Fiche du document numéro 30540

Num
30540
Date
Mercredi 29 juin 2022
Amj
Taille
66911
Titre
Les Rwandais sont exhortés à prendre garde aux recherches de Serge Farnel sur le génocide [Traduction de Vénuste Kayimahe]
Nom cité
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Lieu cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
L'association Ibuka, qui défend les intérêts des rescapés du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda, a appelé les Rwandais, en particulier ceux de Bisesero, à s'abstenir d’accorder de nouvelles opportunités1 à l'auteur français Serge Farnel.

Ce Farnel dont il est dit qu’il a déformé exprès une partie de l’histoire du génocide perpétré contre les Tutsi à Bisesero, dans le district de Karongi.

Cette mise en garde a été lancée par le président d'Ibuka au niveau national, le Dr Nkuranga Egide, lors de la commémoration à Bisesero du 28ème anniversaire du génocide de 1994 contre les Tutsi.

Serge Farnel est un écrivain et journaliste français né le 19 mars 1965. Farnel, âgé de 57 ans, a produit deux écrits sur le génocide perpétré contre les Tutsi à Bisesero, ‘’Rwanda, 13 mai 1994. Un massacre français ?’’ en 2012, et ‘’Bisesero. Le Ghetto de Varsovie rwandais’’ en 2014.

Bisesero est un lieu avec une histoire unique relative au génocide contre les Tutsi, car les Basesero ont pu résister et tenir en échec les tueurs durant tout un mois.

Feu Birara Aminadab est considéré par les Basesero comme leur héros. C’est ce vieil homme qui les entraînait à l'autodéfense ; et lorsqu'il voyait se pointer une grosse attaque, il leur disait de se lancer, c'est-à-dire de dévaler massivement la montagne et de se mélanger avec les tueurs, de sorte que ni celui qui visait avec un fusil ni celui qui brandissait une machette ne soient plus en mesure de manœuvrer pour couper ou tirer.

Les Basesero s’étaient installés au sommet des collines, de telle manière qu’ils remarquaient toute attaque qui montait dans leur direction et allaient ainsi au-devant d’elle en bas de la montagne, afin d’empêcher les tueurs de les atteindre au sommet et les y massacrer pour ensuite emmener leurs vaches et leurs femmes.

Le 13 mai 1994 est une terrible date pour les Basesero car ils ont subi ce jour-là une attaque comprenant de l’artillerie lourde qui leur a infligé d’énormes pertes. Ainsi, les 13 et 14 mai, ce sont 40.000 Basesero qui furent exterminés.

Le président d'Ibuka au niveau national, Nkuranga Egide, a déclaré qu’(à Ibuka) ils avaient eu beaucoup de mal pour comprendre comment, dans son premier livre, Farnel avait inclus des affirmations extravagantes démontrant que le 13 mai 1994, des (soldats) Français se trouvaient dans les collines de Bisesero.

Ceci a d’ailleurs provoqué une vive altercation entre lui et ses collègues co-auteurs de ce livre (?) à tel point qu’ils ont même failli en venir aux mains.


Ses collègues lui disaient que, si jamais une enquête démontrait que ce qu'il écrivait là en affirmant qu'il en avait des preuves n’était qu’une pure diffamation à l’endroit des soldats français, il serait non seulement traduit devant les tribunaux mais qu’en plus il en résulterait un autre dommage de voir discrédités leurs propres écrits pourtant, eux, étayés de preuves.

« Malheureusement, dit-il, il n’a rien voulu lâcher, il a publié le livre en question, et pire, il a souhaité qu’avant sa publication Ibuka lui apporte sa caution par une signature, ce que nous lui avons refusé. Puis nous sommes venus enquêter ici à Bisesero et nous avons alors obtenu des informations approfondies révélant qu’il y a un groupuscule de gens auquel il donnait de l’argent pour qu’ils affirment que des (soldats) français étaient présents. Je veux exprimer ma désapprobation à ces personnes-là ».

Nkuranga a poursuivi en disant qu’après cela, cet auteur Farnel a également organisé une conférence à Gisozi à laquelle il a invité les Basesero.

