Fiche du document numéro 29783

Num
29783
Date
Jeudi 24 mars 2022
Amj
Taille
2601995
Titre
Rwanda, les mercenaires invisibles
Sous titre
Les archives de la DGSE délaissées par la commission Duclert
Tres
Bob Denard envoyé au Rwanda au secours des assassins. Ce recours au « corsaire de la République » montre qu'il y a eu un accord pour garder le Rwanda dans l'orbite française entre l'Élysée et Jacques Foccart, donc entre François Mitterrand, Jacques Chirac et Alain Juppé.
Nom cité
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Nom cité
Nom cité
Résumé
The French mercenary Bob Denard would be sent by the Habyarimana family to try to reverse the military situation compromised by the capture of the Kanombe military camp by the RPF. The French government is informed. Among other recipients of this DGSE statement on May 30th, 1994, the private chief of staff Christian Quesnot, the advisor for African affairs Bruno Delaye and the head of the military mission Jean-Pierre Huchon at the Ministry of Cooperation.
Source
Commentaire
Invited to come and stay in Paris, the Habyarimana family was unable to contact the mercenary Bob Denard on their own. This intervenes within the framework of the indirect actions to the aid of our allies provided for by the note from General Quesnot to François Mitterrand and the talks that General Huchon had with Colonel Rwabalinda. The call to Denard shows that there was an agreement to keep Rwanda in the French orbit between the Elysée and Jacques Foccart, therefore between François Mitterrand, Jacques Chirac (who will take Foccart back to his service in 1995) and Alain Juppé, Minister of Foreign Affairs in the government of Edouard Balladur. Jacques Foccart says that Bruno Delaye called him and that he had good relations with Jean-Christophe Mitterrand, Delaye's predecessor.
Type
Rapport
Langue
FR
Citation
Rwanda,
les mercenaires invisibles

Les archives de la DGSE
délaissées par
la commission Duclert

Mars 2022

Rwanda, les mercenaires invisibles.
Les archives de la DGSE délaissées par la commission Duclert
Rapport de l’association Survie
Paris, 24 mars 2022.

Créée il y a plus de 30 ans, l’association Survie décrypte
l’actualité franco-africaine et se mobilise contre la Françafrique,
qu’elle a fait connaître. Elle compte plus de 1300 adhérent.e.s et
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Rwanda, les mercenaires invisibles

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Introduction
Le 26 mars 2021, l’historien Vincent Duclert remettait au président de la République Emmanuel
Macron le rapport de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et
au génocide des Tutsis qu’il avait présidé durant près de deux ans. Portant sur les années 1990 à
1994, le document d’un millier de pages, auxquelles s’ajoutent environ 300 pages de notes 1, entend
notamment « analyser le rôle et l’engagement de la France au Rwanda au cours de cette période,
en tenant compte du rôle des autres acteurs engagés au cours de cette période », conformément à la
lettre de mission adressée par le président de la République à Vincent Duclert le 5 avril 2019. Il faut
dire que depuis un quart de siècle, la « polémique » enfle sur le rôle de la France auprès des
extrémistes hutus qui, entre le 7 avril et le 15 juillet 1994, ont procédé à l’extermination méthodique
et planifiée des Tutsis : autour de 800 000 morts selon l’ONU, sans compter les personnes blessées
ou violées.
Le 6 avril 2021, un arrêté2 donnait accès, en salle de lecture des Archives nationales, aux fac-similés
des archives exploitées par la commission Duclert.
Le « rapport Duclert » a le mérite de proposer une synthèse efficace des sources consultées… du
moins en apparence. Car en analysant les documents rendus accessibles à la suite de sa publication,
il apparaît que certaines archives officielles relatives au rôle de célèbres mercenaires français au
côté des génocidaires n’ont pas été utilisées par la commission Duclert, qui pourtant, dans la note
n°755 du chapitre 7 de son rapport, en liste les titres qui sont explicites pour la plupart.
De quoi s’agit-il ? De notes transmises entre mai et août 1994, donc pendant et juste après le
génocide, par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).
À qui sont-elles adressées ? À la présidence de la République, à Matignon, au ministère des
Affaires étrangères, au ministère de la Coopération, au ministère de la Défense.
Et que disent-elles ? D’une part, que les services secrets renseignent en temps réel les officiels
français sur les activités et les probables liens de deux mercenaires, Paul Barril et Bob Denard,
avec les génocidaires ou leurs proches. Ces notes de la DGSE explicitent en effet le rôle de la
famille Habyarimana3, réfugiée à Paris, et la façon dont Barril et Denard se mettent à son service et
à celui du gouvernement intérimaire rwandais (formé le 9 avril 1994 et qui assure dès lors, avec les
extrémistes qui contrôlent les milices, la supervision du génocide). D’autre part, certaines de ces
notes confortent d’autres éléments4 pointant le rôle des « réseaux Pasqua », du nom de cette figure
incontournable de la Françafrique et à l’époque ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua.
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Le rapport et ses notes sont disponibles sur https://www.vie-publique.fr/rapport/279186-rapport-duclert-la-francele-rwanda-et-le-genocide-des-tutsi-1990-1994
Arrêté du 6 avril 2021 portant ouverture d'archives relatives au Rwanda entre 1990 et 1994,
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043333602
Famille du dictateur rwandais assassiné le 6 avril 1994 : l’attentat contre son avion a été le signal déclencheur du
coup d'État des extrémistes hutus et du génocide des Tutsis.
Voir « Rôle de la France au Rwanda : l’enquête sur le rôle de Bob Denard et des réseaux Pasqua refusée par la
juge, Survie fait appel », Communiqué de l’association Survie, 3 mai 2021, https://survie.org/themes/genocide-destutsis-au-rwanda/nos-actions-en-justice/article/role-de-la-france-au-rwanda-l-enquete-sur-le-role-de-bob-denard-etdes-reseaux

