Fiche du document numéro 30545

Num
30545
Date
Jeudi 13 mai 2010
Amj
Auteur
Taille
24987
Sur titre
Tribune
Titre
Rwanda, le 13 mai 1994
Lieu cité
Mot-clé
Source
Commentaire
This accusation by Serge Farnel turned out to be false, it is the result of a manipulation. In 2022, the president of Ibuka warned the survivors of Bisesero against these allegations which can harm their testimonies on the refusal of the French soldiers to rescue them between June 27 and 30, 1994.
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Les résultats de l'enquête que j'ai menée au Rwanda depuis avril 2009
ont été partiellement révélés, en février dernier, à l'occasion d'une
pleine page publiée dans le Wall Street Journal. De nombreux
témoignages, aussi bien de rescapés que d'anciens génocidaires, y
attestent de la participation directe de ce qui apparaît être des
soldats français au génocide de dizaines de milliers de civils tutsis
le 13 mai 1994 à Bisesero, dans l'ouest du Rwanda. Les deux dates des
13 mai et 14 mai 1994 correspondent probablement aux deux plus
importantes journées de massacres génocidaires ayant eu lieu dans le
pays des mille collines au printemps 1994. On estime que 40 000 civils
tutsis auraient été génocidés au cours de ces deux jours à Bisesero,
la plus grande partie d'entre eux l'ayant été le 13 mai. Deux jours
d'intenses massacres qui ont emboîté le pas à la journée du 12 mai
dédiée, elle, à leur préparation.

La connaissance du fait que ces deux jours furent consacrés à de
grands massacres génocidaires n'est pas nouvelle en ce que cela avait
déjà été consigné dans le rapport de l'ONG londonienne African Rights,
avant d'être documenté par nombre de témoignages portés devant le
Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Ce qui est nouveau
en revanche, et qui résulte de cette enquête menée à l'occasion de
deux voyages au Rwanda - l'un en avril 2009 (soixante-dix heures
d'interview filmées), le suivant en février 2010 (trente heures de
tournage de reconstitutions sur le terrain) -, est le fait que des
Français en uniforme militaire, armés de mitraillettes, mortiers et/ou
de lance-roquettes y ont non seulement activement participé aux côtés
des milices interahamwe, de la population hutu et des gendarmes,
policiers et soldats rwandais, mais qu'ils ont également été aux
premières loges de son organisation. Voici un résumé de ce que cette
enquête permet notamment d'affirmer.


La journée du 12 mai 1994 est consacrée à préparer le massacre
génocidaire du lendemain. Il s'agit de venir à bout de ces dizaines de
milliers de Tutsis qui sont parvenus, en se réfugiant dans les
collines de la région de Bisesero, à échapper à leur génocide perpétré
jusque-là au sein des stades et des églises de la préfecture de
Kibuye. A cette fin, une reconnaissance est notamment réalisée d'un
endroit nommé Mubuga à un autre endroit nommé Mumubuga : une centaine
de miliciens et de paysans hutus font le chemin par une piste avec
pour ordre de ne pas s'en prendre aux Tutsis, tandis qu'un convoi de
véhicules, contenant des Blancs en uniforme, et qui viennent d'être
présentés à la foule comme Français, se rend par la route à la
rencontre de ces derniers. Il s'agit de rassurer à cette occasion les
Tutsis découverts quant au fait qu'il n'y aura plus de massacre et
qu'ils bénéficieront au contraire désormais de protection. Dans la
soirée, le conseiller municipal de Mubuga, Vincent Rutaganira, fait
battre le tambour afin d'inviter la population à venir participer au
massacre prévu pour le lendemain à l'encontre des Tutsis qui viennent
d'être débusqués.

Des milliers de tueurs



Le 13 mai 1994, a lieu, vers 7 heures du matin, un grand rassemblement
sur la place de Mubuga : plus de cent personnes sont réunies quand
arrive le bourgmestre de Gishyita, Charles Sikubwabo (actuellement en
fuite et recherché par le TPIR), accompagné d'une dizaine d'hommes en
uniforme militaire qu'il prend alors soin de présenter à la foule
comme Français, et dont le visage est cette fois camouflé avec de la
suie noire. La réunion dure à peine un quart d'heure. Tout le monde
s'en va ensuite en direction de la colline de Mumubuga, la foule de
miliciens empruntant une piste tandis que Sikubwabo et les Français
regagnent eux leur véhicule avant de prendre la route. Il faut à peu
près une heure trente aux premiers miliciens pour rejoindre le point
de rendez-vous qu'ils se sont fixé avec les Français. Afin de se
différencier des Tutsis qu'ils s'apprêtent à exterminer, ils sont pour
nombre d'entre eux recouverts de ces feuilles de bananier dont la
région regorge. Des milliers de tueurs sont maintenant présents sur le
terrain du génocide : miliciens interahamwe, soldats et policiers
rwandais, sans oublier la population hutu rameutée pour l'occasion.
Les grands chefs miliciens saisissent leur mégaphone pour scinder puis
diriger les attaquants en plusieurs groupes tandis que les Français
ont, eux, déjà fait la jonction avec ceux qu'ils ont laissés un peu
plus tôt à Mubuga. Accroupis dans la brousse, seule une dizaine de
mètres les sépare de ces miliciens et paysans hutus qui n'attendent
désormais plus que leur feu vert aux fins d'investir les collines d'en
face. Pour le moment, ils restent couchés dans la brousse, le temps
que les Français finissent d'arroser de leurs obus (ou roquettes) les
buissons où se cachent les Tutsis. Effrayés, ces derniers se mettent
alors à fuir leurs cachettes, après quoi les Français mitraillent une
à une ces cibles mouvantes que constituent les civils tutsis sans
défense. C'est alors au tour des miliciens et paysans de se mettre au
"travail", tachant d'abord de repérer des mouvements dans les collines
avant d'aller achever au gourdin ou à la machette les Tutsis qui ne
sont que blessés.


Bilan de la journée du 13 mai 1994 : le génocide de quelques dizaines
de milliers de civils tutsis.


En mars dernier, le procureur du TPIR a été informé que mes témoins
(une cinquantaine, parmi lesquels des rescapés et des anciens
génocidaires) se tenaient à sa disposition aux fins de reproduire en
justice les témoignages dont ils m'ont fait part.


Serge Farnel est ingénieur, écrivain et journaliste d'investigation.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024