ci lui suggère de réunir des échantillons mis par écrit
de toutes les langues du monde. « Il serait particulièrement
judicieux », écrit Leibniz, « que soit exprimée en chaque
langue la prière dominicale, de sorte que nous puissions
avoir une mesure commune pour les comparer25 ». Quelque
temps plus tard, Leibniz affine sa méthode et demande que
le Notre-Père soit transcrit en chaque langue, ligne à ligne, à
l’aide de caractères latins. L’idée n’étant pas mauvaise, elle
est appliquée sans délai : grâce aux réseaux planétaires des

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missionnaires,
des
représentants
des
compagnies
commerciales et des diplomates, les Notre-Père arrivent de
Chine et du Siam, d’Amérique et de Sibérie, d’Afrique. On
retrouve ainsi, dans les Collectanea etymologica posthumes
de Leibniz (mort en 1716), un Notre-Père en khoekhoe,
langue qui était alors parlée à l’extrémité méridionale de
l’Afrique26 (fig. 2).
Figure 2

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Le philosophe allemand Gottfried Wilhelm Leibniz
(1646-1716) avait entrepris de réunir des Notre-Père dans
toutes les langues du monde. On trouve dans son œuvre ce
Notre-Père en langue khoekhoe, dans une version

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interlinéaire qui juxtapose le texte en néerlandais (le Cap de
Bonne-Espérance est alors une colonie des Provinces-Unies).
Les signes t’, t? et k? sont des tentatives de transcription des
clicks de la langue khoekhoe, tandis que les accents sur
certaines voyelles cherchent probablement à restituer les
tons.
Source : G. W. Leibniz, Collectanea etymologica, 1717.
Manuscrit conservé à l’université de Greifswald.
21

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Jusqu’alors, voyageurs et colons néerlandais du Cap s’étaient
plu à laisser croire que cette langue, qui sonnait à leurs
oreilles comme un gloussement de dindon, n’était pas une
langue humaine. L’effort pour transcrire avec des caractères
latins, dans la version de Leibniz, les particularités de la
langue khoekhoe, en l’occurrence des sons aspirés, les clicks,
qui ont longtemps défié les linguistes, peut sembler
dérisoire. Mais il dit quelque chose : la foi dans la
traductibilité de toutes les langues. La diversité ne saurait en
somme être un argument pour exclure quelque société que ce
soit de l’humanité : l’écart mesurable entre les langues du
monde n’est au contraire que la conséquence de leur
divergence, le produit dérivé de leur trajectoire singulière.
Les humanistes savaient déjà que la diversité est l’indice de
l’histoire.
On pourrait certes, et on le doit, faire observer le caractère
déséquilibré d’une relation de co-production de
connaissances qui a davantage contribué à la notoriété de
Ludolf qu’à celle de Gorgoryos. Mais la relation entre les
deux hommes, comme l’inventaire des langues du monde de
Leibniz, ont fait exister, malgré le déni, un projet savant et
cosmopolite au sein duquel chaque culture était reconnue
digne d’être convive des autres cultures.
Cette conversation des sociétés et des savants ne s’est jamais
interrompue. C’est plutôt le vacarme du déni qui a couvert
son chuchotement. Car les siècles du commerce européen

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avec les régions littorales de l’Afrique s’accompagnent
partout d’un intérêt presque strictement mercantile. La
production de connaissances devient alors asymétrique :
certains regardent, d’autres sont regardés. Les sources
européennes du XVe au XIXe siècle nous restent cependant
précieuses : leur confrontation aux traditions orales des
sociétés africaines est la méthode de prédilection des
historiennes et historiens spécialistes de cette période.
La conquête de la presque totalité du continent africain par
des pouvoirs étrangers à partir de la fin du XIXe siècle
aggrave encore ce déséquilibre. La colonisation déstabilise
les sociétés, sape les cadres traditionnels de la transmission
du pouvoir et des savoirs. Elle donne au colonisateur le
quasi-monopole de l’établissement du récit historique.
Collecte et interprétation des sources orales, éditions des
sources écrites, fixation des jalons géographiques et
chronologiques du récit : tout ce que le philosophe congolais
Vumbi-Yoka Mudimbé a appelé la « bibliothèque
coloniale27 » porte la marque de ce mouvement qui à la fois
détruit et documente. Il y a dans les récits historiques
produits par des hommes qui sont en même temps
administrateurs et savants une forme de gouvernement du
passé.
Il n’est pas difficile de voir comment ces récits font violence à
l’histoire. Non moins que l’extraction des ressources
naturelles et de la force de travail, celle des matériaux utiles
à la connaissance se fait grâce aux moyens coercitifs de
l’administration coloniale ; les expéditions scientifiques,
telles que la mission Dakar-Djibouti conduite par Marcel
Griaule en 1931-1933, que Kwame Anthony Appiah a
qualifiée
plaisamment
de
«
speed-dating
anthropologique28 », sont des razzias sur un mobilier qui
finira dans les musées d’Occident, et qui y restera tant qu’il
ne sera pas restitué – je dirais même restitué bien, c’està-dire accompagné de toutes les potentialités de récits qui

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avaient été emportées en même temps qu’eux29. Quant aux
fouilles, elles aussi pratiquées au bénéfice des musées du
Nord, elles trouvent avec la baïonnette l’instrument
commode qui à la fois contraint les ouvriers récalcitrants et
se substitue à la truelle de l’archéologue. Non contente de
produire des données, la violence pénètre dans la forme
même du récit : les synthèses comme Haut-Sénégal-Niger
de Maurice Delafosse, parue en 1912, sont des narrations
moyennes qui font fi des différences de perspective et de
temporalité entre l’écrit, l’oral et les matérialités ; elles
retaillent les tesselles de la mosaïque documentaire pour
produire une image sans défaut, et pourtant fausse30.
Faudra-t-il brûler la bibliothèque, le musée, l’archive
coloniale ? Ce serait ignorer que ces monuments à la gloire
de la colonisation demeurent les conservatoires d’une
documentation imparfaite mais indispensable ; ce serait
nous affranchir avec légèreté du travail de reconnaissance de
la méconnaissance.
*
On n’est plus tout à fait sûr aujourd’hui que Ibn Battûta,
notre seul témoin réputé direct de la vie quotidienne et
politique dans le royaume du Mâli, s’y soit vraiment rendu.
Pourquoi ? Parce qu’on ne retrouve pas, dans le récit de son
séjour supposé dans la capitale, les éléments du
questionnaire mental qu’il applique, pour l’instruction et le
plaisir de ses lecteurs, dans les autres régions du monde qu’il
visite, de l’Andalousie à l’Inde, de la Perse aux Maldives31.
Cette incertitude brouille la relation entre authenticité du
voyage et sincérité du récit. Nous avons envie de croire que
tout récit d’un voyage vrai est vrai, même s’il consiste en
cartes postales, et inversement nous accordons peu de valeur
aux récits de seconde main, même quand l’informateur de
notre informateur s’avère fiable. Nous savons toutes et tous
que se méfier des sources est une prudence historienne
élémentaire, mais dans le cas présent nous voudrions savoir

