Fiche du document numéro 29715

Num
29715
Date
Mardi 30 juin 1998
Amj
Taille
4198336
Sur titre
Eglise catholique
Titre
Note des chrétiens rwandais au chapitre des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs)
Sous titre
Courant mai, au moment où se tenait à Rome le chapitre (réunion au sommet) de la congrégation des Pères blancs, un groupe de fidèles catholiques ainsi que de religieux rwandais a jugé nécessaire d’interpeller, par écrit, les supérieurs de cette congrégation. La lettre ouverte qui leur est adressée évalue le bilan désastreux - c’est le moins qu’on puisse dire - de leur action missionnaire en Afrique des Grands-Lacs, singulièrement au Rwanda.
Nom cité
Nom cité
Cote
n° 362
Extrait de
Rémi Korman, « Écrire l’histoire d’une controverse : les relations entre l’Église catholique rwandaise et le génocide des Tutsi au travers de la presse rwandaise (1994-2003) », Sources, 2 | 2021

Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La tragédie rwandaise vous accuse!

Nous sommes certains que vous êtes tous informés de la crise que la société des missionaires d’Afrique est en train de vivre face aux problèmes rwandais. Ne soyez pas tentés de fermer les yeux là-dessus. Que ce soit par faiblesse ou par tactique. Vous n’y trouveriez aucun intérêt car cela, n’éloignerait pas le danger qui menace votre présence au Rwanda. Vous pouvez sans doute compter sur votre capacité habituelle à étouffer toute question gênante. Il est évident que vous maîtrisez pas mal de données notamment celles qui dépendent de votre puissance financière et médiatique. Mais d’autres et pas des moindres, vous échappent. Vos justifications ne sont pas arrivées au bout de vos problèmes par rapport au Rwanda.

Vous avez inventé de toutes pièces la propagande d’une persécution de l’Eglise au Rwanda. On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien. Il s’agit seulement d’une stratégie que vous avez mise en place pour que toutes les accusations portées contre vous soient mises au compte de cette prétendue persécution. De telle sorte que vous seriez lavés de vos trahisons à peu de frais. Vous êtes peut-être déçus de ne pas être de grands choyés du régime actuel, comme vous l’avez toujours été dans le passé, avec toutes les connivences et les collusions que vous avez entretenues tout en cultivant la politique éthnocentriste.

Celui qui observe attentivement votre manière d’exercer l’apostolat au Rwanda se rend vite compte que vous avez atteint le plafond et que vous ne pouvez plus vous renouveler. Il y a l’âge avancé de la plupart de vos missionnaires. Il y a la résistance devant les changements de notre société. Il y a enfin l’isolement dans lequel vous vous confinez autour du Nonce Apostolique loin du clergé rwandais qui vous considère à raison, comme un obstacle à son épanouissement spirituel, moral et social. Vous avez créé artificiellement deux Eglises parallèles dans notre pays: celle des missionnaires qui tiennent le haut du pavé et celle du clergé indigène réduit à l’état de dépendance atavique.

Mais de quoi est-ce qu’on vous accuse?

1) D’avoir systématisé et accentué les divisions ethniques.

Si vous faites une analyse honnête de l’histoire de votre action missionnaire au Rwanda, vous verrez vous-mêmes en quoi vous êtes coupables en ce qui concerne cette question.

2) D’avoir, de connivence avec le pouvoir colonial, fait massacrer des tutsi en 1959 sous le couvert d’une prétendue révolution sociale hutu.

A cette époque, l’alibi de participer à la libération du menu peuple étrangement identifié aux seuls hutu, a permis aux pères blancs, dont le fer de lance était monseigneur André Perraudin, de cautionner et de bénir le premier génocide des tutsi au nom d’une douteuse application de “la doctrine sociale de l’Eglise”. La vérité est que vous étiez de mèche avec vos compagnons d’armes, le pouvoir colonial, contre les nationalistes qui revendiquaient l’indépendance de leur pays. Beaucoup de tutsi furent alors massacrés, souvent sur incitation d’un bon nombre de pères blancs, pour qui le fait de tuer un tutsi n’était plus un péché comme l’a assidûment prêché le père Janssens à Kaduha en 1961.

Aujourd’hui cette haine des pères blancs contre les tutsi se retrouve dans les déclarations de certains, comme le père Guy Theunis, qui ose dire que “… la violence vient toujours du même côté. D’un seul côté. Du côté des tutsi. Ce sont les tutsi qui provoquent, qui d’une façon ou d’une autre gâtent les choses”. (in Wereldwijd, Belgique. Juin 1997-Traduction ANB-BIA n°326 p.16).

3) De protéger abusivement des prêtres et religieux accusés du crime de génocide.

Que n’avez-vous pas fait pour soustraire ces génocidaires à la justice? Le Provincial de Paris, le père W.Schonecker à Naïrobi, plusieurs de vos missionnaires au Rwanda, dans l’ex-Zaïre, à Rome etc… s’adonnent à cette tâche avec une étonnante assiduité.

4) D’empêcher l’Eglise du Rwanda de reconnaître sa culpabilité.

Vous faites cela sans doute pour couvrir votre propre culpabilité. Ne dites pas que les responsables sont des individus pour plaider l’innocence de l’institution. Lorsque les individus sont des “leaders” de cette institution, le problème est tout autre. C’est bel et bien l’institution qui est concernée.

5) D’avoir inventé la propagande de la persécution de l’Eglise au Rwanda.

Il est clair que tout n’est pas parfait entre l’Eglise et l’Etat, et pour cause. Mais de persécution, il n’en est pas question! Il y a peut-être des individus qui sont visés, mais l’église garde son rôle dans la vie sociale et sa part dans la reconstruction du pays reste grande. Devant la nouvelle situation, certains de vos missionnaires éprouvent un malaise et provoquent par leur indisposition mentale de mauvais contacts avec le nouveau pouvoir. Habitués aux honneurs et à un traitement de faveur, ils ont de la peine à passer par la porte étroite, à être traités comme les autres. Ils en concluent vite à la persécution.

6. De ne pas reconnaître que l’évangélisation du Rwanda est un échec.

Il s’agit pourtant d’un échec de taille! Vous essayez de rassembler des témoignages de hutu qui ont protégé des tutsi au prix de leur vie pour prouver que votre mission a réussi. Les très rares exceptions connues ne suffiront pas pour convaincre, d’autant plus qu’ils ne l’ont pas fait nécessairement au nom de leur foi. En toute situation critique, il y a des héros, des personnalités exceptionnelles dont les motivations ne sont pas toujours d’ordre surnaturelle. Allez-y donc doucement. Rien n’est moins évident!

Conclusion

Il importe que votre présent chapitre général considère la présence des Pères Blancs au Rwanda comme une question importante, très importante, à examiner avec une attention particulière. Nous vous suggérons de vous retirer momentanément de ce pays, quitte à revenir plus tard avec un personnel ayant l’avantage de n’avoir jamais été mêlé au drame rwandais.

Les signataires

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024