Rwanda, les mercenaires invisibles

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La publication de ces archives est inédite 5. Ces notes de la DGSE posent donc un triple problème
à la démocratie française.
D’une part, leur révélation montre que les plus hautes autorités étaient régulièrement informées
des agissements de ces mercenaires et de leur groupe respectif, confirmant que ceux-ci ne pouvaient
agir sans un accord tacite au sommet de l’État français. Cela confirme l’analyse que nous faisions, il y
a déjà quatre ans, de la « stratégie indirecte » que le chef d’état-major particulier du président, le
général Quesnot, avait proposée à François Mitterrand dans une note du 6 mai 19946.
D’autre part, leur occultation depuis un quart de siècle prouve une volonté de dissimulation
d’éléments à charge concernant le rôle de la France dans ce génocide. Soit elles n’ont pas été
transmises à la Mission d’information parlementaire de 1998 sur le Rwanda 7, soit celle-ci ne les a
pas publiées et n’en a fait aucune mention. Quant au rapport de la commission Duclert, il passe
purement et simplement sous silence leur contenu :


Le nom de Paul Barril apparaît une seule fois, dans la citation d’une archive où le colonel
Rosier explique, fin juin 1994 (une fois les troupes de l’opération Turquoise déployées), que le
ministre de la Défense et le ministre des Affaires étrangères du gouvernement intérimaire
rwandais « comptaient avoir recours à des mercenaires (capitaine Barril contacté) » (p. 501).



Le nom de Bob Denard n’apparaît tout simplement pas, de même que le nom d’emprunt
(Robert-Bernard Martin) avec lequel il est intervenu pour aider les génocidaires, comme
l’avait révélé l’association Survie en février 20188.

Ainsi le travail des membres de la commission Duclert, qui étaient habilités à consulter ces notes,
est resté, volontairement ou non, très en-deçà de la réalité.
Enfin, leur analyse confirme le bien-fondé de la plainte pour complicité de génocide à l’endroit
de Paul Barril déposée en 2013 par l’association Survie, la Ligue des droits de l’Homme et la
Fédération internationale des droits de l’Homme. Elle conforte aussi de nombreuses demandes
d’actes que Survie a faites dans le cadre de l’instruction, dont un certain nombre ont été refusées par
les juges d’instruction qui se sont succédés sur ce dossier. Près de huit ans après le dépôt de cette
plainte, la justice écarte systématiquement les pistes menant aux liens entre les groupes de Denard
et de Barril de même que les multiples connexions avec les réseaux Pasqua et les plus hautes
sphères de l’État français9.