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comment nous en méfier.
Comment faut-il comprendre, par exemple, l’itinéraire
qu’emprunte Ibn Battûta entre Sijilmâsa, dans l’oasis du
Tafilalet, au Maroc, en bordure nord du Sahara, et la capitale
du royaume malien, au sud, au prix d’un voyage de plus de
cent jours ? Selon les hypothèses, vous placerez cette ville au
Sénégal, en Guinée, en Mauritanie ou en plusieurs régions
du Mali actuel32. Car en vérité, on ne sait pas où elle se
trouve. C’est frustrant, mais surtout cette frustration
paralyse les récits du passé. Selon que la capitale du Mâli, du
moins celle que nous avons décrite tout à l’heure et où
résidaient les marchands étrangers, sera découverte, un jour,
dans la zone sahélienne ou dans la vallée du fleuve, plutôt
dans la haute ou plutôt dans la moyenne vallée, ce ne sera
pas la même description que l’on pourra faire du royaume
malien, de son emprise territoriale et sociale, de son
organisation administrative, de l’assise économique de son
pouvoir, des sources de sa légitimité, des villes et du
commerce.
Je ne sais pas si nous découvrirons la capitale du Mâli. Mais
je sais que pour cela il faut faire appel à des compétences
nombreuses et cosmopolites. Nous ne partons pas de zéro.
Les prospections et les fouilles sénégalaises et américaines
sur la rive gauche du Sénégal et sénégalo-suisses dans la
Falémé ; les prospections et les fouilles néerlando-maliennes
dans le delta intérieur du Niger ; les fouilles anglo-maliennes
sur la butte de Sorotomo près de Ségou, et sur le site de
l’entrepôt saharien de Tadmekka ; les fouilles maliennes et
nippo-maliennes de Gao qui ont mis au jour une maison
forte du Xe siècle (pour ne mentionner que quelques-uns des
travaux archéologiques des vingt dernières années) ; et enfin
les recherches ethno-archéologiques et les études de mobilier
céramique ou de provenance des matériaux ; ont posé les
jalons qui rendent possibles les recherches futures33.
Je sais aussi que pour « craquer » un problème irrésolu de ce

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type, il faut faire appel à une logistique coûteuse (qui fait
souvent défaut aux organismes partenaires africains) – et à
un équipement de pointe qui fait la différence : l’optimisme.
Optimisme parce qu’il y a tant de passés encore enfouis dans
le sol du présent. Il nous est arrivé, avec Bertrand Hirsch et
nos équipes, de découvrir en Éthiopie, dans l’escarpement du
Rift, une ville islamique que nous avions longtemps cherchée
ailleurs ; du moins avons-nous cru qu’elle était celle que
nous cherchions, jusqu’à ce que nous trouvions, quelques
jours plus tard, une deuxième puis une troisième ville.
Malgré l’euphorie, ces découvertes semèrent le doute :
laquelle d’entre elles était celle que nous avions cherchée ?
La réponse est : aucune. Celle que nous cherchions, la
capitale des sultans de l’Ifât, nous l’avons découverte deux
ans plus tard, en 2009, et cette fois nous en sommes sûrs
parce que les souverains avaient eu la bonne idée de faire
inscrire les noms et titres des membres de leur famille sur
leurs tombes34.
Optimisme, encore, dans la pluridisciplinarité, c’est-à-dire
dans la confiance mutuelle dans les compétences que nous
n’avons pas, c’est-à-dire dans une sorte d’amitié que le
terrain forge ; j’en veux pour exemple l’équipe que dirigent
Marie-Laure Derat et Claire Bosc-Tiessé à Lalibela, cet
ensemble d’églises sculptées d’un bloc dans la roche,
toujours en Éthiopie35.
Optimisme, enfin, dans la puissance heuristique de
l’archéologie. Elle donne tort à ceux et celles qui voudraient
que les fouilles ne servent qu’à confirmer ou illustrer les
sources écrites. Au Maroc, avec Elarbi Erbati, Romain
Mensan et notre équipe, il nous a fallu plusieurs années pour
être capables de lire la stratigraphie très dégradée de
Sijilmâsa, le port caravanier où s’embarque Ibn Battûta pour
sa traversée du Sahara. Nous avons finalement compris que
le site n’était pas le produit d’une occupation continue au
cours des siècles, ce que laissaient croire des auteurs arabes

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qui n’y étaient jamais allés, mais une champignonnière de
quartiers fortifiés qui dessinent une constellation urbaine36.
Partout où elle passe, l’archéologie dérange les récits du
passé. Dans la vieille province coloniale du Cap, en Afrique
du Sud, sur les bords du fleuve Berg, la lecture lente et
répétée du paysage nous a permis, avec François Bon, Karim
Sadr et Laurent Bruxelles, de retrouver des campements
saisonniers des Khoekhoe, ceux-là même dont Leibniz avait
obtenu un échantillon linguistique37. Certes, les vestiges
retrouvés, aussi ténus que des outils rudimentaires en quartz
et quelques tessons de poterie, étaient trop peu de choses
pour être une ville. Mais le plaisir de la découverte,
proportionnel au défi, valait bien quelques missions de
terrain.
Depuis Carlo Ginzburg, on sait que Giovanni Morelli, le
critique d’art italien qui déterminait la paternité de tableaux
à partir de détails figurés tels que la forme des oreilles ou des
ongles des personnages, Sigmund Freud, le père viennois de
la psychanalyse, et Arthur Conan Doyle, l’inventeur anglais
de Sherlock Holmes, sont les trois ancêtres qui nous ont
communiqué dès le berceau le goût de la recherche des
causes des phénomènes par les indices qu’ont laissés ces
phénomènes dans le présent38. Autrement dit : le goût de
l’enquête. Si les historiennes et historiens de l’Afrique
affectionnent
l’enquête
comme
modalité
pratique
d’établissement des faits et forme privilégiée de narration,
c’est parce que leur art de mosaïste consiste à collecter parmi
les sites et le mobilier, l’architecture et les formes d’art, les
langues et les mots, les paysages, les mémoires et les récits,
les gènes des humains, des animaux, des plantes, les gestes
rituels et les manières d’être, non moins que dans les
archives elles-mêmes, les indices éparpillés à partir desquels
il leur est possible de produire les récits du passé. Ils
reconnaissent dans le goût de l’enquête à la fois la douleur du
passé qui nous manque et la consolation de savoir que le

