Fiche du document numéro 30062

Num
30062
Date
Lundi 25 avril 1994
Amj
Taille
1211318
Titre
Note du ministère des Affaires étrangères. Attentat du 6 avril 1994
Tres
Ambassadeur Marlaud : « Les Hutu, tant qu'ils auront le sentiment que le FPR essaie de prendre le pouvoir, réagiront par des massacres ethniques »
Résumé
The attack which cost the life of President Habyarimana, and which is the immediate cause of the events that Rwanda is experiencing today, is probably the work of the RPF. The future of this country and of the sub-region depends on the balance that will be established, on the basis of which a political agreement will have to be negotiated.
Source
Fonds d'archives
MIP
Commentaire
This note from Jean-Michel Marlaud, French Ambassador to Rwanda repatriated to France, aims to accuse the RPF which is immediately declared the author of the attack against President Habyarimana. However, it contains several findings that contradict its thesis. He admits that the missile fire left Kanombe where there is a military camp of the Rwandan army. The latter, he writes, "could have found a way to sabotage the accords at a lower cost to her", which seems to admit that the government army refused the peace accords. Moreover, his description of the events is almost accurate: "The death of the President and the main army and security officials, triggering the cycle of murderous reprisals carried out by part of the Presidential Guard in against the opposition and the Tutsi, gave a pretext for the military intervention of the RPF". He therefore recognizes that the RPF did not go on the attack immediately after the attack on the president's plane but rather to stop the massacres undertaken by the presidential guard. He further clarifies "that on the announcement of the death of the President, the abuses immediately began and provided a basis for the armed intervention of the RPF". The French ambassador therefore recognizes that the RPF has engaged in the fight against the perpetrators of the genocide. But he makes this observation and then reverses the roles. His full sentence is this: "If it is true that when the President's death was announced, the exactions immediately began and provided a basis for the RPF's armed intervention, today the situation is rather the opposite: the Hutu, as long as they feel that the RPF is trying to take power, will react with ethnic massacres". If the RPF was justified in resuming the fight against the abuses at the beginning, now, in the eyes of the ambassador, it is in some way responsible for the ethnic massacres because it "is trying to take power". Judging, after a long far-fetched demonstration in the absence of material evidence, that the RPF is responsible for the attack and the continuation of the massacres, the French ambassador seems to admit the legitimacy of the killings perpetrated by the Hutu to prevent the RPF from taking power. This strategy of killing Tutsis from within to counter a military attack by Tutsi refugees abroad is not new in Rwanda. It was often practiced, especially at Christmas 1963. It was explicitly mentioned by President Grégoire Kayibanda on March 11, 1964. But what is serious here, is that this strategy of genocide, which is a strategy of deterrence by the machete, is endorsed by the representative of France, a country which also claims a strategy of deterrence to defend its national territory. Just as it was legitimate to destroy Moscow with nuclear weapons if the Red Army invaded France, so it would be legitimate in the eyes of the ambassador for the Hutu, the only true Rwandans, to massacre the Tutsi who invade them from Uganda.
Type
Langue
FR
Citation
6.E.1. Note du ministère des Affaires étrangères,
25 avril 1994, Attentat du 6 avril 1994

A/S : RWANDA.
Déclassifié

L'attentat qui a coûté la vie au Président
HABYARIMANA et qui est la cause immédiate des événements que
connaît aujourd'hui le Rwanda est probablement l'œuvre du
FPR. L'avenir de ce pays et de la sous—région dépend de
l'équilibre qui s'instaurera, sur la base duquel devra être
négocié un accord politique.

*
**

La destruction de l'avion du Président HABYARIMANA,
le 6 avril dernier, a été selon toutes probabilités provoquée
par un attentat. Trois témoignages directs (directeur de
cabinet et fille du chef de l'Etat, commandant de la garde
présidentielle de Kanombe) font état de tirs. Ces témoignages
sont corroborés par d'autres, qui ne sont pas toujours issus
de milieux favorables au Président HABYARIMANA.

Aucun élément matériel ne permet à l'heure actuelle
de déterminer la responsabilité de cet attentat. Le FPR nie en
être l'auteur et l'attribue à des éléments hostiles aux
accords d‘Arusha, notamment de la garde présidentielle.

Certes, aucune hypothèse ne peut être définitivement
écartée. La thèse d‘une responsabilité de proches du Président
HABYARIMANA est cependant d'une très grande fragilité. Elle
repose sur le fait que les tirs provenaient de Kanombe, où se
trouve un camp de la garde présidentielle. Mais rien ne prouve
qu'ils venaient de l'intérieur de ce camp. Le désarroi des
autorités rwandaises au lendemain de l'attentat et leurs
premières décisions (désignation d'un chef de l'Etat et d'un
gouvernement intérimaires, appel au dialogue avec le FPR) ne
cadrent pas avec l‘idée d'un coup monté par elles. Enfin, la
mort dans un même attentat du Président de la République, du
Chef de la Sécurité et du Chef d'Etat—Major de l'Armée a
affaibli gravement l'armée rwandaise, qui aurait pu trouver le
moyen de saboter les accords à un moindre coût pour elle.