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Lorsqu'en 2006 des notes de la DGSE ont été déclassifiées et transmises à la justice dans un autre dossier, la phrase
sur Barril extraite de la note du 2 juin 1994 a été citée par Gérard Davet, Piotr Smolar, "Des notes de la DGSE
soulignent les ambiguïtés de l’action de la France au Rwanda de 1993 à 1995", Le Monde, 24 décembre 2006.
« Note à l'attention de Monsieur le Président de la République – Objet : Entretien avec le chef de l’état intérimaire
du Rwanda », note du 6 mai 1994 du Général Quesnot au Président Mitterrand,
https://francegenocidetutsi.org/Quesnot6mai1994StrategieIndirecte.pdf
Mission d'information de la Commission de la défense nationale et des forces armées et de la Commission des
affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la france, d'autres pays et l'ONU au Rwanda entre 1990
et 1994. https://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/r1271.asp
Rapport « Le crapuleux destin de Robert-Bernard Martin : Bob Denard et le Rwanda », association Survie, février
2018, https://survie.org/publications/brochures/article/le-crapuleux-destin-de-robert-bernard-martin-bob-denard-etle-rwanda
« Rwanda : Paul Barril transite par Istres, base militaire française, pour aller aider les génocidaires - Audition
réclamée de l’amiral Lanxade », communiqué de presse de Survie du 10 janvier 2022,
https://survie.org/themes/genocide-des-tutsis-au-rwanda/la-france-et-le-genocide-des-tutsis/article/rwanda-paulbarril-transite-par-istres-base-militaire-francaise-pour-aller

Rwanda, les mercenaires invisibles

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25 mai 1994
Bob Denard prépare une « opération » au Rwanda
En 2020, Survie avait déjà relevé10 une note de la DGSE (Fiche n° 18651) du 25 mai 1994 intitulée
« Tentative du clan présidentiel pour conserver le pouvoir », qui mentionnait explicitement les
activités en cours de Bob Denard concernant le Rwanda, en plein génocide. Cette archive n’a pas
été utilisée par la commission Duclert, qui la cite pourtant en note.

10 Suite à l'arrêt du Conseil d'État du 12 juin 2020 autorisant le chercheur François Graner, membre de Survie, à
consulter les archives de l'Élysée. Voir : « Génocide des Tutsis - Le fonds Mitterrand confirme le travail de
nombreux chercheurs », François Graner, Entretien avec Laurent Larcher, La Croix, 22 janvier 2021,
https://www.la-croix.com/Monde/Genocide-Tutsis-fonds-Mitterrand-confirme-travail-nombreux-chercheurs-202101-22-1201136453
Rwanda, les mercenaires invisibles

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30 mai 1994
Bob Denard a « dépêché une équipe » en direction de Kigali
Cette nouvelle note, la Fiche n° 18645/N du 30 mai 1994, « Activité de Bob DENARD dans l’affaire
Rwandaise », confirme l’activité mentionnée cinq jours plus tôt, en soulignant cette fois-ci le rôle
de la famille Habyarimana.

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Et cette note précise bien à qui elle a été adressée : à la présidence de la République, à Matignon, au
ministère des Affaires étrangères, au ministère de la Coopération, au ministère de la Défense.

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2 juin 1994
Paul Barril cherche à armer les génocidaires
Bob Denard n’est pas le seul à être en lien avec la famille Habyarimana, au sein de laquelle on
compte des membres du « clan » extrémiste hutu, l’Akazu, en particulier la veuve de Juvénal
Habyarimana, Agathe Kanziga. Comme l’explique cette note de la DGSE (Fiche n° 18681/N du 2
juin 1994), Paul Barril est aussi en lien avec cette famille, dans le but de fournir de l’armement au
gouvernement génocidaire.
Paul Barril a en fait signé cinq jours auparavant, le 28 mai, un contrat avec le Premier ministre de ce
gouvernement, contrat qu’il tente donc d’honorer. Les forces armées rwandaises sont toujours en
guerre contre l’armée du Front patriotique rwandais (FPR), dirigée par Paul Kagame, qui gagne du
terrain depuis mi-avril. Mais elles continuent aussi d’être directement impliquées dans la réalisation
des massacres, effectués en grande partie à l’aide d’armes à feu et de grenades.