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présent, tout le présent, est un vestige.
S’il y a dans l’enquête davantage que le « charme d’une
fouille inachevée39 », c’est l’obligation à rendre compte de
son propre inachèvement, à enregistrer avec autant de
méticulosité que possible les pièces manquantes du passé, les
objets perdus ou orphelins, les ratés de la recherche, les
scénarios qui s’achèvent en cul-de-sac, les faits indécidables,
les hypothèses suspendues. Un chercheur a été un guide
pour toutes celles et ceux d’entre nous qui s’emploient à
donner du sens à la mosaïque de notre documentation. Toute
l’œuvre de Paulo Fernando de Moraes Farias, notamment ses
Arabic Medieval Inscriptions from the Republic of Mali40,
constitue non seulement une somme d’érudition pour
l’histoire de l’Afrique de l’Ouest, mais également une
réflexion puissante sur ce qui devrait ne jamais avoir cessé
de nous intriguer, c’est-à-dire d’être le sujet de l’intrigue : les
discordances entre les registres documentaires. Or les
discordances entre les inscriptions funéraires maliennes et
les chroniques de Tombouctou, concernant non seulement la
chronologie, mais encore l’existence même de telle ou telle
dynastie, sont si gênantes que l’on préférerait avoir moins de
sources. On en vient à penser que les registres de documents
à notre disposition, loin d’être les pièces d’une même
mosaïque, sont des vestiges tantôt s’accumulant sur des
vestiges antérieurs, tantôt remployant des matériaux plus
anciens, tantôt faisant écran au passé du passé. C’est bien
l’enquête qui rend le passé digne d’être raconté. Et, à ce
compte-là, l’histoire ne peut pas être maison, esprit ou rayon
de lumière qui permettrait de déclarer le commencement ou
la fin de l’histoire. L’histoire est toujours déjà en train de
passer. Si quelque chose doit commencer, c’est l’enquête
historienne, mais alors c’est pour ne plus s’arrêter.
*
Comme le long des chaînes de parenté spirituelle qui sont
celles des maisons monastiques d’Éthiopie ou des confréries

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musulmanes d’Afrique du Nord ou de l’Ouest, les savoirs et
les savoir-faire des historiens de l’Afrique se transmettent de
maître à élève. De l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne,
où j’ai fait mes études, je veux saluer Bertrand Hirsch, que
j’ai déjà évoqué et qui m’a conduit sur le terrain éthiopien il y
a vingt ans. Je me souviens de Jean Boulègue, qui m’a
accueilli en thèse et qui avait l’intelligence si fine des sources,
et le plaisir de comprendre si gourmand et communicatif. Je
veux garder le souvenir vif de Claude-Hélène Perrot, qui
avait consacré sa vie à l’histoire des sociétés anyi et éotilé de
Côte d’Ivoire, dont elle avait recueilli les traditions orales
– récits d’origine, généalogies, formules de jurement ou
rituelles41. Les mots que je prononce ici ont été écrits l’été
dernier, quelques jours après sa mort ; ils ne me viennent
que par gouttes : endurance, longanimité, obstination,
écoute, bonté. Elle avait été l’héritière d’Yves Person
(1925-1982), l’un des pionniers, avec le Belge Jan Vansina
(1929-2017), de l’étude méthodique des sources orales42.
Nous avons, avec Claude-Hélène Perrot, réédité quelquesuns des articles fondamentaux d’Yves Person, que devraient
lire toutes celles et ceux qui ne savent pas ce que la
méthodologie de l’oralité en général doit à l’étude des
sociétés africaines43.
Venant d’évoquer mon alma mater, je veux dire également
mon attachement à l’université de Toulouse Jean-Jaurès. Au
laboratoire Traces, que j’ai dirigé, si rare par l’éventail des
compétences individuelles et collectives qu’il réunit ; une
équipe dédiée à l’archéologie africaine héberge la plupart des
missions archéologiques françaises en Afrique. C’est à
Toulouse que nous avons convié, avec nos collègues belges
de Tervuren et suisses de Genève, le congrès mondial de la
Society of Africanist Archaeologists en 2016. Si tous mes
doctorants, français et de plusieurs pays d’Afrique, y sont
rattachés, c’est parce qu’ils bénéficient, après des collègues
que je veux saluer, d’une science à la fois d’excellence et

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généreuse.
Je voudrais également dire un mot d’un dispositif précieux
pour la recherche, celui des instituts de recherche du
ministère des Affaires étrangères et du CNRS. Permettez-moi
de saluer ici les collègues de Khartoum, Le Caire, Tunis,
Ibadan, Nairobi, Rabat, Johannesburg, Addis Abeba, qui se
dévouent pour faire de ces centres des lieux d’accumulation
et de transmission des savoirs. J’ai moi-même dirigé le
Centre français d’études éthiopiennes, à Addis Abeba, de
2006 à 2009. Ne cessant, au cours des décennies, de jouer
son rôle dévolu à l’archéologie, aux disciplines d’érudition et,
plus récemment, aux sciences sociales, quitte à être parfois
porté à bout de bras, plusieurs années durant, par un seul
chercheur qui maintient l’héritage, comme ce fut le cas de
l’archéologue Francis Anfray, ce centre avait été créé en 1952
à la demande de l’empereur Hailé Sélassié et avec le soutien
de la France pour être tout à la fois laboratoire, bibliothèque,
dépôt et musée archéologiques44. L’un des deux cofondateurs
était Kebbédé Mikaël (1916-1998), poète et essayiste
éthiopien, polyglotte, traducteur en amharique de pièces de
Shakespeare et chef de file du mouvement dit des
« japonisants » regroupant ceux qui, dans les cercles du
pouvoir éthiopien, voyaient le Japon comme un modèle
transposable de modernisation économique dans un cadre
impérial. Si cet intellectuel, alors directeur général au
ministère de l’Instruction publique, s’engage ainsi au service
de l’archéologie, c’est parce que doter son pays de
compétences, de lieux et de récits dédiés au passé, lui
apparaît – comment lui donner tort ? – comme un gage
d’avenir. L’autre cofondateur était français. Dépêché en
Éthiopie à l’âge de 33 ans, il venait de terminer un séjour au
Caire en tant que membre de l’Institut français d’archéologie
orientale. Il s’agit de Jean Leclant (1920-2011). Le lignage
égyptologique, qui le connaît pour son œuvre d’égyptologue
et se souvient qu’il fut professeur au Collège de France de

