Fiche du document numéro 30039

Num
30039
Date
Vendredi 13 mai 2022
Amj
Taille
84373
Titre
Rwanda : qui était Aminadabu Birara, héros de la résistance tutsi honoré à Paris ?
Soustitre
Une place de la capitale française porte désormais le nom de ce combattant qui mena la lutte contre les miliciens hutu pendant le génocide de 1994.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le mémorial de Bisesero, au Rwanda, où Aminadabu Birara organisa la résistance aux génocidaires avant d’être tué le 25 juin 1994. SIMON WOHLFAHRT / AFP

Dans le bas Montmartre, à l’intersection des rues Ramey et Marcadet, une place du 18e arrondissement de Paris porte aujourd’hui le nom d’un résistant rwandais qui s’est illustré pendant le génocide des Tutsi : Aminadabu Birara. L’inauguration, qui doit avoir lieu vendredi 13 mai en fin d’après-midi, répond à « l’envie de rendre hommage à ce héros afin que son souvenir reste toujours présent », explique Eric Lejoindre, maire (PS) de l’arrondissement. Après l’érection de deux stèles, au cimetière du Père-Lachaise (20e arrondissement) en 2014 puis au Jardin de la mémoire du parc de Choisy (13e) en 2016, ce lieu de mémoire est le troisième de la capitale française à rendre hommage aux victimes du génocide des Tutsi, qui a fait 800 000 morts au printemps 1994.

Né dans la région de Bisesero, une chaîne de collines située dans l’ouest du Rwanda, Aminadabu Birara est âgé de 68 ans lorsque le génocide commence, le 7 avril 1994. Eleveur comme la plupart des hommes de sa région, il possède déjà une solide expérience dans la résistance. « Comme il avait survécu aux premières tueries perpétrées contre les Tutsi en 1959, 1962, 1963 et 1973, Aminadabu Birara est devenu naturellement un chef au niveau local », explique Etienne Nsanzimana, président d’Ibuka France, la principale association de victimes du génocide. « C’était un homme habitué à contrer et à mener des attaques avec ses compagnons autour de lui, se souvient celui qui a combattu à ses côtés en 1994. Face à la violence des extrémistes hutu, on était divisés en trois groupes répartis dans différents endroits. Chacun avait un chef et Aminadabu Birara coordonnait l’ensemble. Tout le monde le connaissait pour sa bravoure au combat. »

L’eau « rouge de sang » de la rivière



Lorsque les miliciens Interahamwe empruntaient les sentiers pour attaquer les villages, les résistants tutsi les guettaient au sommet des collines, puis leur jetaient des pierres. « Les jeunes et les plus forts s’installaient devant, raconte Eric Nzabihimana. Les enfants et les vieux étaient à l’arrière et devaient apporter les cailloux qu’ils ramassaient. » Sur les collines de Bisesero, tous les villageois participaient à la résistance, y compris les descendants du chef. « J’avais 15 ans et je me revois en train d’apporter des pierres, explique Marcel Harerimana, fils d’Aminadabu Birara. Tout le monde parlait du courage de mon père, j’étais fier de lui. »

Lorsqu’il n’y avait plus de munitions débutait un face-à-face âpre et sanglant. Aminadabu Birara est aussi resté célèbre car il a développé une stratégie de combat baptisée « Kwivanga », qui signifie « mélange » en kinyarwanda, la langue communément parlée au Rwanda. Au moment de l’assaut, il criait « Mwivange sha ! » (mélangez-vous) pour créer la confusion chez l’ennemi. Au corps-à-corps, la bataille tournait souvent au bain de sang. « Nous avions de longs bâtons et des lances pour faire fuir nos ennemis, raconte Eric Nzabihimana. Eux, ils avaient des machettes. »