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15 juin 1994
Paul Barril continue de s’activer pour armer les génocidaires
Mi-juin, une nouvelle note de la DGSE (Fiche n° 18722/N du 15 juin 1994) confirme cette activité
de Paul Barril et le rôle pivot de la famille Habyarimana à Paris.

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17 juin 1994
La DGSE établit un lien probable entre Barril et Denard
C’est sans conteste la plus importante de ces notes inédites de la DGSE.

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D’une part, cette Fiche n°18746/N du 17 juin 1994 est sans ambiguïté sur le rôle résolument
central de la famille Habyarimana qui organise, depuis Paris et en plein génocide, la fourniture
d’armes et munitions pour les forces génocidaires sur le terrain et la contre-offensive médiatique en
France, avec l’aide de Paul Barril. Cette stratégie médiatique s’inscrit bien dans une logique de
« maintenir au pouvoir la faction […] la plus extrémiste et la plus opposée à toute transition
démocratique ».
D’autre part, cette note de la DGSE donne l’identité du mercenaire à la tête d’une des équipes11 de
Bob Denard au Rwanda. Ce faisant, elle éclaire et confirme des informations distillées dans un
article du bimensuel spécialisé La Lettre du Continent12 du 14 juillet 1994, intitulé
« Mercenaires »13, qui détaille de façon codée l'organisation franco-belge mise en place pour
l'envoi de mercenaires au Rwanda. La Lettre du Continent indiquait que ce réseau de recrutement
était opéré avec l’aide de « R.G., un ancien chef mercenaire des Comores ». Grâce à cette note
DGSE du 17 juin, nous savons aujourd’hui qu’il s’agit de Roger Ghys. Le but des mercenaires était
d'« épauler les [FAR] et les milices Hutus ».
Un des intérêts de l’article de La Lettre du Continent est d’indiquer que l’un des organisateurs de
l’envoi des mercenaires de Denard au Rwanda est un « noble français [...] conseiller spécial de
plusieurs Chefs d'États africains », ce qui fournit la piste d’une implication de la Françafrique 14.
L’envoi des mercenaires de Bob Denard apparaît bien téléguidé par une partie de l’État français.

11 Jean-Marie Dessalles, homme de Denard, dirige lui aussi une équipe au Rwanda, cf. « Le crapuleux destin de
Robert-Bernard Martin », rapport cité.
12 « Rwanda : Mercenaires », La Lettre du Continent, n°215, 14 juillet 1994, https://www.africaintelligence.fr/afriqueouest-et-central/1994/07/14/mercenaires,26417-art
13 « Une filière belgo-zaïroise de mercenaires a été réactivée à Bruxelles pour épauler les Forces armées rwandaises
[FAR] et les milices hutues. Selon nos informations, c'est à la mi-mai que des membres du gouvernement
intérimaire ont fait appel au marchand d'armes belge O.B.H. qui travaille avec Monsieur V., un noble français
d'origine belge installé dans l'Essonne et conseiller spécial de plusieurs chefs d'Etat africains. Avec son
collaborateur italien Marco F. qui est le contact avec l'ambassade du Rwanda en Belgique, l'équipe du marchand
d'armes belge recrute des mercenaires blancs dans les buvettes du fief zaïrois de Bruxelles, surnommé "Matongé".
Ils sont aidés dans leur tâche par R.G., un ancien chef mercenaire des Comores. […] L'équipe de "Matongé" en est
déjà à sa septième "expédition" pour le bastion des FAR de Gisenyi via Goma au Zaïre... » Certaines des initiales
ont été visiblement inversées et/ou changées par l’auteur de cet article, de même que certains détails –
vraisemblablement pour se protéger ou protéger ses informateurs.
14 Le « noble français » évoque la personnalité sulfureuse de Jean-François Etienne de Rosaies, proche de Charles
Pasqua, dont il a été membre du Cabinet lors de son précédent passage au ministère de l’Intérieur. Personnalité
influente du renseignement français, ce conseiller technique au secrétariat général de la défense nationale de 1991 à
1994 fait également carrière dans le conseil à des présidences africaines (Sénégal, Gabon). Proche d’Etienne
Léandri, avec qui il sera éclaboussé par le scandale de la Sofremi (du nom d’une entreprise d’exportation de
fourniture de matériel de police créée par le ministère de l’Intérieur), il passe selon la presse spécialisée pour un
« conseiller officieux » de Charles Pasqua au ministère. En 1994, J.F. Etienne des Rosaies devient opportunément
délégué de l’Ordre de Malte. Voir également le communiqué de presse où sont évoqués les noms de J.F Etienne des
Rosaies et du trafiquant d’armes belge Jacques Monsieur : « Rôle de la France au Rwanda : l’enquête sur le rôle
de Bob Denard et des réseaux Pasqua refusée par la juge, Survie fait appel », Communiqué de l’association Survie,
3 mai 2021, https://survie.org/themes/genocide-des-tutsis-au-rwanda/nos-actions-en-justice/article/role-de-lafrance-au-rwanda-l-enquete-sur-le-role-de-bob-denard-et-des-reseaux,.
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Enfin, la seconde page de cette note indique que l’activité de Paul Barril pour la fourniture d’une
« cinquantaine de tonnes de munitions et d’armements divers », c’est-à-dire l’« opération » liée à
son contrat du 28 mai 1994, est « liée probablement aux activités du groupe de Bob Denard ». Selon
les services secrets français, il y a vraisemblablement collusion entre Barril et Denard au
Rwanda.