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1979 à 1990, ne sait pas forcément qu’il fut le fondateur d’un
lignage éthiopisant. Jean Leclant eut d’ailleurs d’autres
occasions de montrer son intérêt pour l’Afrique
subsaharienne, notamment la civilisation méroïtique au
Soudan. À Addis Abeba, il s’entoura d’André Caquot
(1923-2004), spécialiste des langues sémitiques qui fut
chargé de déchiffrer les inscriptions sud-arabiques
nouvellement découvertes et d’étudier les manuscrits
médiévaux en guèze ; et d’André Miquel, un arabisant. L’un
et l’autre devinrent à leur tour professeurs au Collège de
France, le premier sur une chaire d’hébreu et d’araméen, le
second en langue et littérature arabes classiques. Cette
généalogie m’autorise à tirer une nouvelle leçon : si l’histoire
de l’Afrique en tant que discipline n’était pas encore entrée
au Collège de France, une part de sa documentation y avait
déjà trouvé place.
*
C’est une chose bien curieuse que d’observer, dans la capitale
du Mâli du XIVe siècle, le côtoiement des masques et de la
mosquée. Jean Boulègue pensait qu’on aurait tort d’y voir
une forme de syncrétisme religieux, et je crois qu’il avait
raison45. Car, à dire vrai, le souverain est pleinement sultan
pour les musulmans maliens et étrangers qui assistent à la
prière publique, et pleinement mansa pour le peuple qui,
depuis la rue, le regarde comme son souverain légitime.
Cette dualité religieuse nous oblige à penser en même temps
des appartenances a priori incompatibles, qu’elles soient
religieuses, culturelles ou identitaires, et à descendre, pour
les comprendre, à l’intérieur des logiques qui les font
cohabiter. Ce n’est qu’aux XVIIIe et XIXe siècles, au moment
des djihads qui islamisent en profondeur les sociétés
d’Afrique de l’Ouest, que des normes religieuses et juridiques
viendront mettre en conflit les uns avec les autres les choix
composites faits jusqu’alors par les individus et les groupes
sociaux.

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L’archéologie révèle des caractères semblablement
composites de la culture matérielle. Les belles demeures à
deux étages des cités swahilies du Kenya et de Tanzanie, qui
se développent à partir du XIVe siècle, bâties en blocs de
calcaire madréporique, alignées le long de rues étroites
jalonnées de sanctuaires et qui convergent vers la mosquée,
attirent de prime abord davantage l’attention que les habitats
interstitiels ou périphériques en matières périssables, qui ont
laissé des vestiges plus ingrats. Pourtant leur juxtaposition
est une juste représentation d’une société où cohabitent une
élite patricienne de commerçants, sa clientèle d’anciens
esclaves, et des communautés rurales de pêcheurs,
d’agriculteurs et d’artisans46. Si sa culture matérielle
présente un aspect dual, c’est parce que la société swahilie
est à la fois tournée vers l’océan Indien et ancrée dans sa
culture régionale. De la même façon, la langue swahilie
présente une structure bantoue et un lexique abondamment
arabe et persan.
Ce sont ces formes de dualité culturelle, d’articulation
topographique, d’interconnexions des réseaux marchands,
qui feront dans les prochaines années l’objet de mon cours.
Je vous proposerai d’examiner un trait que je crois
caractéristique des formations politiques africaines
médiévales, à savoir la fonction de courtage commercial
qu’elles exercent entre des bassins économiques et des
milieux sociaux que presque tout oppose. Situées sur des îles
ou le long du littoral, les cités swahilies dont nous venons de
parler n’ont presque pas de ressources propres. Elles
exportent cependant des esclaves, de l’or, des peaux, de
l’ivoire, qui viennent de plusieurs centaines de kilomètres à
l’intérieur du continent, et importent des étoffes, des
céramiques, des bijoux, qui viennent du bassin commercial
de l’océan Indien, voire de Chine. Si elles peuvent le faire,
c’est parce qu’elles sont littéralement situées à l’interface
entre le monde commercial de l’océan Indien et le réseau de

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caboteurs qui fréquentent les marchés côtiers et remontent
les fleuves navigables. C’est une position hautement risquée,
mais hautement rentable à condition d’exercer un monopole
sur les transactions.
Au Sahel, l’hypothèse de royaumes courtiers paraît à
première vue moins pertinente parce que notre perception
des grands empires de cette région nous fait supposer une
hégémonie sur de vastes territoires disposant de ressources
agricoles et minières. Mais ce serait oublier que cette idée
nous vient précisément d’auteurs arabes qui n’ont eu qu’un
accès étroit à ces royaumes, limité à des villes que les
souverains ouest-africains utilisaient comme plateformes
commerciales et vitrines politiques. L’hypothèse de
royaumes courtiers permettra peut-être d’expliquer deux
faits qui demeurent intrigants : d’une part la rareté des
évocations de ces villes royales et commerçantes dans les
traditions orales, d’autre part notre propre incapacité, dans
bien des cas, à localiser sur le terrain des sites aussi
importants que des villes. Dit autrement, je ne crois pas que
les retards de la recherche ne soient que le résultat de
facteurs contingents ; je crois plutôt qu’ils font partie du
problème. À l’instar de la capitale de l’Ifât évoquée tout à
l’heure, une découverte n’est pas seulement l’événement
scientifique qui met fin à une série de ratés ; elle est ce qui
permet de les comprendre. C’est seulement quand aura été
découverte la capitale du Mâli que nous comprendrons
comment elle nous résistait.
Il vaudra peut-être la peine de faire observer que, de la côte
swahilie à l’escarpement du Rift éthiopien et aux bordures
nord et sud du Sahara, c’est souvent sur des limites
écologiques que les pouvoirs africains médiévaux exercent
leur fonction d’intermédiation entre réseaux de
commerçants, entre sociétés aux économies et aux langues
différentes. Or ces limites écologiques entre piémonts fertiles
et désert, entre désert et savanes, entre hauts plateaux et