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La responsabilité du FPR, sans être prouvée, est
beaucoup plus vraisemblable. Les indices matériels sont peu
nombreux : rumeurs persistantes selon lesquelles le Front
disposait à Kigali de missiles Sam, départ pour Mulindi de la
quasi—totalité des responsables du FPR dans les jours
précédant l'attentat.

Surtout, il semble bien que le FPR ait pris
conscience au cours de ces derniers mois du fait que la
transition prévue à Arusha ne débouchait pas pour lui sur une
prise du pouvoir. Les accords semblaient à priori très
favorables au Front. Sa stratégie reposait, semble-t-il, sur
les éléments suivants :

— s'allier aux partis d'opposition de l'intérieur pour obtenir

une majorité systématique des 2/3 a l'Assemblée et au
gouvernement,

— remplacer totalement l'administration locale avant l'issue
de la transition,

— déconsidérer le Président HABYARIMANA et son entourage par
des procès touchant aux Droits de l'Homme et à des affaires
de corruption, avec l'issue possible d'une destitution
(selon le mécanisme prévu à Arusha),

Or, il apparaissait de plus en plus clairement au
fil des semaines que le succès de cette stratégie n'était pas
assuré :

— les partis d'opposition de l'intérieur, alliés au FPR lors
des négociations d'Arusha pour enlever ses pouvoirs au chef
de l'Etat, ont eu tendance après avoir atteint ce résultat à
reprendre leurs distances vis— â-vis du FPR pour qu' il n' en
soit pas le seul bénéficiaire. Cette évolution se faisait,
soit par recentrage progressif de l'ensemble du parti (cas
du PSD, sous l'influence de M. GATABAZI jusqu'à son
assassinat), soit par éclatement des partis en tendances
(cas du PL, divisé en deux factions nettement marquées en
faveur du FPR et du Président ; cas du MDR, où le futur
Premier Ministre, indulgent à l'égard du FPR, n'était pas
soutenu par la majorité de son parti se réclamant de la
révolution anti-tutsi de 1959 et du Parmehutu),

— l'assassinat du Président NDADAYE du Burundi, en octobre
1993, a recomposé le paysage politique en fonction des
clivages ethniques, qui se sont brutalement aggravés. Dès
lors, le langage du FPR —récusant les différences ethniques
et se présentant comme un mouvement politique— était en
décalage par rapport à l'opinion rwandaise. Le fossé ne
séparait plus les camps du "changement" (FPR + opposition)
et du conservatisme (le parti présidentiel), mais les
"républicains" (héritiers de la révolution de 1959 qui a
porté les hutu au pouvoir) et les partisans du FPR,

— Enfin, l‘opinion internationale, qui depuis le début de
la guerre en octobre 1990 s'était généralement montrée
ouverte aux thèses du FPR, évoluait dans un sens qui n'était
pas toujours favorable au Front, comme en a témoigné la
déclaration conjointe des pays observateurs et du
représentant spécial du secrétaire général des Nations
Unies, publiée à Kigali et donnant tort au FPR sur la
question spécifique de l'entrée de la CDR dans les
institutions.

Le FPR se trouvait donc dans une situation
inconfortable : l'arithmétique parlementaire et
gouvernementale ne lui donnait plus le contrôle des
institutions, les obstacles à la mise en place de ces
dernières se multipliaient, des problèmes logistiques sérieux
(notamment d'approvisionnement) commençaient à se poser dans
la zone qu'il contrôlait.

Il semble qu‘une réédition du scénario de janvier-
février 1993 l'ait alors tenté : pousser les FAR à la faute
pour avoir le prétexte d'une reprise des combats. Plusieurs
incidents en zone démilitarisée et assassinats n'ont cependant
pas suffi à susciter une réaction des autorités rwandaises,
qui craignaient effectivement un piège de ce type.

La mort du Président et des principaux responsables
de l'armée et de la sécurité, en déclenchant le cycle de
représailles meurtrières exercées par une partie de la garde
présidentielle à l'encontre de l'opposition et des tutsi, a


donné un prétexte a l'intervention militaire du FPR.

*
* *

L'avenir du Rwanda se joue aujourd'hui d'abord sur
le terrain. Le FPR a remporté des succès militaires, mais la
'résistance des FAR ne’ lui. a pas permis pour l'instant de
prendre un avantage décisif. La nomination du Colonel
BIZIMUNGU, commandant du secteur opérationnel de Ruhengeri,
témoigne de la détermination de l‘armée rwandaise.

