Fiche du document numéro 29846

Num
29846
Date
Jeudi 7 avril 2022
Amj
Taille
36200
Titre
Génocide au Rwanda : comment le rapport Duclert a changé la perception du rôle de la France
Sous titre
Il y a un an, une commission d’historiens remettait à Emmanuel Macron un rapport de 1 200 pages qui concluait à « un ensemble de responsabilités lourdes et accablantes » de Paris.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le 7 avril est désormais en France la date officielle de la commémoration du génocide des Tutsi. Vingt-huit ans après la tragédie, des rassemblements sont prévus au parc de Choisy, dans le 13e arrondissement de Paris, où se trouve un « jardin de la mémoire » en hommage aux victimes du dernier génocide du XXe siècle, mais aussi à Lyon et Bordeaux. « Respect pour les victimes, solidarité avec les rescapés, a twitté Antoine Anfré, ambassadeur de France au Rwanda, nommé à l’été 2021. La fin du déni de responsabilité, grâce au rapport Duclert et au président de la République, est aussi une façon de leur rendre hommage. »

Il y a un an, le 26 mars 2021, une commission d’une douzaine d’historiens réunie autour de Vincent Duclert remettait à Emmanuel Macron un rapport de 1 200 pages sur le rôle de la France au Rwanda de 1990 à 1994, nourri par un accès sans précédent aux archives de l’Etat. « Je tiens à ce que le génocide des Tutsi prenne toute sa place dans la mémoire collective », avait fait savoir le président dans la lettre de mission envoyée à la commission Duclert deux ans plus tôt.

S’appuyant sur près de 8 000 documents (notes manuscrites, télégrammes diplomatiques, analyses de conseillers, synthèses des conseils de défense…), le rapport conclut à « un ensemble de responsabilités lourdes et accablantes » de Paris dans le génocide des Tutsi, qui fit entre 800 000 et 1 million de morts au printemps 1994.

Au fil des pages, le rapport Duclert révèle une faillite politique, militaire et diplomatique au sommet de l’Etat français. Si la synthèse est accablante pour François Mitterrand et son état-major particulier, la complicité de génocide n’est toutefois pas retenue par les historiens, qui ne prétendent pas à l’expertise juridique sur cette notion. « La crise rwandaise s’achève en désastre pour le Rwanda, en défaite pour la France, concluent les auteurs. La France est-elle pour autant complice du génocide des Tutsi ? Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer. »

Un document de référence devant les tribunaux



Disponible gratuitement dès sa sortie – et en anglais depuis le 7 avril – sur le site Vie-publique.fr, le rapport a été téléchargé environ 32 000 fois en un an. « Le travail de la commission a permis de faire accepter la proximité et l’implication de la France dans le génocide des Tutsi, estime Vincent Duclert. Il s’est fait sans susciter de vives polémiques et en regardant l’histoire en face, même si elle est très douloureuse. Je pense qu’il y a aujourd’hui une envie de la société de se référer à cet effort de vérité. »

La demande d’Emmanuel Macron à la commission Duclert s’inscrivait dans une volonté du président français d’entamer une normalisation des relations avec le Rwanda, après un quart de siècle de tensions. Quelques semaines après la publication du rapport, Emmanuel Macron s’est rendu à Kigali, où il a reconnu en mai 2021 « nos responsabilités » et s’est engagé « à ce qu’aucune personne soupçonnée de crimes de génocide ne puisse échapper au travail des juges » sur le sol français, où de nombreux génocidaires ont trouvé refuge après les tueries.

« Mais le retard qui s’est accumulé au fil du temps ne se rattrape jamais », déplore Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, une association chargée de traquer les génocidaires : « Même si le traitement de certains dossiers s’est accéléré, le rapport Duclert n’a pas permis d’avancer sur le plan judiciaire, principalement parce qu’il a été rédigé par des historiens. »

Le rapport fait pourtant figure de document de référence devant les tribunaux. Au tribunal correctionnel de Paris, il a été mentionné à plusieurs audiences lors d’affaires en lien avec le Rwanda. « Le rapport Duclert est venu clarifier les choses, à l’époque ce n’était pas le cas », a ainsi estimé à la barre la journaliste et essayiste Natacha Polony, qui comparaissait le 1er mars pour contestation du génocide des Tutsi à la suite de propos tenus lors d’une émission sur France Inter en 2018.

« Il reste de graves zones d’ombre »



Deux semaines avant, le 18 février, le rapport Duclert était mentionné devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris par l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau pour appuyer les propos de Guillaume Ancel, mis en cause pour une série de tweets. Cet ancien officier de l’armée de terre ayant servi au Rwanda était accusé de « diffamation » et d’« insultes » par Hubert Védrine, secrétaire général de l’Elysée en 1994. La perception « a changé avec le rapport Duclert, qui corrobore les dénonciations de M. Ancel et le rôle d’un petit groupe, autour de François Mitterrand, qui préemptait la politique de la France au Rwanda », a ainsi déclaré au tribunal M. Audoin-Rouzeau.

« Le rapport Duclert et l’énorme travail d’ouverture des archives ont permis d’officialiser les responsabilités accablantes de l’Etat et confirmé ce que nous dénoncions depuis longtemps », assure Thomas Borrel, l’un des porte-parole de l’association Survie, qui milite pour une refonte de la politique étrangère de la France en Afrique : « Mais ce travail est incomplet, il reste de graves zones d’ombre et des archives restent inaccessibles. Continuer les recherches pour faire toute la transparence pourrait notamment permettre d’apporter des éléments aux instructions judiciaires en cours sur d’éventuelles complicités individuelles des décideurs politiques ou des militaires. »

Le 27 mars, Survie a publié des notes – déclassifiées par la commission Duclert mais non exploitées – dans lesquelles la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) informait l’Etat de la présence de Bob Denard et Paul Barril, deux mercenaires français, au Rwanda pendant le génocide. Depuis 2013, Paul Barril est visé par une plainte pour complicité de génocide.

Un an après sa parution, le rapport Duclert fait toutefois encore débat. « La commission Duclert fait porter la responsabilité sur le président Mitterrand, soutient l’amiral Jacques Lanxade, chef d’état-major des armées en 1994. La manière dont est décrit le fonctionnement de l’Etat sous sa présidence est erronée. Il est faux d’accuser le président Mitterrand d’avoir eu un pouvoir personnel dans cette affaire. Je n’apprécie pas ce rapport, même s’il a raison d’écarter la complicité de la France dans le génocide et qu’à juste titre, il reconnaît le caractère humanitaire de l’opération “Turquoise” [décidée par Paris à la fin du génocide]. Mais je ne suis pas d’accord avec le fait que le rapport refuse de comprendre les raisons de l’intervention de la France au Rwanda. »

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024