Fiche du document numéro 30393

Num
30393
Date
Lundi 11 juillet 2022
Amj
Taille
34186
Titre
Rwanda : à Paris, la réclusion à perpétuité requise contre Laurent Bucyibaruta
Sous titre
L’ancien préfet de Gikongoro, réfugié en France depuis 1997, est accusé de génocide et de complicité de génocide. Son avocat demande l’acquittement.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Sur la base de quels faits devient-on complice d’un génocide ? La peur peut-elle annihiler toute volonté de s’opposer à une tuerie de masse ? Depuis le 9 mai, la cour d’assises de Paris juge Laurent Bucyibaruta, ancien préfet de Gikongoro de 1992 à juillet 1994, pour « génocide », « complicité de génocide » et « complicité de crimes contre l’humanité ». Dans sa préfecture située dans le sud-ouest du Rwanda, près de 125 000 Tutsi ont été exterminés au cours du printemps 1994. Il encourt une peine de prison à vie.

Ce procès est le quatrième en France lié au génocide des Tutsi, le premier pour un haut responsable. L’ancien fonctionnaire, réfugié dans l’Hexagone depuis 1997, est poursuivi à la suite d’une plainte déposée en 2000 par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et l’association Survie. Sa responsabilité dans les massacres ayant ensanglanté le territoire qu’il administrait se retrouve au cœur du procès. « Laurent Bucyibaruta a conservé tous les pouvoirs attribués à sa fonction suprême », ont déclaré les deux procureures générales, Sophie Havard et Céline Viguier, vendredi 8 juillet : « Il a continué d’assurer l’ordre et la sécurité. Il aurait pu condamner fermement les massacres, mais il n’a rien fait. »

Le ministère public a retenu sa « complicité par aide ou assistance » pour le massacre d’environ 25 000 Tutsi dans la paroisse de Kibeho, le 14 avril 1994. Pour la tuerie du 21 avril dans une école de Murambi, où près de 40 000 personnes ont été exterminées, des témoins ont même déclaré avoir vu l’accusé sur place, ce qu’il conteste. Sur ce site, puis dans les localités de Cyanika, Kaduha et enfin pour l’assassinat d’une centaine d’élèves à Kibeho, les deux procureures générales ont estimé qu’il fallait condamner Laurent Bucyibaruta en tant qu’« auteur » de génocide.

Au terme d’une plaidoirie de quasiment six heures, la réclusion à perpétuité a été requise contre lui, car même si le préfet « n’a tué personne de ses mains, il porte sur lui le sang de tous les morts de Gikongoro ».

« Que pouvais-je faire ? »



Dans l’accomplissement de son « travail » – comme disaient les miliciens Interahamwe pour désigner leur triste besogne –, cette préfecture s’est illustrée : 75 % des Tutsi y ont été massacrés, la plupart jetés dans des fosses communes. Cette « efficacité » a même été saluée à l’époque par le premier ministre Jean Kambanda, qui s’est dit « fier » de ces résultats. Fin avril 1994, lors d’une réunion, le chef du gouvernement génocidaire – depuis condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) – adressait ses félicitations au préfet de Gikongoro pour s’être « appliqué à mettre en place le programme du gouvernement ».

« Mais que vouliez-vous que je fasse ? », a répété d’une voix faible l’ancien préfet, aujourd’hui âgé de 78 ans : « Que pouvais-je faire ? » Son impuissance ou son inaction, notamment lorsqu’il a entendu des coups de feu tirés à Murambi, ont été dénoncées par toutes les parties civiles. « Il n’a rien fait, pas même essayé », a ainsi rappelé Sabrina Goldman, avocate de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) : « Il aurait pu sermonner, sanctionner… C’est de la lâcheté coupable. »

Laurent Bucyibaruta explique qu’il ne pouvait pas agir à cause de la défaillance de l’Etat rwandais. « Je ne disposais d’aucune force armée capable d’affronter les meurtriers qui attaquaient la population », a-t-il assuré. « C’est faux ! », s’est emporté Antonin Gravelin, avocat de la FIDH : « La machine administrative était au service de l’extermination. L’Etat rwandais était bel et bien présent. Ce n’est pas un mouvement spontané qui a permis d’exterminer un million de personnes. »

« Laurent Bucyibaruta a parfaitement joué son rôle de courroie de transmission des messages du gouvernement intérimaire », a renchéri Simon Foreman, avocat du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR).

Ni regret ni empathie



Laurent Bucyibaruta avait-il la possibilité de freiner la folie meurtrière ou de la fuir en démissionnant ? « La voie de la désobéissance était possible », a plaidé Domitille Philippart, autre conseil du CPCR : « Emmanuel Bagambiki, préfet de Cyangugu, a pris des mesures pour sanctionner un bourgmestre qui avait participé aux massacres. Quant à Fidèle Uwizeye, préfet en poste à Gitarama, il s’est opposé aux tueries avant de prendre la fuite. »

Si le Hutu Laurent Bucyibaruta n’a rien fait, c’est aussi parce qu’il avait peur, a-t-il expliqué. Marié à une femme tutsi, il craignait d’être arrêté et d’être considéré, selon lui, comme « un agent du Front patriotique rwandais », un mouvement politico-militaire venu d’Ouganda et composé de Tutsi. Les audiences ont montré qu’il n’était pas un donneur d’ordre et qu’il n’a jamais appelé à la haine. Le 16 avril 1994, il a même rédigé en compagnie du préfet de Butare – un Tutsi qui sera assassiné quelques jours plus tard – un communiqué appelant à « punir tout acte de violence ».

Jusqu’à la fin du génocide, « il va convoquer des réunions, écrire et diffuser des communiqués » allant dans le même sens, a rappelé l’avocat Jean-Marie Biju-Duval, qui a demandé l’acquittement de son client, lundi 11 juillet : « Le président de la République Théodore Sindikubwabo s’est déplacé à Gikongoro en personne pour remettre Laurent Bucyibaruta dans le “droit chemin” du génocide… Je veux bien dire que le préfet n’est pas un grand résistant, mais il est un honnête homme qui a refusé de relayer une politique génocidaire. »

Laurent Bucyibaruta, qui n’a exprimé ni regret ni empathie au cours des neuf semaines de procès, prendra la parole une dernière fois mardi matin. Les trois magistrats et les six jurés se retireront dans la foulée pour délibérer. Le jugement est attendu dans la soirée.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024