Fiche du document numéro 29815

Num
29815
Date
Jeudi 31 mars 2022
Amj
Auteur
Taille
240088
Sur titre
Politique
Titre
M23 en RDC : pourquoi la tension monte entre Tshisekedi, Kagame et Museveni
Sous titre
La résurgence de cette rébellion, dont les causes exactes restent difficiles à déterminer, soulève de nombreuses questions sur l’état des relations qu’entretiennent actuellement la RDC, le Rwanda et l’Ouganda.
Nom cité
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Lieu cité
Mot-clé
M23
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Félix Tshisekedi et Paul Kagame, lors de leur entretien en Jordanie, le 24 mars. © Présidence Rwanda

La résurgence de cette rébellion, dont les causes exactes restent difficiles à déterminer, soulève de nombreuses questions sur l’état des relations qu’entretiennent actuellement la RDC, le Rwanda et l’Ouganda.

Sans doute Félix Tshisekedi rêvait-il d’un climat plus apaisé pour l’entrée officielle de son pays dans la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC). Le 29 mars, le président congolais a assisté au sommet virtuel entérinant l’adhésion de la RDC. Face à leurs écrans, les chefs d’État se sont tour à tour félicités de l’arrivée de ce géant démographique dans un espace qui compte parmi les mieux intégrés du continent. Mais derrière les sourires se cachait une forme d’inquiétude.

Car au même moment, à près de 2 500 km de Kinshasa, les combats s’intensifiaient en territoire de Rutshuru, près de la frontière que la RDC partage avec l’Ouganda et le Rwanda. Depuis dimanche soir, les affrontements entre les Forces armées de RDC (FARDC) et le M23 font rage dans cette partie du Nord-Kivu. Les rebelles ont progressé dans les collines de Chanzu et de Runyonyi.

Le M23 confirme ainsi sa résurgence, déjà constatée en novembre avec les combats menés dans les mêmes collines de Rutshuru. Défait en 2013, le M23 – qui avait réussi à faire tomber Goma en novembre 2012 – avait vu sa capacité de nuisance sensiblement réduite. Ses combattants s’étaient alors majoritairement réfugiés entre le Rwanda et l’Ouganda.

Imbroglio

Certains d’entre eux avaient repris position dans la zone des Virunga, en RDC, vraisemblablement autour de 2017, et sous le commandement de Sultani Makenga, estime-t-on aussi bien du côté de Kigali que de celui de Kinshasa. Mais ils s’étaient jusque-là montrés relativement discrets.

Le regain d’activité du mouvement ces derniers mois a donc soulevé de nombreuses questions, notamment autour d’un éventuel appui extérieur. Le 28 mars, le général Sylvain Ekenge, porte-parole du gouverneur militaire du Nord-Kivu, a publiquement accusé le Rwanda de soutenir le M23. Il en voulait pour preuve le fait que deux présumés militaires rwandais, l’adjudant Jean-Pierre Habyarimana et le soldat de rang John Uwajeneza Muhindi, ont été capturés lors d’affrontements. Rapidement démentie par le gouverneur de la province rwandaise de l’Ouest, cette affirmation est venue renforcer la méfiance entre Kinshasa et Kigali.

Selon un rapport présenté dans la capitale rwandaise, le 25 février, par le patron des renseignements militaires congolais, le général Michel Mandiangu, les deux suspects ont en réalité été interpellés plusieurs semaines auparavant. L’adjudant Habyarimana aurait ainsi été arrêté le 1er février.

Contactée par Jeune Afrique, une source au sein de la présidence congolaise n’hésite pas à évoquer « l’embarras » de Félix Tshisekedi, qui aurait promis « des sanctions » dans les prochains jours. Reçu le 29 mars au ministère des Affaires étrangères, l’ambassadeur du Rwanda en RDC, Vincent Karega, a pour sa part réaffirmé que le Rwanda ne soutenait « ni politiquement ni militairement le M23 ».

Malgré les démentis de Kigali, plusieurs officiels congolais refusent d’écarter l’hypothèse d’un soutien rwandais. Le rapport des renseignements congolais cite d’ailleurs plusieurs officiers rwandais soupçonnés de participer à des recrutements pour le compte du M23 et souligne la nécessaire « implication du Rwanda pour vider la question […], notamment par le démantèlement de la base des ex-M23 [le mouvement a été officiellement dissous en 2013], de leur réseau de recrutement et de ravitaillement sur le territoire rwandais ».

Bouc émissaire

Du côté rwandais, on met en avant les revers encaissés par les FARDC sur le terrain, l’inefficacité de l’état de siège décrété en mai dernier dans l’Est, qui pousserait Kinshasa à chercher un bouc émissaire, mais aussi le retard pris dans le rapatriement des combattants du M23 qui avaient déposé les armes et attendaient au Rwanda.

Reste que toute cette séquence et les tensions qu’elle a rapidement occasionnées interrogent l’état des relations entre Kinshasa et Kigali. depuis son arrivée au pouvoir, Félix Tshisekedi a multiplié les contacts avec Paul Kagame. Le Congolais, qui a fait de la coopération sécuritaire avec ses voisins de l’Est l’une de ses priorités, a rencontré son homologue rwandais à de nombreuses reprises, permettant le développement d’une étroite collaboration. Les services de renseignement de ces deux pays échangent des informations et, sur le plan économique, plusieurs accords ont été conclus en juin 2021, notamment dans le domaine de l’exploitation aurifère.

