Fiche du document numéro 30080

Num
30080
Date
Vendredi 13 mai 2022
Amj
Taille
325545
Titre
Génocide au Rwanda : un psychiatre aux assises pour conforter la crédibilité des victimes
Soustitre
Un psychiatre est venu expliquer, jeudi 12 mai à la cour d’assises de Paris, que, même si certains témoignages peuvent présenter des incohérences, il ne faut pas douter de la véracité du récit des rescapés d’un génocide. La semaine prochaine, de nombreuses parties civiles vont s’exprimer au procès d’un ancien préfet.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Juliet Mukakabanda, survivante du génocide du Rwanda, qui témoignera lors du procès devant la cour d’assises de Paris de Laurent Bucyibaruta, ancien préfet rwandais poursuivi, entre autres, pour « génocide ». SIMON WOHLFAHRT/AFP

Peut-on mettre en question la crédibilité des récits d’hommes et de femmes ayant survécu à un génocide ? Nul ne sait si cette question se posera lors du procès de Laurent Bucyibaruta qui s’est ouvert cette semaine devant la cour d’assises de Paris. Mais le rôle d’un avocat des parties civiles, c’est aussi de tout prévoir, d’anticiper, pour que l’ombre du doute ne puisse, à aucun moment, effleurer l’esprit des magistrats et des jurés qui vont avoir à se prononcer sur la culpabilité de cet ancien préfet rwandais de 78 ans poursuivi pour « génocide », « complicité de génocide » et « complicité de crimes contre l’humanité ».

Des détails a priori incohérents



Alors Me Simon Foreman, qui représente le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), a fait citer un psychiatre, ce jeudi 12 mai, pour raconter tous les ressorts du stress post-traumatique. Et expliquer que, dans certains cas, des victimes peuvent donner certains détails a priori incohérents, ou en oublier d’autres. Sans pour autant que cela remette en cause l’authenticité de l’ensemble de leur récit.

À partir de la semaine prochaine et durant plus d’un mois, les parties civiles vont venir raconter le génocide de 1994 perpétré par des extrémistes hutus. À la barre ou en visioconférence depuis le Rwanda, ces hommes et ces femmes viendront dire comment, au printemps 1994, à l’invitation du préfet Bucyibaruta, ils et elles se sont réfugiés dans des paroisses ou des écoles de la région de Gikongoro, au sud de la capitale Kigali, en pensant y être à l’abri. Avant que les génocidaires, machette à la main, n’investissent ces sanctuaires qui n’en étaient pas, pour accomplir leur travail d’extermination.

Mais pourquoi douterait-on des mots du malheur ? Au procès du 13 novembre 2015, à quelques couloirs de là, personne n’a interrogé la véracité des témoignages des victimes du terrorisme. Mais le récit d’un génocide, c’est autre chose. Après guerre, il a parfois fallu du temps pour croire ce que racontaient les rescapés des camps d’extermination nazis. « Je voudrais confier cette stupeur : j’ai douté de ce que les rescapés du génocide des Tutsis me racontaient », écrit, dans un article (1) paru en 2009, la journaliste et autrice Souad Belhaddad, partie en 1998 au Rwanda recueillir la parole des victimes : « Je n’avais pas encore entendu beaucoup de rescapés, je ne savais pas encore que leur récit jamais n’a de fin, car le génocide, en eux, jamais ne se termine. Et j’étais contrariée, je me disais qu’elle exagérait peut-être certains épisodes, confondait certains détails. »

« Est-ce que quelqu’un a vraiment pu faire ça ? »



En 2004, Souad Belhaddad a publié un livre (2) avec Esther Mujawayo, une fille de pasteur, sociologue et psychothérapeute, mariée, mère de trois filles, qui a survécu au génocide dans lequel sa famille et celle de son mari ont été exécutées. Dans ce livre, Esther Mujawayo le dit avec franchise : « Quand un rescapé raconte le génocide, il sent bien qu’on a du mal à le croire. (…) C’est trop. (…) Tellement, justement, qu’on se dit soi-même, rescapé : est-ce que ça s’est vraiment passé ? Est-ce que quelqu’un a vraiment pu faire ça ? Je sais pourtant que ça s’est passé, mais c’est comme si je ne voulais pas le croire. (…) C’est parce qu’un rescapé a lui-même du mal à se croire. Encore aujourd’hui, il m’arrive de me demander parfois si je n’ai pas imaginé certains détails, certaines scènes alors que je les ai même moi-même vécus, que je m’en souviens parfaitement. C’est parce qu’un rescapé a du mal à y croire. À croire au génocide qu’il a pourtant subi. »

Et quand les mots des rescapés sont livrés dans une enceinte de justice, les enjeux sont multiples. « À chaque procès pour crimes contre l’humanité, on met parfois en doute la crédibilité des parties civiles. On traque la moindre contradiction, la moindre incohérence dans leurs propos », explique, ce jeudi 12 mai, Me Foreman à la cour d’assises.

Amnésie dissociative



Et voilà pourquoi il a fait venir dans le prétoire le professeur Thierry Baubet, codirecteur scientifique du Centre national de ressources et de résilience. Un psychiatre au langage clair, accessible, ce qui n’est pas toujours le cas aux assises. Et tout le monde comprend quand il parle de l’amnésie dissociative pouvant toucher des victimes qui ont vécu un traumatisme profond.

« On dit qu’ils n’arrivent plus à “encoder”, comme s’il n’y avait pas eu d’enregistrement de certains aspects de la scène qu’ils ont vécue. Y compris des choses qui ont pu se produire à deux mètres d’eux-mêmes. Certaines personnes n’arrivent pas à dire combien de personnes étaient présentes, ni même si c’était le jour ou la nuit. On peut aussi voir une perception distordue de l’écoulement du temps. Cela peut donner des récits où il peut y avoir des incohérences, des choses en opposition avec la réalité », explique le professeur Baubet. Tout en précisant que cela ne doit pas conduire à douter de la crédibilité du témoignage : « Ces quelques incohérences ne veulent pas dire que l’ensemble du récit est faux. »

(1) Dans un article paru en 2009 dans la Revue d’histoire de la Shoah.

(2) SurVivantes. Rwanda, dix ans après, Éd. de l’Aube, 2004.

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