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basses terres, entre plaine alluviale et océan, sont par
définition des milieux sujets à de puissantes contraintes
environnementales, habitables seulement à la faveur
d’investissements anthropiques tels que les permettent
justement les opérations courtières à haut rendement. Loin
de tout déterminisme environnemental, les sociétés
africaines médiévales ont installé des villes là où
l’environnement physique était défavorable ; et si elles l’ont
fait, c’est en misant sur leurs propres capacités économiques
et techniques à commuer des frontières en seuils.
Chacun de ces mondes africains est en conversation avec les
autres et avec les mondes extérieurs. C’est pour participer à
cette conversation que des élites se convertissent à des
religions monothéistes – christianisme et islam – dont
l’œcoumène est global ; que des commerçants vendent et
achètent marchandises de luxe, esclaves et métaux précieux
dont la valeur est commensurable d’un marché à l’autre ; que
des monastères éthiopiens se dotent de scriptoriums, des
familles musulmanes lettrées du Sahel, de bibliothèques ;
qu’une reine païenne d’Éthiopie au Xe siècle, réputée pour
avoir mis à sac les églises chrétiennes de son pays, fait
envoyer un zèbre à un souverain musulman du Yémen.
C’est parce que nous voulons écouter cette conversation du
monde à laquelle participent les sociétés africaines qu’il est
utile d’appeler ce monde « Moyen Âge ». Un Moyen Âge qui
gagne à être conçu non pas d’abord comme une période de
l’histoire européenne, mais comme une géographie globale,
ainsi que nous l’avons suggéré avec Patrick Boucheron et
Julien Loiseau47. Une géographie constituée de provinces
articulées les unes aux autres et dont aucune n’a le privilège
de présider la conversation. « Provincialiser l’Europe », ainsi
que le recommandait l’historien indien Dipesh Chakrabarty,
pourquoi pas48 ? Mais sortir de l’alternative pendulaire et
mimétique des centres et des périphéries, récuser les
« centrismes », ainsi que le propose Souleymane Bachir

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Diagne49, concevoir le monde en même temps depuis
chacune de ses parties, en somme provincialiser le monde,
voilà un programme à la fois plus radical et plus susceptible
de renouer avec l’humanisme.
Cet humanisme, qui croit en la traductibilité des langues et
déclare que toute société est « bonne à penser » (pour
emprunter l’expression fameuse de Claude Lévi-Strauss)
depuis toute société, c’est l’humanisme que pratiquait Harris
Mémel-Foté. Il avait étudié, avec une acuité érudite et
clinique, l’esclavage que pratiquent les sociétés lignagères de
la lagune de Côte d’Ivoire. Il en fit le sujet de son cours, en
tant que professeur invité sur une chaire internationale, ici
même, au Collège de France, en 199550. Son anthropologie de
l’esclavage lignager du point de vue des droits de l’Homme
lui permettait, estimait-il, de penser sans complaisance la
radicale déchéance en dignité que représente l’état d’esclave
dans une société africaine contemporaine ; mais elle rendait
également possible, symétriquement, une anthropologie des
droits humains entendue comme une histoire toujours
inachevée des acquis en dignité, c’est-à-dire une
anthropologie universelle du point de vue des sociétés
africaines.
*
Puisque le moment approche de tirer une dernière leçon,
permettez-moi d’en livrer une que toute historienne, tout
historien de l’Afrique tient pour rigoureusement vraie ; cette
leçon, c’est que l’on choisit toujours ses ancêtres. Lignage,
chefferie, institution, communauté, confrérie, nation :
chaque collectif fait ce que fait chaque famille qui affiche la
galerie de ses aïeux prestigieux et remise à la cave les moins
recommandables. Nous faisons toutes et tous comme fait
Dûghâ au moment de faire entrer les masques sur la place
publique : nous choisissons, parmi les passés disponibles, les
ancêtres utiles pour la faculté qu’en somme nous leur
accordons de nous définir par l’étendue de leur descendance,

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de leur protection, de leur baraka.
Dans un discours prononcé en 2018 pour le centième
anniversaire de la naissance de Nelson Mandela, Barack
Obama a rappelé de quelle façon la révolution démocratique
sud-africaine des années 1990-1994 continue de tenir
éveillée, universellement, notre liberté de citoyen contre les
tentations autoritaires, notre désir de vivre ensemble contre
les fatalités de l’histoire51. On a certes raison de souligner
aujourd’hui que la révolution sud-africaine n’a pas satisfait
toutes les espérances de justice sociale et de transparence
démocratique qu’elle avait fait naître. Mais permettez à
l’historien que je suis de rappeler que l’idée même que
l’Afrique du Sud fût une société est une idée qui resta
longtemps minoritaire, et qui était de toute façon illégale.
Prisonniers au bagne de Robben Island, dans la baie du Cap,
Nelson Mandela et ses compagnons avaient interdiction,
dans leurs réclamations écrites à l’administration
pénitentiaire, de dire « nous52 ». Le régime de l’apartheid
voulait à ce point exercer le monopole de la définition des
appartenances collectives que la simple possibilité d’une
communauté d’intérêt entre prisonniers lui apparaissait
comme subversive.
Et même après que croire à cette société fut devenu un droit,
qui y croyait ? Essayons de nous souvenir de ce que nous
avons pensé être l’avenir de l’Afrique du Sud au plus fort de
la répression et de l’usage de la torture par le régime de
l’apartheid dans les années 1970, puis durant l’insurrection
générale à partir de 1984, puis durant la quasi-guerre civile
qui accompagne les négociations après 1990, et même encore
au bord du précipice, dans les semaines qui suivent
l’assassinat de Chris Hani le 10 avril 1993. Cette archéologie
des futurs de l’Afrique du Sud nous révèle toujours le même
horizon : la brutalisation des clivages ethniques et raciaux, la
partition du pays, le démembrement de la société. Quelle
autre vision aussi acérée que celle de l’écrivain nigérian Wole

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Soyinka a pu remarquer, sur l’instant, qu’un spectre
terrifiant rôdait le 10 mai 199453 : alors que Nelson Mandela
prononçait à Prétoria son discours d’investiture dans
l’ambiance miraculeuse de la fête démocratique, le génocide
des Tutsis, au Rwanda, en était à son trente-quatrième jour.
Mandela était sultan, mais il n’était pas négligent avec
l’histoire. Il avait porté le stigmate de la race et connaissait
l’actualité du passé. Il savait la nécessité de réengendrer
chaque jour la société, l’urgence à répandre une parole qui
affermit et étend le domaine du « nous ». Écoutons son
discours du 10 mai 1994 : « Je dis sans hésiter à mes
compatriotes que chacun d’entre nous est aussi intimement
attaché au sol de ce pays que le sont les jacarandas de
Prétoria et les mimosas du bushveld54. » Drôle de métaphore
botanique ! Que l’on ne peut comprendre que si l’on sait que
le mimosa est l’arbre indigène, et le jacaranda, une espèce
importée, coloniale. Ce discours fait mieux qu’inviter chaque
communauté d’aujourd’hui à devenir convive de la même
nation ; il invite les passés de chacune d’elles et les enracine
dans le même sol. Ce n’est certes pas la tâche de l’historien
de l’Afrique que d’être chargé de l’histoire nationale, mais
c’est la sienne que de rendre disponibles les passés de
l’Afrique, de contribuer à faire cohabiter les ancêtres de nos
contemporains dans une histoire – non pas maison mais
jardin, où s’entremêlent les souches. Il y va de la visibilité
sociale de beaucoup d’entre nous. Toute l’œuvre critique de
James Baldwin sur le cinéma et l’histoire américaines, celle
de Toni Morrison sur la littérature américaine, aujourd’hui
celle de Léonora Miano sur le roman français, montrent
qu’aucune société contemporaine n’est indemne du biais qui
consiste à considérer le blanc comme la couleur de peau par
défaut des personnages de fiction et des personnages
historiques qui nous incarnent, réservant le plus souvent le
noir pour incarner strictement le Noir : Othello, ou l’esclave,
ou l’immigré55.