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26 juillet 1994
Après le génocide, Denard reste en lien avec le gouvernement génocidaire
Cette Fiche n° 19123/N du 26 juillet 1994 « Activités de Bob DENARD », montre que le « corsaire
de la République », comme on le surnomme, reste en lien avec les génocidaires après leur défaite
militaire face à l’armée du Front patriotique rwandais (FPR), qui a pris pleinement le contrôle du
pays et mis fin au génocide mi-juillet.

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29 juillet 1994
Paul Barril et Me Vergès s’activent pour l’image d’Habyarimana
Cette Fiche n° 19149 du 29 juillet 1994, dont le titre parle des « projets du capitaine barril » alors
que le génocide est terminé et que le gouvernement intérimaire et les autres responsables du
génocide sont en fuite, montre que la bataille de l’image et de la communication reste un enjeu
important pour le mercenaire français : il ne s’agit pas uniquement d’honorer un contrat
commercial, mais bien de participer à un projet politique.

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22 août 1994
Bob Denard reste en lien avec les génocidaires
Cette Fiche n° 19273/N du 22 août 1994 « POURSUITE DES activités de bob denard » montre que
celui-ci, comme son collègue Paul Barril, reste en lien avec la famille Habyarimana et l’exgouvernement intérimaire rwandais.

Ces éléments complètent ce qui est connu, et s’inscrivent dans la continuation d’un soutien qui ne
s’est jamais arrêté : à la fin de l’été 1994, Bob Denard prévoyait de continuer au Zaïre ses activités
au profit des génocidaires15.

15 cf. « Le crapuleux destin de Robert-Bernard Martin », rapport cité, p. 5.
https://survie.org/publications/brochures/article/le-crapuleux-destin-de-robert-bernard-martin-bob-denard-et-lerwanda
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Conclusion
Ces notes confirment d’autres indices selon lesquels Paul Barril faisait vraisemblablement partie
d’un réseau structuré à partir de l’Élysée dans le cadre d’une stratégie indirecte de soutien au
Gouvernement intérimaire rwandais. Ce soutien s’est traduit par la signature d’un contrat le
28 mai 1994 entre Paul Barril et le Premier ministre de ce gouvernement génocidaire. La première
partie de ce contrat a été réalisée : une équipe de la société de Paul Barril, SECRETS, a été envoyée
au Rwanda. La seconde partie du contrat, portant sur l’envoi d’une vingtaine de mercenaires,
d’armes et de munitions, n’a pas été réalisée par Paul Barril lui-même. Cependant des mercenaires
et des armes ont bien été envoyés au Rwanda. Ces éléments confirment donc la nécessité que les
juges français s’interrogent sur une sous-traitance de ce contrat par d’autres mercenaires ou
sur une répartition des tâches en bonne entente au sein de ce réseau16.
Les agents de la DGSE qui ont rédigé ces notes ne semblaient certes pas avoir connaissance des
détails des activités de ces mercenaires ni de leurs liens avec les autorités françaises. Mais dans le
dossier d’instruction de la plainte déposée contre lui, Paul Barril et aussi Jean-Marie Dessalles
(du groupe Denard) indiquent qu’ils rendaient compte, pendant le génocide, de leurs activités
au Rwanda à des officiers traitants. Paul Barril et Bob Denard n’étaient donc pas des « électrons
libres ». Dans le dossier des juges qui se succèdent sur le dossier d’instruction concernant Paul
Barril, de multiples indices pointent vers les réseaux du ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua.
Un an après la publication du rapport Duclert, un constat s’impose. Celui-ci invisibilise le rôle des
mercenaires. Or il minore ou ignore également d’autres sujets marquants de la complicité
multiforme de responsables politiques et militaires français actuellement visés par des plaintes
devant la justice française17 :