Le problème des renforts dont pourra disposer le
FPR, en provenance des troupes ougandaises en cours de
démobilisation, et de l'approvisionnement des deux parties en
munitions, revêtira une importance cruciale.

Le rapport de forces qui s'établira devra ensuite se
traduire en termes politiques. A cet égard, chaque partie a
ses problèmes. Pour les autorités rwandaises, il s'agit de
trouver un dirigeant qui puisse se ‘poser en successeur du
Président HABYARIMANA et en fédérateur des hutu. Il ne semble
pas à l'heure actuelle se dégager des rangs du MRND (parti
présidentiel), dont les principaux responsables sont plutôt
réputés pour leur longue fidélité à 1Jancien Président que
pour leurs capacités de meneurs d'hommes. Peut—être le MDR,
héritier de 1959, du Parmehutu et de la première République,
dont les bastions sont au sud du pays, recèle—t—il un tel
homme en son sein, mais celui—ci devra alors se faire accepter
par l'armée (majoritairement issue du nord).

Du côté du FPR, le problème essentiel est celui de
la transformation politique d'une éventuelle victoire
militaire. Le FPR, seul, réduit à sa dimension tutsi (malgré
la présence de quelques responsables hutu), peut difficilement
espérer tenir le pays. Il doit donc, comme il l'avait prévu
initialement dans le cadre de la mise en œuvre des accords
d'Arusha, trouver des alliés. Il est confronté pour ce faire à
une triple difficulté : sa propre rigidité intellectuelle, qui
le conduit à écarter tout accord avec le 'MRND alors qu'il
admettait lui—même encore récemment que le parti présidentiel
représente une véritable force politique dans le pays ; la
mort de la plupart des responsables d'opposition qui auraient
pu jouer un rôle de force d'appoint tout en ayant une réelle
implantation dans le pays ; la réticence probable de
personnalités rwandaises à l'idée de s'allier à un parti qui
est perçu comme l'expression des seuls tutsi.

Dans ce contexte, les efforts de notre pays
devraient porter sur les points suivants :

— le maintien d'une certaine présence internationale au
Rwanda. La MINUAR reste utile, parce qu'elle peut permettre
aux belligérants de se rencontrer en terrain neutre au
moment où ils seront prêts à rouvrir des discussions et
parce qu'elle sera le garant international d'un éventuel
accord. La disparition de la MINUAR ne nous permettrait sans
doute plus d'obtenir du Conseil de Sécurité, le moment venu,
une nouvelle résolution la ressuscitant.

De même, la MONUOR (mission d'observateurs à la
frontière ougando-rwandaise) devrait être maintenue et
même renforcée, pour être en mesure d‘exercer effectivement
son mandat. Non seulement elle n'est rattachée à la MINUAR
que de façon administrative (à la demande expresse de
l'Ouganda), mais son personnel, déployé du seul côté
ougandais, ne court aucun risque.

Le risque d‘être surpris par la communauté
internationale en flagrant délit d'assistance au FPR est de
nature a jouer un rôle modérateur sur le Président MUSEVENI.

La clef du problème rwandais est en effet pour une
part entre les mains ougandaises. Le soutien du FPR en
hommes (démobilisés), en matériel et en munitions dépend
essentiellement de Kampala. Nous avons les moyens de peser
sur les décisions ougandaises, en soulignant le risque pour
l'Ouganda d'une pérennisation de l'instabilité au Rwanda
(très probable dans l'hypothèse d'une victoire militaire du
FPR), en replaçant cette question dans le cadre de notre
dialogue politique global avec l'Ouganda et en usant aussi
des arguments financiers, bilatéraux (don du Trésor) et
multilatéraux (Banque Mondiale).

— la communauté internationale devrait continuer d'être
mobilisée en faveur d'une solution aux problèmes rwandais.
En particulier, les appels au cessez—le—feu pourraient être
plus pressants. C'est le FPR qui refuse un cessez—le—feu,
comme l'avait fait l‘UNITA en Angola. L'argument selon
lequel il ne cessera les combats que lorsque les exactions
et les massacres s'interrompront renverse la chaine des
causalités. S'il est exact qu'à l'annonce de la mort du
Président les exactions ont tout de suite commencé
et donné un fondement à l'intervention armée du FPR,
aujourd'hui la situation est plutôt inverse : les Hutu,
tant qu'ils auront le sentiment que le FPR essaie de
prendre le pouvoir, réagiront par des massacres ethniques.

Seul un arrêt des combats pourrait permettre une reprise
progressive de la situation en mains.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024