Fiche du document numéro 30010

Num
30010
Date
Dimanche 8 mai 2022
Amj
Taille
71977
Titre
Rwanda : Laurent Bucyibaruta, un ancien préfet accusé de « génocide » devant la cour d’assises de Paris
Soustitre
Haut fonctionnaire dans le sud-ouest du pays aux pires heures d’avril 1994, il devra également répondre de « complicité de crimes contre l’humanité ».
Nom cité
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Lieu cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Une photo de Laurent Bucyibaruta (à gauche), ancien préfet de Gikongoro en avril 1994, au mémorial du génocide de Murambi dans le district de Nyamagabe, dans le sud-ouest du Rwanda, le 21 avril 2022. SIMON WOHLFAHRT / AFP


Le 21 avril 1994 vers trois heures du matin, Laurent Bucyibaruta a-t-il organisé la mort de milliers de Tutsi venus se réfugier dans l’école technique de Murambi, dans le sud du Rwanda, après leur avoir fait croire à l’aide d’un porte-voix qu’ils y seraient en sécurité ? A-t-il lui-même tiré sur eux au cours de ce massacre qui a fait près de 45 000 morts ? Le haut fonctionnaire a-t-il ensuite récompensé les miliciens Interahamwe ayant participé à ce bain de sang en leur offrant du bétail qui appartenait aux victimes ?

C’est à ces questions et à des centaines d’autres que la cour d’assises de Paris va devoir répondre, du lundi 9 mai au vendredi 1er juillet, au cours du procès de Laurent Bucyibaruta, haut fonctionnaire rwandais aux pires heures du génocide des Tutsi, qui fit entre 800 000 et un million de morts au printemps 1994.

Né dans la commune de Musange, dans le sud-ouest du Rwanda, Laurent Bucyibaruta était en avril 1994 préfet de Gikongoro, sa région de naissance, après avoir occupé la même fonction à Kibungo (de 1985 à 1992), dans l’est du pays. Avec le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND), le parti unique fondé par le président Juvénal Habyarimana, il a aussi été élu bourgmestre de Musange puis à l’Assemblée nationale du Rwanda.

« Il fut un personnage majeur dans les rouages du génocide, estime Richard Gisagara, avocat de la communauté rwandaise de France qui s’est constituée partie civile. En tant que préfet, il représentait le gouvernement au niveau local, dirigeait la gendarmerie et la sécurité publique. En 1994, il y a eu de très nombreux massacres dans la région de Gikongoro. »

« Extermination, viol et assassinat »



Agé aujourd’hui de 77 ans, Laurent Bucyibaruta, qui va comparaître libre, est accusé pour des faits imprescriptibles de « génocide », « complicité de génocide » et « complicité de crimes contre l’humanité ». Il aura fallu plus de deux décennies pour que l’ancien fonctionnaire, réfugié en France depuis 1997 après un passage en République démocratique du Congo et en Centrafrique, se présente face à un tribunal.

Son long parcours judiciaire a commencé par une plainte déposée en janvier 2000 par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et l’association Survie. Quelques semaines plus tard, Laurent Bucyibaruta est arrêté et incarcéré à la prison de la Santé. Il recouvre la liberté en décembre 2000 mais est placé sous contrôle judiciaire.

En juin 2007, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), mis en place en novembre 1994 par le Conseil de sécurité des Nations unies pour juger les plus hauts responsables du génocide des Tutsi, émet un mandat d’arrêt international contre lui. Dans l’acte d’accusation de vingt et une pages que Le Monde a pu consulter, Laurent Bucyibaruta est poursuivi pour six chefs d’accusation, dont ceux d’« incitation directe et complicité à commettre le génocide », « extermination, viol et assassinat constitutif de crime contre l’humanité ».

« Du fait de sa fonction de préfet de Gikongoro qu’il remplissait et du pouvoir qu’il avait à ce titre, Laurent Bucyibaruta représentait l’exécutif dans la préfecture, écrit Hassan Bubacar Jallow, procureur du TPIR. Il est individuellement responsable du crime d’incitation directe et publique à commettre le génocide pour avoir prononcé des discours publics dans lesquels il définissait l’ennemi comme étant l’ensemble des membres du groupe tutsi et exhortait son auditoire à les attaquer pour les tuer… Il a participé sciemment à une entreprise criminelle commune. »

Près de 120 témoins



Laurent Bucyibaruta est arrêté le 20 juillet 2007 par la police judiciaire de Reims à son domicile situé dans le département de l’Aube. Mais, considérant que le mandat d’arrêt émis par le TPIR n’est pas valide parce qu’il ne respecte pas la présomption d’innocence, la Cour le libère un mois plus tard. En août 2007, le TPIR émet un second mandat d’arrêt avant finalement de se dessaisir au profit des juridictions françaises.

Après onze années d’enquête, les juges d’instruction français concluent que Laurent Bucyibaruta s’est rendu « complice d’une pratique massive et systématique d’exécutions sommaires ». En revanche, ils rendent à son égard un non-lieu partiel concernant notamment l’assassinat d’un gendarme et de trois prêtres, ainsi que des viols. L’homme mène ensuite une vie paisible à Saint-André-les-Vergers (Aube), une commune du Grand-Est de quelque 13 000 habitants.

« Il aura fallu patienter vingt-deux ans pour que cet homme, accusé de charges très graves, soit enfin jugé. C’est intolérable pour les victimes, s’indigne Alain Gauthier, président du Collectif pour les parties civiles pour le Rwanda (CPCR), une association dont le but est de traquer les anciens génocidaires sur le territoire français et partie civile dans ce dossier. Pendant toute cette période, des témoins sont morts, d’autres ont disparu. Nos adversaires ont aussi largement eu le temps de s’entendre entre eux et d’harmoniser leurs versions des faits. »

Ce quatrième procès en France pour des faits en lien avec le génocide des Tutsi se tiendra au Palais de justice de l’île de la Cité, à Paris. Au tribunal ou en visioconférence depuis Kigali, près de 120 témoins doivent être auditionnés au cours des neuf semaines d’audience. La défense, qui n’a pas souhaité répondre aux questions du Monde, en a convoqué une vingtaine. Selon une source proche du dossier, elle entend « prouver l’innocence de M. Bucyibaruta qui n’a jamais cessé de clamer son innocence pendant toutes ces années ».

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024