Fiche du document numéro 30178

Num
30178
Date
Mardi 31 mai 2022
Amj
Taille
694786
Titre
Entre la RDC et le Rwanda, le spectre d’une nouvelle guerre et le retour du « virus » de la haine
Soustitre
La montée en puissance des affrontements entre les Forces armées de la République démocratique du Congo et le mouvement rebelle M23, possiblement soutenu par le Rwanda, laisse planer la crainte d’un nouveau conflit entre les deux pays. Des tensions accrues par d’inquiétants réflexes xénophobes au sein de la population congolaise.
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M23
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Des habitants quittent les villages de Kibati et Kibumba avec leurs biens et leur bétail à la suite d'affrontements entre les FARDC et les rebelles du M23 près de Goma, le 24 mai. (Esdras Tsongo/AFP)

S’il y a un poste de diplomate à risques ces jours-ci, c’est bien celui d’ambassadeur du Rwanda à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC). Lundi, des centaines de manifestants regroupés au centre-ville ont scandé avec hostilité le nom de Vincent Karega, invité à «retourner chez lui» entre deux slogans anti-rwandais, réveillant ainsi d’inquiétants réflexes xénophobes. Au même moment, sur les réseaux sociaux, certains n’hésitaient plus à s’afficher en aiguisant des machettes, alors qu’un général de police a pu appeler ses concitoyens à «prendre leur destin en main» en s’armant contre de prétendus infiltrés. En cause, le soutien supposé du petit Rwanda voisin à un mouvement rebelle, le M23, qui, après dix ans d’absence, a fait sa réapparition dans le nord-est de la RDC.

Vaincu en 2012, après avoir occupé pendant une dizaine de jours la ville de Goma, capitale du Nord-Kivu, le M23 est en effet de retour dans cette région volcanique qui surplombe le majestueux lac Kivu. Ses troupes avaient été contraintes de quitter le pays, cantonnées dans des camps de réfugiés en Ouganda et au Rwanda. Mais les soldats perdus des guérillas africaines se contentent rarement de ce genre de vie précaire après avoir connu le pouvoir des armes. Dès 2017, les fidèles autour du leader Sultani Makenga avaient quitté l’Ouganda et regagné leur bastion dans les impénétrables forêts du Nord-Kivu. Cinq ans plus tard, ce mouvement, composé de Tutsis congolais installés à l’est de l’actuelle RDC avant même la colonisation, se retrouve au cœur des tensions en cours.

Les premiers accrochages remontent en réalité à début novembre. Mais les affrontements se sont multipliés à partir d’avril. Et encore plus la semaine dernière, lorsque d’intenses combats ont opposé ces rebelles aux Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), entraînant la fuite de plusieurs milliers d’habitants venus s’agglutiner au nord de la ville. Les rebelles du M23 se sont même retrouvés à 20 kilomètres de Goma, réveillant les craintes d’un remake des évènements de 2012.

Seigneurs de guerre locaux



Il n’en fallait pas plus pour enflammer les esprits et raviver des sentiments anti-rwandais voire anti-tutsis qui gangrènent cette zone frontalière depuis le génocide des Tutsis au Rwanda, en 1994. Après le carnage, les chefs d’orchestre rwandais des massacres et leurs troupes avaient traversé la frontière pour s’installer dans cette base arrière avec l’espoir de retourner par les armes au Rwanda. Ils en seront délogés en 1996, à l’issue d’une offensive brutale menée par l’Armée patriotique rwandaise, qui avait déjà chassé les génocidaires du Rwanda deux ans auparavant, et pris le pouvoir à Kigali.

L’intervention militaire rwandaise – un moustique face à un éléphant –, bien que victorieuse, les propulsant jusqu’à la capitale Kinshasa, plus de mille kilomètres plus loin, ne réglera rien. Certes, le long règne du dictateur Mobutu s’achève en 1997. Mais à l’Est, le chaos s’installe. Les groupes armés se multiplient, agissant parfois pour le compte de parrains régionaux, le plus souvent comme des seigneurs de guerre locaux qui pillent et tuent sans scrupule au nom d’idéaux factices. Et depuis près de trente ans, les relations entre le Rwanda et la RDC sont en dents de scie, chacun accusant régulièrement l’autre de soutenir des mouvements rebelles locaux. Malgré les efforts récurrents pour tenter de désarmer ces milices prédatrices et les réintégrer à la vie civile.

C’est encore le cas cette fois-ci. Alors qu’à Nairobi, au Kenya, des négociations sont en cours avec certains groupes armés qui sévissent dans l’est du Congo, le M23, qui doit son nom à l’échec d’un précédent accord de démobilisation signé le 23 mars 2009, a repris les armes craignant d’être marginalisé dans le processus en cours. Mais en RDC, c’est la main du Rwanda voisin qui a été aussitôt dénoncée.