Au début du génocide, les Basesero, les habitants des collines de Bisesero, sont parvenus à repousser la plupart des offensives des miliciens Interahamwe. « On a résisté jusqu’au 30 avril 1994, puis il y a eu une trêve de deux semaines, se souvient Eric Nzabihimana. Mais les Interahamwe sont revenus plus nombreux et accompagnés par les soldats des Forces armées rwandaises, qui étaient équipés de lance-roquettes et de grenades. Ils venaient de Gisenyi, de Cyangugu, toutes les villes alentour. Entre le 13 et le 14 mai, il y a eu de terribles batailles et nous avons perdu près de 40 000 personnes… Dans les villages, tout a été pillé. Nous n’avions plus rien à manger, nos collines étaient recouvertes de cadavres. Je me souviens d’une rivière où coulait une eau rouge de sang. »

Aminadabu Birara et les autres chefs demandent alors aux populations de se cacher et de continuer à harceler l’ennemi quand elles le peuvent. « J’ai survécu en me cachant dans des trous et des buissons, se souvient Eric Nzabihimana. Je n’étais pas aux côtés de Birara lorsqu’il a été touché. » Fauché par un éclat de grenade, le héros de la résistance s’est éteint le 25 juin 1994. Au mémorial du village de Bisesero, son corps repose aujourd’hui dans un caveau près des fosses communes où sont enterrés les restes d’environ 50 000 victimes.

« Bisesero est à la fois un échec et un drame »



Combien de morts auraient pu être évitées à Bisesero ? Se poser cette question, c’est s’interroger sur la responsabilité de la France pendant le génocide. Fin juin 1994, alors que le Front patriotique rwandais (FPR), un mouvement politico-militaire composé de Tutsi venus d’Ouganda, met fin aux massacres, Paris envoie 2 500 soldats dans le cadre de l’opération militaro-humanitaire « Turquoise ». Votée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 22 juin, elle a pour mission de « mettre fin aux massacres partout où cela sera possible et éventuellement en utilisant la force ».

Dans l’après-midi du 27 juin 1994, une patrouille de militaires français se rend à Bisesero, où une centaine de Tutsi, affamés et blessés, vont à leur rencontre pour être secourus. Mais les soldats repartent en leur conseillant de se cacher et d’attendre leur retour, « dans deux ou trois jours ». Pendant cette période, les Interahamwe vont beaucoup « travailler », selon leur expression, et tuer environ 2 000 Tutsi. Lorsque les militaires français reviennent à Bisesero, le 30 juin, des arpents de collines sont couverts de corps.

« Bisesero est à la fois un échec et un drame », peut-on lire dans le rapport Duclert, publié en 2021 par une commission d’historiens grâce à un accès sans précédent aux archives de l’Etat : « Quand bien même la prise de conscience collective du commandement français se fait progressivement, Biserero constitue un tournant dans la prise de conscience du génocide. Il y a un avant et un après… Le drame humain et l’échec profond qu’il constitue pour la France ne résultent pas seulement de responsabilités de terrain mais découlent en grande partie de la crainte qu’ont les forces françaises de se trouver confrontées au FPR et à une réaction violente de sa part. »

En 2005, une plainte contre X a été déposée par la Ligue des droits de l’homme (LDH) et la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) au pôle « crimes contre l’humanité » du tribunal judiciaire de Paris, pour « crime de génocide ». En avril 2021, le parquet de Paris a requis un non-lieu. La décision finale revient désormais aux juges d’instruction.

« Entre le 26 et le 30 juin, l’état-major des armées et l’Elysée étaient informés des massacres à Bisesero, mais aucun ordre de sauvetage n’a alors été donné, écrit dans un communiqué l’association Survie, également partie civile. Le rapport Duclert a mis en évidence des “responsabilités lourdes et accablantes de la France” au Rwanda durant le génocide, mais le juge s’est abstenu de prolonger les conclusions du rapport d’historiens sur le versant judiciaire. La mairie de Paris rend hommage à Aminadabu Birara, mais au devoir de mémoire doit s’ajouter un devoir de justice. »

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024