« Je sais que plus tard, nous avons parlé avec certains de ces gens, et leur avons demandé d’être prudents avec ces affirmations, car nous n’avons pas encore percé les motivations de ce monsieur. S’agit-il de cette conduite habituelle des Blancs qui s’imaginent pouvoir faire toute chose comme ils l’entendent ou est-ce qu’il existe une intention cachée derrière ? Cela, nous ne le savons pas encore ».

Le président d'Ibuka a révélé que Farnel a continué de lui adresser de la correspondance, qu’il a même écrit un  autre livre, mais qu'Ibuka a fini par refuser de répondre à ses sollicitations.

« Nous n’avons absolument plus aucun doute sur ça (sur ce qu’il fait), ajoute-t-il. A tous ceux qui nous écoutent et ceux qui nous écouteront, je voudrais demander que si ce monsieur recommence à inviter les gens dans ses conférences et dans d’autres réunions - car il en organise fréquemment - qu’ils refusent de s’y rendre. Je crois même que nous lui écrirons pour lui dire que ce qu’il fait n’est pas correct ».

Le vieux Eric Nzabihimana et Gasimba Narcisse, (deux) des survivants de Bisesero, ont dit dans leur témoignage que des soldats français sont arrivés pour la première fois à Bisesero le 27 juin 1994 puis sont repartis et sont revenus le 30 juin 1994. Ce qui est en contradiction avec l'affirmation de Farnel selon laquelle ils étaient présents le 13 mai 1994.

Eric Nzabihimana dit qu’on pourrait penser que certains Français ont reçu comme mission de  minimiser et de déformer le génocide.

Serge Farnel et Bruno Budiguer (Boudiguet), dit-il, ont recherché des personnes en vue de recueillir d’eux de faux témoignages, y compris des individus reconnus coupables de génocide. Ils les ont achetés, ils leur ont offert de l’argent afin de leur faire dire ce qu’ils voulaient qu’ils disent. Je donne ici un exemple : ils affirment que les Français étaient présents au cours des monstrueux massacres du 13 mai alors que ce n’est pas vrai. Nous nous sommes battus sur toutes les collines, ainsi, s’ils avaient été là, nous les aurions vus.

Nzabihimana dit que ceci pourrait anéantir la crédibilité d'autres témoignages que donnent les Basesero sur le rôle des Français dans le génocide perpétré contre les Tutsi.

Et de poursuivre : « S’ils prouvent qu'aucun Français n'est venu à Bisesero en ce moment-là, ils diront que ce que nous attestons pour des dates postérieures (à ce fameux 13 mai) n'est en conséquence pas vrai non plus ».

Le ministre de la Justice et garde des Sceaux, le Dr Ugirashebuja Emmanuel, estime que la solution au problème créé par ceux qui écrivent l’histoire du génocide en déformant les faits pour des raisons qui leur sont propres, serait que les Rwandais l’écrivent eux-mêmes.

« En tant que ministre et représentant de ce district, a-t-il poursuivi, je m’associerai avec vous pour oeuvrer ensemble à la préservation de l'histoire de Bisesero. Cela comprend également l'écriture, mais l'écriture n’est que l'un des nombreux moyens qui peuvent être utilisés, dont aussi  la conservation d’enregistrements audio et video ».

Le mémorial du génocide de Bisesero compte trois bâtiments composés chacun de neuf pièces correspondant aux neuf communes qui formaient la préfecture de Kibuye.

Egalement, à l’entrée du mémorial, tout autour d’une grande pierre, sont plantées 9 grandes lances désignant les armes traditionnelles utilisées par les résistants de Bisesero pour se défendre.

L'an dernier, en 2021, une rue (place) française a été dédiée à la mémoire de Birara Aminadab, que les Baseseros considèrent comme leur héros.

Les Basesero souhaitent que sur la colline de Muyira où ils élaboraient leurs stratégies de défense soit élevé un majestueux édifice mettant en exergue le rôle des femmes ramassant des pierres et les portant aux hommes qui s’en servaient pour faire face aux attaques.

Les Basesero voudraient également qu’à Bisesero soit érigée une statue de Birara Aminadab, qui a pu diriger les combats de la résistance sans avoir reçu aucune formation militaire.


Article en kinyarwanda de Nsanzimana Erneste

IGIHE, 29 juin 2022.

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