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C’est le moment de revenir ensemble sur la grand-place de la
capitale du Mâli, où nous avons tout à l’heure laissé les
ancêtres, tout à leur tâche d’admonester le sultan. Il me reste
à dire que l’engagement à prendre soin de l’histoire, je ne le
prendrais pas si je n’y étais fermement obligé par la
bienveillance de quelques-unes et de quelques-uns, qualité si
cardinale sans laquelle il n’y a pas de véritable
conversation56 ; pas de désir d’accueillir une idée ; pas non
plus de critique véritablement fondée ; pas de bonnes
lectrices et de bons lecteurs. Alors, permettez-moi de dire
merci : à Patrick Boucheron, qui a proposé ma candidature
au Collège de France, à Nicolas Grimal et à Alain Supiot, qui
l’ont défendue, à toutes et à tous les professeurs, qui l’ont
acceptée. De dire ma joie de les savoir auprès de moi : à mes
enfants, Lucas, Margot, Nathan, à ma compagne, Samantha,
à ma famille, mes amis, collègues et étudiants. Et, pour finir,
de m’adresser aux ancêtres. Pour leur faire remarquer que
tout notre travail d’historiennes et d’historiens consiste en
somme à les sortir de l’oubli pour les inviter dans le présent ;
pour leur faire comprendre que la connaissance que nous
déployons à leur sujet est le gage de notre reconnaissance à
leur égard ; et enfin pour leur adresser à notre tour, pour une
fois, une admonition, et leur demander une seule chose :
qu’ils veuillent bien converser les uns avec les autres.

Notes
1. Joseph Cuoq, Recueil des sources arabes concernant l’Afrique
occidentale du VIIIe au XVIe siècle (Bilād al-Sūdān), Paris, Éditions du
CNRS, 1985, p. 306-308. Les descriptions qui suivent sont tirées de ces
pages. La courte description des lieux en ouverture de cette leçon n’a que
valeur d’évocation. Les dates indiquées ici en calendrier grégorien sont
inférées d’après les dates de ces fêtes dans le calendrier hégirien au cours
de la période correspondant au séjour supposé d’Ibn Battûta, dont luimême nous donne les dates de début et de fin (ibid., p. 312).
2. Ibid., p. 308.
3. On écrit ici « Mâli » pour désigner le royaume médiéval et le

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distinguer du Mali contemporain.
4. Présidence de la République, « Allocution à l’université de Dakar »
(26 juillet 2007) [le discours intégral peut être visionné en ligne ici :
https://www.dailymotion.com/video/xc7llj].
5. Voir par exemple les essais de Jean-François Bayart, Pierre Boilley,
Jean-Pierre Chrétien, Achille Mbembe et Ibrahima Thioub réunis par
Jean-Pierre Chrétien (dir.), L’Afrique de Sarkozy : un déni d’histoire,
Paris, Karthala, 2008 ; ou encore l’ouvrage collectif dirigé par Adame Ba
Konaré, Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage
du président Sarkozy, préface d’Élikia M’Bokolo, Paris, La Découverte,
2008. Ce dernier ouvrage publie en annexe le texte intégral de
l’allocution prononcée à Dakar.
6. Françoise Héritier-Augé, Leçon inaugurale faite le 23 février 1983,
Paris, Collège de France, 1984 [en ligne : https://books.openedition.org
/cdf/880].
7. Jean-Pierre Chrétien (dir.), L’Invention religieuse en Afrique : histoire
et religion en Afrique noire, Paris, Karthala, 1993.
8. Felwine Sarr, Afrotopia, Paris, Philippe Rey, 2016.
9. Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, préface de Jean-Paul Sartre,
Paris, Maspero, 1961, p. 239.
10. Dans sa leçon de clôture au Collège de France, Alain Supiot a suggéré
que la marchandisation du capital humain trouvait son expression
historique la plus rigoureuse dans les livres de comptes des propriétaires
d’esclaves ; voir Alain Supiot, Le travail n’est pas une marchandise :
contenu et sens du travail au XXIe siècle, Paris, Éditions du Collège de
France, 2019, p. 24.
11. Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit : essai sur l’Afrique
décolonisée, Paris, La Découverte, 2010 et Critique de la raison nègre,
Paris, La Découverte, 2013. Lire également la lucide et vigoureuse lecture
de Mbembe que fait Nadia Yala Kisukidi, « Le nom “Noir” et son
double », Esprit, no 12, 2018, p. 95-99.
12. Jacques Berque, Dépossession du monde, Paris, Seuil, 1964, p. 90-91.
13. Norman Ajari, La Dignité ou la Mort : éthique et politique de la race,
Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2019, p. 20-21.
14. La leçon inaugurale de Yanick Lahens a été publiée sous le titre
Littérature haïtienne : urgence(s) d’écrire, rêve(s) d’habiter, Paris,
Collège de France/Fayard, 2019 [en ligne : https://books.openedition.org
/cdf/7261]. Le terme d’impensable est tiré d’une présentation vidéo de

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son
enseignement
[en
/watch?v=4CRxf4n5IzI].

ligne

https://books.openedition.org/cdf/9317#text

:

