Fiche du document numéro 30623

Num
30623
Date
Dimanche 21 août 2022
Amj
Taille
282450
Titre
Seychelles : les nouvelles autorités disent vouloir en finir avec la corruption et l’omerta
Soustitre
Un an après la première alternance démocratique de son histoire, la nouvelle politique à l’œuvre dans le plus petit pays d’Afrique rompt avec un demi-siècle d’opacité. Les enquêtes de la jeune commission anticorruption démarrent sur les chapeaux de roues tandis que les parlementaires devraient se pencher prochainement sur les livraisons d’armes aux génocidaires rwandais.
Nom cité
Lieu cité
Mot-clé
BNP
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Bruxelles (Belgique).– « On cherche beaucoup d’argent et on a retrouvé beaucoup d’armes. On est très ambitieux », résume d’une traite Wavel Ramkalawan en traversant le patio du luxueux hôtel bruxellois où Mediapart le rencontrait à la mi-février. Son élection à la présidence de la République des Seychelles en octobre 2021 a mis fin à quarante-trois ans de règne sans partage du clan affairiste de feu l’ancien dictateur France-Albert René et de ses successeurs.

Avant d’être élu, Wavel Ramkalawan a été prêtre de l’Église anglicane. « Je le suis toujours. Je fête cette année trente-huit ans d’ordination. Pas mal hein !? Tu étais né, toi ? », demande-t-il avec un sourire blagueur. C’est d’ailleurs un incident lié à sa fonction religieuse qui a déclenché son engagement politique en 1989. L’un de ses sermons radiodiffusés avait déclenché l’ire du dictateur France-Albert René.

Le président des Seychelles Wavel Ramkalawan à Bruxelles le 17 février 2022. © Photo John Thys/Pool/AFP

« J’ai dit que c’était l’heure de libérer ce peuple. C’était le texte du livre de l’Exode. Je disais aussi que l’on ne pouvait pas continuer avec l’abus des droits. Enfin je parlais de ce qu’il se passait dans ce pays… Quand j’ai fait ce sermon, France-Albert René m’a interdit l’accès à la radio. Il ne voulait plus entendre ma voix. Même pour lire la Bible », raconte Wavel Ramkalawan qui manque de s’étouffer de rire.

S’ensuit une lutte patiente et non violente qui durera près de trente ans avec la corruption en ligne de mire. À mesure que leur popularité grandit, les opposants endurent les intimidations et la violence du régime. Jusqu’à ce que leur parti, Linyon Demokratik Seselwa (« Union démocratique seychelloise »), remporte la majorité parlementaire en 2016 puis la présidence en 2020.

« Je dirais qu’à partir de 2016 nous avons pu mener notre programme. C’est là que la transition a commencé. Danny Faure [président des Seychelles entre 2016 et 2020 – ndlr] n’était pas quelqu’un de dur. Il cherchait le compromis. C’était l’ouverture, analyse Wavel Ramkalawan. Quand les résultats de l’élection présidentielle ont été annoncés, nous avons parlé comme des amis. C’était une transition paisible. »

Une transition apaisée qui n’empêche pas l’opposition d’être vent debout contre le nouveau président qu’elle accuse régulièrement de censure. « Leurs conférences de presse sont diffusées en direct à la télévision. Moi, je n’avais pas tout ça », rigole Wavel Ramkalawan. Depuis notre entretien, la Seychelles Broadcasting Corporation (SBC, la télévision nationale) a néanmoins temporairement suspendu la diffusion en direct de ces événements en raison de leur virulence alléguée.

« Nous nous demandons chaque jour quelle est aujourd’hui la philosophie des successeurs de France-Albert René. On ne voit pas de stratégie claire. Mais cela ne veut pas dire que l’opposition ne fait pas son travail. Ils posent des questions, critiquent les décisions du gouvernement… Ils découvrent la démocratie difficilement », observe le président seychellois.

Croisade anticorruption

Depuis l’élection de Wavel Ramkalawan, le petit archipel situé au large de l’Afrique de l’Est a pris un virage à 180 degrés en matière de transparence, de fiscalité et de coopération judiciaire internationale. Dans ce qui fut l’un des pires paradis fiscaux de la planète, une politique anticorruption volontariste et retentissante commence à porter ses fruits.

Le 5 octobre 2021, l’UE a d’ailleurs retiré les Seychelles de sa liste des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales. L’archipel a aussi fait un bond de quatre places dans l’Index de perception de la corruption de l’ONG Transparency International pour atteindre le 23e rang mondial juste derrière la France et le 1er en Afrique. « Nous avons beaucoup travaillé, amendé nos lois. Nous comptons entrer bientôt sur la liste blanche. L’administration est sérieuse aujourd’hui. On ne joue pas avec la corruption », affirme Wavel Ramkalawan.

Aux Seychelles, les progrès de la lutte contre la corruption paraissent prometteurs. La première enquête d’envergure de la jeune commission anticorruption défraie la chronique. Au cœur de l’affaire : un don de 50 millions de dollars versé en 2002 par les Émirats arabes unis dont les Seychellois n’ont jamais vu la couleur. La somme envoyée par Abu Dhabi avait intégralement disparu.