Une accusation ouvertement exprimée, samedi, par le porte-parole du gouvernement militaire du Nord-Kivu. Lequel dirige cette province à la place des civils depuis l’instauration, il y a un an, de l’état d’urgence, censé déjà répondre au dérapage de la situation sécuritaire. Dans un communiqué au ton belliqueux, le Rwanda se voit accusé d’agir «par procuration» et de se rendre coupable d’«agression». Pour preuve, les militaires congolais exhibaient le même jour deux soldats rwandais qui auraient été capturés «par la population» en territoire congolais. Faux, ils ont été kidnappés par les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) dans la zone frontalière, rétorque en substance Kigali, qui de son côté accuse les FARDC de collaborer justement avec les FDLR, un autre groupe rebelle créé par d’anciens génocidaires et également implanté dans l’est du Congo.

Mission de médiation entre les deux pays



Le 23 mai, des tirs de roquettes ont détruit quelques habitations sur le territoire rwandais, signe supplémentaire que l’escalade verbale peut à tout moment déraper en conflit ouvert. Pourtant, personne n’y a intérêt. «Les FARDC n’ont absolument pas les moyens logistiques de mener une guerre contre le Rwanda», souligne un bon connaisseur de la région, qui s’inquiète cependant de l’exaltation patriotique et populiste qui s’est emparé d’une partie des Congolais.

Mais pour le président congolais qui songe déjà à sa réélection en 2023, ce regain de tensions est un jeu dangereux. Dans l’immédiat, il profite surtout à son opposition prompte à reprendre les discours xénophobes et à souligner l’échec sécuritaire dans l’est du pays. L’intérêt du Rwanda à raviver ces plaies déjà anciennes n’est pas non plus évident. Le pays s’apprête à accueillir pour la première fois un sommet du Commonwealth, en juin. Or, une guerre en cours ne peut que gâcher la fête dans ce pays qui s’enorgueillit d’avoir renoué avec la paix et le développement après avoir été le théâtre d’un des pires carnages du XXe siècle. «Restent les militaires congolais, corrompus et incompétents, qui profitent de la manne financière de l’état de siège tout en cherchant à camoufler leur échec sur le terrain. Et aussi les rebelles du M23 qui ont peut-être leur propre agenda», énumère un expatrié joint à Goma.

Lundi, le président en exercice de l’Union africaine, le chef d’Etat sénégalais Macky Sall, a confié au président angolais João Lourenço une mission de médiation entre les deux pays. Le choix semble assez judicieux, l’Angola ayant participé à la guerre régionale qui se déroule au Congo, à partir de 1998. Cet apparatchik, ancien militaire qui fut ministre de la Défense dans son pays de 2014 à 2017, saura-t-il renouer le dialogue entre les deux présidents, rwandais et congolais, impliqués dans cette escalade ? Ils se seraient peu parlé depuis l’arrestation en février de François Beya, l’ex-conseiller sécurité du président Félix Tshisekedi. Devenu un peu trop critique face à l’affairisme du clan au pouvoir à Kinshasa, il était surtout l’homme de confiance qui servait d’intermédiaire entre le président rwandais Paul Kagame et le Congolais Etienne Tshisekedi. Son éviction brutale aurait rompu le fil qui tentait, avec un certain succès, de renouer les liens entre les deux pays, depuis l’élection de Félix Tshisekedi en 2019.

M23, un «mouvement terroriste»



Mais quelle est la marge de manœuvre réelle de ces hommes au pouvoir ? Même si le Rwanda a de l’influence sur le M23, serait-il écouté ? Samedi, à Kinshasa, à l’issue d’un conseil de défense, le président Tshisekedi a qualifié le M23 de «mouvement terroriste», définitivement exclu du processus de Nairobi (des consultations de paix entre plusieurs groupes armés de l’est du Congo entamées en avril dans la capitale du Kenya). «Le problème c’est que du coup, les rebelles n’ont plus rien à perdre», souligne le chercheur congolais Onesphore Sematumba, joint à Goma, qui s’inquiète lui aussi de la montée des propos haineux visant «l’ennemi de l’intérieur», et donc les Tutsis congolais. Même si les autorités ne les cautionnent pas pour l’instant.

Mais que se passera-t-il si les rebelles, désormais acculés, se radicalisent ? Pour l’instant, les prétendues victoires des FARDC qui auraient fait reculer le M23 ne sont en réalité que le résultat de retraits volontaires, décidés par les rebelles, des zones un temps contrôlées. Non sans avoir au passage pillé les dépôts de munitions disponibles. Et chaque nouvelle attaque risque de faire monter les réflexes xénophobes susceptibles d’enclencher une dynamique guerrière mortifère, aux conséquences imprévisibles pour ce pays depuis longtemps «ruiné, corrompu, sanguinaire, dupé, ridiculisé», tel que le décrivait en 2006 l’écrivain britannique John le Carré. Le voici donc à nouveau au cœur des inquiétudes en Afrique. Une potentielle bombe à retardement qui préoccupe tout la région.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024