La collaboration semble même être allée plus loin. Le rapport du général Mandiangu, mentionné plus haut et présenté à l’occasion d’une réunion conjointe, livre ainsi plusieurs détails concernant la coopération entre les deux armées contre les groupes hostiles au Rwanda présents en RDC.

Près de Kibumba, au nord de Goma, en janvier 2022. © Moses Sawasawa/AP/SIPA

Accusé à de nombreuses reprises par la société civile, par certains politiques mais aussi par un rapport du groupe d’experts de l’ONU sur le Congo d’avoir mené plusieurs opérations sur le territoire congolais, Kigali a systématiquement nié son implication sur le terrain. Pourtant, ledit rapport affirme que « depuis septembre 2019, avec l’appui d’éléments des RDF [Rwanda Defence Force], le leadership des [Forces démocratiques de libérations du Rwanda] a été décapité », citant les cas de Sylvestre Mudacumura et de Juvénal Musabimana, alias Jean Michel Africa. Contactée pour savoir si un commentaire avait été émis à l’issue de cette présentation, l’armée rwandaise n’était pas joignable. Pour Kigali et Kinshasa, ce soutien se limite à un échange de renseignements.
Frustration

Ces derniers temps, cette bonne entente semble toutefois s’être dégradée. Cela s’explique en partie par le rapprochement opéré entre Félix Tshisekedi et Yoweri Museveni. Le président ougandais entretient des relations tendues avec son homologue rwandais, qu’il connaît depuis les années 1980. Les deux hommes s’accusent mutuellement de tentative de déstabilisation depuis des années et leur frontière commune, fermée pendant trois ans, n’a commencé à rouvrir qu’en février dernier, à la faveur d’une médiation menée par le fils de Museveni, Muhoozi Kainerugaba.

En parallèle, Museveni a considérablement renforcé ses liens avec Tshisekedi. En juin 2021, il a officiellement lancé les travaux de réhabilitation de plusieurs tronçons de routes reliant des grandes villes de l’Est du Congo à l’Ouganda. Y compris celle, très stratégique, allant de Goma à Bunagana, qui permet de contourner le Rwanda. Surtout, après des mois d’insistance, Museveni a réussi à obtenir de Tshisekedi son feu vert pour une intervention conjointe contre les Forces démocratiques alliées (ADF), qui sévissent dans le Nord-Kivu et l’Ituri.

Le Rwanda semble avoir été frustré par sa mise à l’écart lors de la préparation de l’intervention ougandaise en RDC, dans une région considérée comme cruciale pour ses intérêts sécuritaires. Interrogé en janvier par Jeune Afrique, Paul Kagame l’avait clairement exprimé. « Nous n’avons été prévenus ni par la RDC ni par l’Ouganda. Ce n’est qu’au bout d’un mois que l’on a reçu des explications, avait-il regretté. Parce que ces mouvements veulent déstabiliser notre pays, nos intérêts dans la région n’auraient pas dû être négligés. »

Le 8 février, le président rwandais a franchi un cap en évoquant les liens qui existeraient entre les FDLR et les ADF, et en insinuant qu’il serait prêt à intervenir sans concertation préalable. « Nous souhaitons la paix à tous les habitants de la région, mais si quelqu’un nous souhaite une guerre, nous la lui donnons […]. Notre doctrine est de faire la guerre sur le territoire de l’ennemi quand il le demande”, a-t-il lancé.

Le président Tshisekedi lui a indirectement répondu quelques jours plus tard. « Il est irréaliste et improductif, voire suicidaire, pour un pays de notre sous-région de penser qu’il tirerait toujours des dividendes en entretenant des conflits ou des tensions avec ses voisins », a-t-il asséné devant plusieurs diplomates.

« Rétablir un minimum de confiance »

La crise actuelle pourrait-elle perturber durablement les relations entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame ? Le 24 mars, les deux chefs d’État se sont à nouveau retrouvés en tête à tête. C’était en Jordanie, et peu d’informations ont filtré sur cet entretien. Chaque camp s’est contenté de préciser que la rencontre s’était bien déroulée.

« Nous espérons pouvoir mener des opérations avec chaque pays voisin. Notre coopération avec le Rwanda est déjà très vaste. Mais il faut d’abord que l’on puisse rétablir un minimum de confiance entre nous », commente une source gouvernementale congolaise, pour qui l’accroissement de la coopération économique dans le cadre de l’EAC ne pourra se faire que dans des conditions sécuritaires adéquates.

La question est en tout cas prise au sérieux par les pays de la région. Selon nos informations, Félix Tshisekedi devait notamment s’entretenir avec son homologue kényan, Uhuru Kenyatta. Un proche du président congolais précise que cet échange doit se faire dans le cadre de l’intégration de la RDC à l’EAC, mais que les actuelles tensions sous-régionales pourraient s’inviter dans la discussion.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024