Fiche du document numéro 30051

Num
30051
Date
Samedi 14 mai 2022
Amj
Taille
1518830
Titre
Serge Brammertz (TPI): « Le fugitif rwandais Protais Mpiranya mort au Zimbabwe était enterré sous un faux nom »
Soustitre
Depuis plus de vingt ans, la justice le croyait en cavale. Protais Mpiranya, le fugitif rwandais le plus recherché pour son implication présumée dans le génocide de 1994, était en réalité mort depuis seize ans.C’est ce qu’a annoncé jeudi le « Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux ». L'équipe chargée de l’enquête a confirmé que Mpiranya était mort le 5 octobre 2006 à Harare au Zimbabwe. Retour sur l’enquête avec Serge Brammertz, le procureur du Mécanisme, interrogé par Alexandra Brangeon.
Nom cité
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Source
RFI
Type
Page web
Langue
FR
Citation
RFI : À quel moment Protais Mpiranya a-t-il quitté le Rwanda ?

Serge Brammertz : Il a fui le Rwanda en septembre 1994 en obtenant des passeports pour lui-même et sa famille et il est parti au Cameroun, pays où toute une série de génocidaires avaient trouvé refuge. Mais c’est en 1996 après l’arrestation d'autres fugitifs -- Bagosora --, qu’il ne se sentait plus vraiment en sécurité et qu’il est parti en RDC, et c’est là où -- quand il y a eu la deuxième guerre du Congo -- qu’il est devenu un des commandants des FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda). Il s’est battu ensemble avec les forces militaires du Zimbabwe.

Oui puisqu’il a combattu auprès de l’armée congolaise de Laurent-Désiré Kabila qui avait demandé l’aide du Zimbabwe pour se battre contre l’armée rwandaise, c’était en 1998…

C’est ça, il était lui-même un des officiers supérieurs, d’ailleurs fort respecté par les autorités et les forces militaires du Zimbabwe, parce qu’il était considéré comme un officier très discipliné. Mais une fois qu’il y a eu l’accord de paix en 2002, il était considéré comme indésirable en RDC, et c’est à ce moment-là qu’il est parti en 2002 au Zimbabwe, où il y a manifestement eu des officiels qui ont facilité son entrée au pays.

Et à l’époque il était déjà recherché ?

À ce moment-là, il est déjà recherché. Il est inculpé en 2000 par le tribunal pour le Rwanda, acte d’accusation qui est devenu public en 2002, et à ce moment-là il y a eu plusieurs arrestations, notamment au Cameroun, et alors il a décidé de trouver refuge dans le pays où il se sentait probablement le plus en sécurité, le plus protégé, et c’était manifestement le Zimbabwe où il avait évidemment le soutien de certains membres des armées.

Quand est-ce que vous avez eu des informations sur sa possible présence au Zimbabwe ?

En fait c’est déjà depuis de nombreuses années : quand moi j’ai repris le Mécanisme, c’était déjà dans les dossiers comme une des pistes importantes. Il y avait déjà à l’époque des raisons de croire qu’il se trouvait là-bas. Maintenant nous travaillons évidemment avec des sources, des informateurs et, ces cinq dernières années, nous avions beaucoup d’informations contradictoires : on avait des informations comme quoi il vivait au Zimbabwe, mais on avait aussi des informations comme quoi il se trouvait entre l’Afrique du Sud et la RDC, qu’il avait soit des activités politiques, des activités commerciales et c’est un peu toutes ces pistes-là qu’on a essayé de retracer pour enfin conclure qu’il se trouvait au Zimbabwe. Le Zimbabwe avait dit pendant de nombreuses années : « Non, nous ne pensons pas qu’il ait jamais été sur notre territoire national ».

Donc à partir de ce moment-là, vous envoyez des enquêteurs sur place ?

Les deux dernières années, j’ai été moi-même plusieurs fois sur place. C’est en fait après le départ de Mugabe que j’ai rencontré les deux vice-présidents, et le procureur général. Il y a eu un accord pour mettre en place un groupe de travail composé de services de police, et de services de renseignement du ministère des Affaires étrangères. Cette coopération n’a pas tous les jours été facile, mais une fois que nous étions, en ce qui nous concerne, assez convaincus qu’au moins en 2002-2003 il se trouvait physiquement au Zimbabwe, nous avons vraiment concentré notre enquête sur cette piste-là.

Alors, vous allez sur place et comment vous le retrouvez ?

Nous avons interrogé toute une série de personnes, des proches, dans des pays européens et ailleurs dans des pays en Afrique. Nous avions en effet une piste importante qui était qu’il était peut-être décédé. Nous avons alors pu faire des saisies d’ordinateurs et d’autres matériels informatiques et pu trouver des traces comme quoi il était décédé.

Nous avons alors vérifié les mouvements de toute une série de personnes y compris des membres de sa famille, nous avons pu constater que pendant les dates qui nous intéressent, des membres avaient été au Zimbabwe, nous avons alors essayé de recouper ces informations de voyage et une fois que nous pensions savoir sur quel cimetière chercher, nous avons physiquement cherché dans ce cimetière et avons trouvé une tombe avec l’inscription d’un des pseudonymes qu’il avait utilisé pendant sa fuite : c’était sa dernière identité « Ndume Sambao », l’identité sous laquelle il était décédé, et c’était le nom que nous avons retrouvé sur la tombe au cimetière.

Donc sur sa tombe il n’y a pas son vrai nom ?

Non il n’y a pas son vrai nom, mais il y a sa véritable date de naissance. Nous avons alors fait une demande aux autorités de procéder à l'exhumation qui a été réalisée il y a trois semaines. L’ADN a été envoyé à l’Institut de police technique ici à La Haye, il y a deux jours nous avons reçu les résultats et la conclusion qu’en effet c’était notre fugitif.

Cette affaire pose la question des soutiens dont les fugitifs bénéficient parfois…

Oui, la coopération des États reste toujours un problème important. Il est difficile de croire qu’aucune autorité au Zimbabwe n’était au courant de sa présence sur le pays. Mais il est clair que d’une manière générale et nous le voyons avec tous nos fugitifs, ils ont jusqu’à vingt identités différentes. Ils ont quasiment tous reçu des vrais passeports avec des faux noms, délivrés par les autorités compétentes ce qui évidemment signifie corruption, paiement de fonctionnaires et je dois dire que les demandes d’entraide que nous avons envoyées en ce sens à toute une série de pays dans la région y compris l’Ouganda, n’ont jamais reçu de réponses satisfaisantes.

Serge Brammertz, procureur belge du « Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux », ici en mars 2019. AFP Photos/Jan HENNOP

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