les viols de réfugiées par des soldats français (plaintes déposées en 2004, 2012 et 2014),



les trois jours durant lesquels les survivants des collines de Bisesero se sont faits massacrer
au vu et au su de l’armée française, du 27 au 30 juin 1994 (plainte déposée en 2005),



les livraisons d'armes y compris pendant l'embargo décrété par l’ONU en mai 1994 (plainte
déposée en 2015),



les circuits offshore de financement d'achats d'armes pendant le même embargo (plainte
déposée en 2017).

16 Survie l’avait déjà expliqué le 3 mai 2021 : « Rôle de la France au Rwanda : l’enquête sur le rôle de Bob Denard et
des réseaux Pasqua refusée par la juge, Survie fait appel », https://survie.org/themes/genocide-des-tutsis-aurwanda/nos-actions-en-justice/article/role-de-la-france-au-rwanda-l-enquete-sur-le-role-de-bob-denard-et-desreseaux
17 Pour plus de détails sur les actions judiciaires en cours, voir la page « Nos actions judiciaires concernant le
génocide des Tutsis au Rwanda » du site internet de l’association Survie, https://survie.org/themes/genocide-destutsis-au-rwanda/nos-actions-en-justice/article/nos-actions-judiciaires-concernant-le-genocide-des-tutsis-au-rwanda
Rwanda, les mercenaires invisibles

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Le travail d’historien n’est certes pas le même que celui d’un juge, mais c’est bien la commission
Duclert qui, tout en procédant à ces occultations, s’est permise de conclure à l’absence de
complicité française18.
D'ailleurs, comme la commission Duclert, la justice n’accorde pas assez d’importance à ces
plaintes pouvant mener à établir la complicité française : certaines sont au point mort, d’autres
avancent incroyablement lentement. Concernant les mercenaires, avoir attendu sept ans avant
d'auditionner un Paul Barril très malade, qui actuellement n'est même plus en état d’être auditionné
à nouveau, est un déni de justice – de même que le serait le refus d'utiliser ces notes de la DGSE19.
Invisibiliser les mercenaires français au Rwanda, et les autres éléments du soutien français aux
extrémistes hutus, ne permettra pas de débarrasser la République française des fantômes des
victimes du génocide.

18 Pour justifier ce choix, la commission Duclert accorde une place centrale à l’absence d’intention criminelle de la
part des responsables français, alors qu'en droit pénal français ou droit pénal international une intention génocidaire
n'est pas requise pour qualifier une complicité. Voir Damien Roets, « Le génocide des Tutsi du Rwanda : la thèse
des complicités françaises au prisme des exigences du droit pénal », Revue de science criminelle et de droit pénal
comparé, vol. 1, no. 1, 2015, pp. 1-27.
19 La justice française a par ailleurs explicitement refusé, en l’état de l’instruction, la demande de la partie civile
Survie de réclamer aux services de l’État les retranscriptions des écoutes téléphoniques faites à l’époque sur Paul
Barril, écoutes dont il est établi qu’elles existent (cf. « Paul Barril: l'ex-supergendarme piégé par les services
secrets », Patricia Tourancheau, Libération, 9 mars 1995, https://www.liberation.fr/evenement/1995/03/09/paulbarril-l-ex-supergendarme-piege-par-les-services-secrets_127109/)
Rwanda, les mercenaires invisibles

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• agit en informant les citoyen-ne-s français-es, en interpellant les élu.e.s, et en
saisissant la justice sur des cas de soutien français aux crimes perpétrés par ces régimes,
• réclame des changements institutionnels pour empêcher la perpétuation de ces
pratiques.

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