https://www.youtube.com

15. Les informations fournies dans cette phrase proviennent de : Carolyn
Fick, Haïti, naissance d’une nation : la révolution de Saint-Domingue
vue d’en bas [1990], traduit de l’anglais par Frantz Voltaire, Mordelles,
Éditions Les Perséides, 2014, chap. 1.
16. Sur la trajectoire historique des dyéli mandingues depuis l’empire du
Mâli jusqu’à aujourd’hui, voir Mamadou Diawara, « The time-tested
traditionnist: intellectual trajectory and mediation from the early
empires to the present day », in Toby Green et Benedetta Rossi (dir.),
Landscapes, Sources and Intellectual Projects of the West African Past:
Essays in Honour of Paulo Fernando de Moraes Farias, Leyde, Brill,
2018, p. 277-295.
17. Pour un bref rappel du destin tragique de Piu Zirimu (assassiné en
1977) et de l’arrière-plan théorique qui présida à la création de ce
néologisme, on consultera l’article de Ngũgĩ wa Thiong’o, « Notes
towards a performance theory of orature », Performance Research,
vol. 12, no 3, 2007, p. 4-7.
18. Bertrand Hirsch, « Écritures de l’histoire en Afrique », in FrançoisXavier Fauvelle (dir.), L’Afrique ancienne, de l’Acacus au Zimbabwe :
20 000 ans avant notre ère-XVIIe siècle, Paris, Belin, 2018, p. 375-401.
L’attribution chronologique de la Chronique de Kano a récemment été
révisée par Paul E. Lovejoy, « The Kano chronicle revisited », in Toby
Green et Benedetta Rossi (dir.), Landscapes, op. cit., p. 400-421 (merci à
Hadrien Collet de m’avoir signalé cet article qui avait échappé à mon
attention).
19. Pour la décompilation et la réattribution d’une partie de la chronique
anciennement appelée Tārīkh al-fattāsh à un auteur du nom de Ibn alMukhtar, voir Mauro Nobili et Mohamed Shahid Mathee, « Towards a
new study on the Tārīkh al-fattāsh », History in Africa, vol. 42, 2015,
p. 37-73.
20. Travail en préparation. La seule édition disponible actuellement est
celle d’Enrico Cerulli, « Il sultanato dello Scioa nel secolo XIII secondo
un nuovo documento storico », Rassegna di Studi Etiopici, vol. 1, no 1,
1941, p. 5-42.
21. Ibn Faḍl Allahal-‘Omarī [al-Umarî], Masālik el abṣār fi mamālik el
amṣār, t. I : L’Afrique, moins l’Égypte, traduit par Maurice GaudefroyDemombynes, Paris, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1927.
22. Joseph Cuoq, Recueil des sources arabes, op. cit., p. 272-281.

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23. Pour un exemple éloquent tiré du contexte de la Renaissance qui voit
se rencontrer érudits éthiopiens et italiens, lire Samantha Kelly, « Biondo
Flavio on Ethiopia: processes of knowledge production in the
Renaissance », in : The Routledge History of the Renaissance, Londres,
Taylor and Francis, 2017, p. 167-182.
24. Siegbert Uhlig, « Ludolf, Hiob », in Siegbert Uhlig (dir.),
Encyclopaedia Aethiopica, vol. III, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag,
2007, p. 601-603.
25. Cité dans François-Xavier Fauvelle, L’Invention du Hottentot :
histoire du regard occidental sur les Khoisan (XVe-XIXe siècle), Paris,
Publications de la Sorbonne, 2002, p. 227-237 (cette référence et les
suivantes).
26. [Gottfried Wilhelm Leibniz,] Illustris viri Godofr[idi] Guilielmi
Leibnitii collectanea etymologica, illustrationi linguarum, veteris
celticae, germanicae, gallicae, aliarumque inservientia, Hanovre, 1717,
p. 375-377 et 382-383. On trouve un Notre-Père, les Dix
Commandements ainsi qu’un Crédo en langue khoekhoe, transcrits en
caractères latins avec traduction interlinéaire en néerlandais.
27. Vumbi-Yoka Mudimbé, The Invention of Africa: Gnosis, Philosophy,
and the Order of Knowledge, Bloomington, Indiana University Press,
1988.
28. Kwame Anthony Appiah, « Surreal anthropology », New York
Review of Books, 8 mars 2018, p. 8.
29. Sur la question des restitutions des œuvres spoliées aux sociétés
africaines par la France durant la période coloniale, on consultera le
rapport rédigé par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy à la demande du
président de la République française : Restituer le patrimoine africain
(Paris, Philippe Rey/Seuil, 2018), qui réunit les fruits de leurs
consultations, leurs analyses des aspects juridiques de la question, ainsi
que leurs préconisations.
30. Maurice Delafosse, Haut-Sénégal-Niger (Soudan français), Paris,
Larose, 1912, 3 vol.
31. François-Xavier Fauvelle et Bertrand Hirsch, « Voyage aux frontières
du monde : topologie, narration et jeux de miroir dans la Rihla de Ibn
Battûta », Afrique & histoire, vol. 1, 2003/1, p. 75-122. On peut lire le
récit intégral d’Ibn Battûta en français dans l’édition commode de
Stéphane Yérasimos (sur la traduction de C. Defrémery et
B. R. Sanguinetti) : Ibn Battûta, Voyages, Paris, La Découverte, coll.
« Poche », 1990, 3 vol.

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32. Hadrien Collet, « L’introuvable capitale du Mali : la question de la
capitale dans l’historiographie du royaume médiéval du Mali », Afriques,
no 4, 2013 [en ligne : https://journals.openedition.org/afriques/1098].
33. En guise de simple aperçu : Rogier Bedaux, Jean Polet, Kléna Sanogo
et Annette Schmidt (dir.), Recherches archéologiques à Dia dans le delta
intérieur du Niger (Mali) : bilan des saisons de fouilles 1998-2003,
Leyde, CNWS Publications, 2005 ; Roderick J. McIntosh, Susan Keech
McIntosh et Hamady Bocoum (dir.), The Search for Takrur:
Archaeological Excavations and Reconnaissance along the Middle
Senegal Valley, New Haven, Yale University Department of
Anthropology, 2016 ; Shoiriro Takezawa et Mamadou Cissé (dir.), Sur les
traces des grands empires : recherches archéologiques au Mali, Osaka,
Musée national d’ethnologie, 2016 ; Sam Nixon (dir.), EssoukTadmekka: An Early Islamic Trans-Saharan Market Town, Leyde, Brill,
2017.
34. François-Xavier Fauvelle, Bertrand Hirsch et Amélie Chekroun, « Le
sultanat de l’Awfāt, sa capitale et la nécropole des Walasmaʿ : quinze
années d’enquêtes archéologiques et historiques sur l’Islam médiéval
éthiopien », Annales islamologiques, vol. 51, 2017, p. 239-295.
35. Claire Bosc-Tiessé et Marie-Laure Derat (dir.), Lalibela, site rupestre
chrétien d’Éthiopie (Lalibela I), Toulouse, Presses universitaires du Midi,
2019.
36. Romain Mensan, François-Xavier Fauvelle, Elarbi Erbati et Laurent
Bruxelles, « Sijilmâsa : approche typo-technologique du bâti, processus
de formation du site et gestion des matières premières », Mélanges de la
Casa de Velázquez, nouvelle série, vol. 47, no 2, 2017, p. 185-206 ; Elarbi
Erbati et François-Xavier Fauvelle (dir.), Sijilmâsa, porte de l’Afrique :
patrimoine en partage, site en péril, Rabat, Académie du Royaume du
Maroc, s.d. [2018].
37. François Bon, Laurent Bruxelles, François-Xavier Fauvelle et Karim
Sadr, « Les pasteurs khoekhoe à la confluence des sources historiques et
archéologiques. Proposition de modèles d’implantation spatiale et de
signature technologique d’une population néolithique d’Afrique
australe », P@lethnologie, no 4, 2012, p. 143-168 [en ligne :
http:/blogs.univ-tlse2.fr/palethnologie/2012-06-bon-et-alii-2].
38. Carlo Ginzburg, « Traces. Racines d’un paradigme indiciaire », in :
Mythes, emblèmes, traces : morphologie et histoire [1986], traduit par
Monique Aymard, Paris, Flammarion, coll. « Nouvelle bibliothèque
scientifique », 1989.
39. Marc Bloch, La Société féodale [1939], Paris, Albin Michel, 1994,