Les Seychelles ont sollicité la coopération judiciaire de l’Union européenne et du Royaume-Uni auxquels elles ont adressé des commissions rogatoires. La collaboration des pays occidentaux et des banques anglaises a rapidement permis de retracer une partie de l’itinéraire des fonds.

Dès les premières arrestations dans l’archipel, les enquêteurs découvrent une importante cache d’armes. Dès lors, l’affaire prend une toute nouvelle tournure, des accusations de trafic d’armes et de terrorisme s’ajoutant au dossier. Wavel Ramkalawan se veut malgré tout confiant. « Personnellement je n’ai pas de craintes, car la transition politique s’est très bien passée. L’armée est de plus en plus professionnelle. La loyauté des gens va à l’État. »

L’affaire du don émirati a donné lieu à une succession d’interpellations plus retentissantes les unes que les autres. Un ancien conseiller de France-Albert René, un lieutenant-colonel de l’armée, l’ancien ministre des finances et l’ex-directrice générale du ministère des finances ont été arrêtés. Puis c’est au tour de l’ancienne première dame en personne, Sarah Zarqani-René, d’être appréhendée le 26 novembre 2021.

« Moi, je n’ai pas d’intérêt personnel dans cette affaire. Cet argent était destiné au peuple seychellois, il faut donc qu’il en bénéficie », résume Wavel Ramkalawan qui a tout de même une idée derrière la tête. « L’argent qui a été pris mal à propos a été investi. Les 50 millions de 2002 ont donné naissance à beaucoup de bébés. Et tous ces bébés sont aussi pour le peuple seychellois », s’amuse-t-il.

Reste à savoir si la coopération judiciaire internationale fonctionnera bien dans les deux sens. « Si l’UE cherche l’assistance des Seychelles, on est là pour travailler en coopération. Si des sociétés sont enregistrées aux Seychelles, bien sûr que nous allons coopérer. Et si des investigateurs viennent aux Seychelles, on répondra à leurs questions et on fournira les informations dont on dispose », assure le président Ramkalawan. Les Seychelles se sont par ailleurs engagées en novembre 2021 à signer deux conventions bilatérales avec la France : un accord d’extradition et un accord d’entraide judiciaire en matière pénale.

Lourdes questions mémorielles

L’arrivée au pouvoir de la coalition Linyon Demokratik Seselwa sonne aussi l’heure d’une introspection inédite au sein de l’État seychellois. Sous l’impulsion de ses dirigeants, la majorité parlementaire s’apprête à rouvrir certaines des pages les plus sombres de l’histoire de l’archipel.

À commencer par l’affaire du Malo, le faux nom d’un cargo rempli de 400 tonnes d’armes et de munitions arraisonné et détourné dans l’océan Indien en mars 1993. Sa cargaison avait été vendue l’année suivante par les autorités seychelloises sans que l’on connaisse les bénéficiaires. Une grande partie de cet arsenal fut expédié au Rwanda où se déroulait alors un génocide. Plus d’un million de personnes y étaient exterminées.

Wavel Ramkalawan (alors député) et quelques autres personnes avaient médiatisé l’affaire par l’intermédiaire du journal Regar, contribuant à faire fuiter les informations hors des Seychelles. « J’ai posé des questions à l’Assemblée nationale. On a eu toutes sortes de réponses, mais pas les bonnes. Les personnes qui ont vendu les armes avaient la majorité absolue et j’étais bien seul dans cette assemblée », se remémore le président.

« Nous allons déposer incessamment une motion à l’Assemblée nationale et demander une commission d’enquête parlementaire pour éclairer les conditions dans lesquelles ces ventes d’armes avaient été faites », affirme l’actuel ministre de la pêche et de l’économie bleue Jean-François Ferrari, militant de la première heure et ancien directeur de la rédaction du journal Regar. « D’une part pour que le Rwanda ne soit pas le seul pays à entreprendre des démarches pour découvrir la vérité et d’autre part parce que notre volonté de transparence implique d’éclaircir cette tache noire sur l’histoire des Seychelles. »

La justice française pourrait bien contribuer, elle aussi, à faire toute la lumière sur cet épisode. Une plainte pour « complicité de génocide » et « crime contre l’humanité » déposée en France par trois associations vise la banque française BNP Paribas depuis 2017. Les paiements en provenance du Rwanda auraient transité par cet établissement.

Les parlementaires et la jeune commission anticorruption seychelloise ont du pain sur la planche. Quant aux affaires non élucidées, elles demeurent nombreuses dans l’archipel. « Malheureusement, le dictateur France-Albert René est décédé. Mais on ne sait jamais. Peut-être que d’autres personnes de son entourage viendront livrer leurs connaissances et que l’on pourra répondre à toutes ces questions », veut croire Wavel Ramkalawan qui voit le proche dénouement de l’affaire des 50 millions émiratis comme un bon présage.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024