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chap. 3, p. 90.
40. Paulo Fernando de Moraes Farias, Arabic Medieval Inscriptions
from the Republic of Mali: Epigraphy, Chronicles, and Songhay-Tuāreg
History, Oxford, Oxford University Press, 2003.
41. Claude-Hélène Perrot, Les Anyi-Ndenye et le pouvoir aux XVIIIe et
XIXe siècles, préfaces de Jean Lorougnon Guédé et Georges Balandier,
Abidjan/Paris, Publications CEDA/Publications de la Sorbonne, 1982 ;
Les Éotilé de Côte d’Ivoire aux XVIIIe et XIXe siècles : pouvoir lignager et
religion, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Homme et société »,
2008.
42. L’ouvrage fondamental de Jan Vansina est De la tradition orale :
essai de méthode historique, Tervuren, Musée royal de l’Afrique centrale,
1961. Le grand œuvre d’Yves Person est Samori : une révolution dyula,
Dakar, IFAN, 1968-1975, 3 tomes.
43. Yves Person, Historien de l’Afrique, explorateur de l’oralité, édition
mise au point, présentée et enrichie de notes et de cartes par FrançoisXavier Fauvelle et Claude-Hélène Perrot, Paris, Éditions de la Sorbonne,
2018.
44. Sur ce moment fondateur, on peut se reporter aux paratextes
d’ouverture du premier numéro, paru en 1955, des Annales d’Éthiopie,
revue savante éditée par le centre depuis lors et accessible en ligne. Voir
la dédicace à l’empereur [en ligne : https://www.persee.fr
/doc/ethio_0066-2127_1955_num_1_1_1222]
et
le
texte
de
présentation de la section d’archéologie [en ligne : https://www.persee.fr
/doc/ethio_0066-2127_1955_num_1_1_1225].
45. J’évoque ici un souvenir personnel de son enseignement.
46. Mark Horton et John Middleton, The Swahili: The Social Landscape
of a Mercantile Society, Malden (Mass.), Blackwell Publishers, 2000.
47. Patrick Boucheron, François-Xavier Fauvelle et Julien Loiseau,
« Rythmes du monde au Moyen Âge », in Isabelle Catteddu et Hélène
Noizet (dir.), Quoi de neuf au Moyen Âge ?, Paris, Éditions de La
Martinière, 2016, p. 150-166.
48. Dipesh Chakrabarty, Provincializing Europe: Postcolonial Thought
and Historical Difference, Princeton, Princeton University Press, 2000.
49. Souleymane Bachir Diagne et Jean-Loup Amselle, En quête
d’Afrique(s) : universalisme et pensée décoloniale, préface d’Anthony
Mangeon, Paris, Albin Michel, 2018, p. 278-279.
50. Harris Mémel-Foté, L’esclavage lignager africain et l’anthropologie

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des droits de l’Homme. Leçon inaugurale
18 décembre 1995, Paris, Collège de France, 1996.

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faite

le

lundi

51. « Barack Obama marks Nelson Mandela’s 100th birthday »
(17 juillet 2018) [le discours intégral peut être visionné en ligne :
https://www.youtube.com/watch?v=KYaOtZUMcHI].
52. Martin Legassick, « Myth and reality in the struggle against
apartheid », Journal of Southern African Studies, vol. 24, no 2, 1998,
p. 443-458.
53. Wole Soyinka, « Suráfrica es nuestro sueño y Ruanda nuestra
pesadilla », El País, 23 mai 1994 (merci à Hélène Dumas de m’avoir
signalé cette interview).
54. François-Xavier Fauvelle, Convoquer l’histoire. Nelson Mandela :
trois discours commentés, Paris, Alma, 2015, p. 68.
55. James Baldwin, Notes of a Native Son [1955], Boston, Beacon Press,
2012 ; Retour dans l’œil du cyclone, traduit par Hélène Borraz, Paris,
Christian Bourgois, 2015 ; Toni Morrison, Playing in the Dark:
Whiteness and the Literary Imagination, Londres, Picador, 1993 ;
Léonora Miano, Habiter la frontière, Paris, L’Arche, 2012.
56. J’endosse ici l’éthique de la conversation chère à Ali Benmakhlouf, La
Conversation comme manière de vivre, Paris, Albin Michel, 2016.

Auteur

François-Xavier Fauvelle
Professeur au Collège de France,
titulaire de la chaire Histoire et
archéologie des mondes africains
Du même auteur

Leçons
de
l’histoire
de
l’Afrique, Collège de France,
2020
Préface in
Empreintes
du

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temps, Centre français
études éthiopiennes, 2007

des

© Collège de France, 2020
Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Référence électronique du chapitre
FAUVELLE, François-Xavier. Leçons de l’histoire de l’Afrique : Leçon
inaugurale a été prononcée au Collège de France le jeudi 3 octobre 2019
In : Leçons de l’histoire de l’Afrique : Leçon inaugurale prononcée le
jeudi 3 octobre 2019 [en ligne]. Paris : Collège de France, 2020 (généré le
13
janvier
2022).
Disponible
sur
Internet
:
. ISBN : 9782722605398.
DOI : https://doi.org/10.4000/books.cdf.9317.

Référence électronique du livre
FAUVELLE, François-Xavier. Leçons de l’histoire de l’Afrique : Leçon
inaugurale prononcée le jeudi 3 octobre 2019. Nouvelle édition [en
ligne]. Paris : Collège de France, 2020 (généré le 13 janvier 2022).
Disponible sur Internet : .
ISBN : 9782722605398. DOI : https://doi.org/10.4000/books.cdf.9292.
Compatible avec Zotero

Leçons de l’histoire de l’Afrique
Leçon inaugurale prononcée le jeudi
3 octobre 2019
François-Xavier Fauvelle

Ce chapitre est cité par
Thouroude, Guillaume. (2021) Perspectives littéraires sur l’oeuvre
d’Ibn Battuta : le merveilleux, l’auctorialité et la double rhétorique
du voyageur. Études littéraires, 50. DOI: 10.7202/1084004ar

Ce livre est cité par
(2020)

Le

management

interculturel

en

Afrique.

DOI:

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10.3917/ems.thery.2020.01.0178

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