Fiche du document numéro 29630

Num
29630
Date
Jeudi 17 février 2022
Amj
Taille
276252
Titre
La justice française clôt l’enquête sur l’attentat de 1994 contre l’avion du président rwandais
Sous titre
La Cour de cassation a confirmé le non-lieu à l’encontre des proches de Paul Kagamé
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
C’est l’épilogue d’une enquête commencée il y a vingt-quatre ans. Mardi 15 février, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi contre l’arrêt de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris qui avait confirmé, en août 2020, le non-lieu à l’encontre de personnes proches de l’actuel président rwandais Paul Kagame. Ces dernières étaient accusées d’avoir planifié et participé à l’attentat ayant causé la mort du président rwandais Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994. Ce soir-là à Kigali, capitale du Rwanda, deux missiles tirés du sol avaient provoqué l’explosion en vol du Falcon 50 de la présidence rwandaise et donné le signal de départ du génocide des Tutsi qui a fait près d’un million de morts en trois mois.

Sur fond de débat quant aux responsabilités françaises lors de la tragédie, l’affaire de l’avion de M. Habyarimana a empoisonné les relations diplomatiques entre Paris et Kigali. Ce jugement de la juridiction suprême vient mettre un terme définitif aux poursuites pénales à l’encontre de Rose Kabuye, Sam Kanyemera, James Kaberebe, Jackson Nziza, Charles Kayonga, Jacob Tumwine et Franck Nziza, tous membres de l’entourage de M. Kagame.

« Il a fallu plus de vingt ans de procédures pour que les accusations indignes formulées à leur encontre soient invalidées par la justice française grâce au travail consciencieux de magistrats, enquêteurs et experts, se félicitent Me Léon-Lef Forster et Bernard Maingain, leurs avocats. Nous rendons hommage aux personnes poursuivies d’une façon totalement diffamatoire, qui ont soutenu sans faille le combat mené par la défense. »

Les familles de victimes de l’attentat avaient formulé un pourvoi en cassation pour faire valoir le fait que la chambre de l’instruction n’avait pas fait de distinction entre les personnes mises en examen ni précisé pour quelles raisons il n’existait pas de charges suffisantes à l’encontre de chacune d’elles. « La chambre de l’instruction […] a exposé que l’information était complète et qu’il n’existait pas de charges suffisantes contre quiconque d’avoir commis les crimes reprochés, ni toute autre infraction », écrit la Cour de cassation dans son arrêt.

Phase d’approche



Sur le plan diplomatique, la déchéance du pourvoi s’inscrit dans la continuité du réchauffement entre la France et le Rwanda opéré depuis l’arrivée à l’Elysée d’Emmanuel Macron. Cette normalisation des rapports a connu plusieurs étapes et notamment la création, en avril 2019, d’une commission d’historiens chargée d’étudier le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994 grâce à un accès sans précédent aux archives de l’Etat (Elysée, Quai d’Orsay, justice…).

Sous la direction de l’historien Vincent Duclert, un rapport de 1 200 pages − dont la conclusion attribue « une responsabilité lourde et accablante » à la France dans le génocide des Tutsi sans toutefois établir de « complicité » − a été remis à Emmanuel Macron, qui a effectué une visite mémorielle au Rwanda dans la foulée.

« En me tenant, avec humilité et respect, à vos côtés, je viens reconnaître nos responsabilités, avait déclaré M. Macron, au mémorial de Gisozi, où reposent les restes de 250 000 victimes du génocide, le 27 mai 2021. Reconnaître ce passé, c’est aussi et surtout poursuivre l’œuvre de justice. En nous engageant à ce qu’aucune personne soupçonnée de crimes de génocide ne puisse échapper au travail des juges. » Pour sceller cette « réconciliation » franco-rwandaise, la nomination d’un ambassadeur de France à Kigali, alors que le poste était vacant depuis six ans, avait ensuite été annoncée.

Cette décision de la Cour de cassation, qui ne se prononce pas sur le fond mais sur d’éventuelles fautes de procédure, apporte un point final à un long marathon judiciaire. Mais deux décennies et demie d’instruction n’ont pas permis de savoir qui a tiré les deux missiles contre l’avion présidentiel de M. Habyarimana, lorsqu’il était en phase d’approche au-dessus de l’aéroport de Kigali. Cet attentat a provoqué la mort des douze passagers de l’aéronef dont le chef d’Etat rwandais, mais également des trois membres français de l’équipage : Jacky Héraud (commandant de bord), Jean-Marc Perrine (mécanicien) et Jean-Pierre Minaberry (copilote). C’est suite à une plainte déposée par la fille de ce dernier qu’une information judiciaire contre X avait été ouverte à Paris le 27 mars 1998.

Le juge Jean-Louis Bruguière, qui mène alors l’enquête, privilégie la théorie d’un attentat commis par un bataillon du Front patriotique rwandais (FPR), un mouvement politico-militaire composé essentiellement de Tutsi venus d’Ouganda et aux ordres de Paul Kagame. Le magistrat ne se rend pas au « pays des mille collines » et ne recueille aucun élément matériel. En 2006, Jean-Louis Bruguière délivre des mandats d’arrêt pour « assassinat en relation avec une entreprise terroriste » contre les proches de Paul Kagame, ce qui provoque une rupture des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda.

Etude de trajectoire des missiles



En 2007, les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux, qui succèdent à Jean-Louis Bruguière, vont mener des investigations à Kigali. Ils s’envolent en septembre 2010 pour le Rwanda accompagnés de plusieurs experts et spécialistes en armes, balistique, aéronautique, explosifs, acoustique… Pour connaître le lieu d’où ont été tirés les missiles, ils s’appuient sur des témoignages visuels et auditifs, mais aussi sur une étude analysant leur trajectoire. « Le faisceau de points de cohérence nous permet de privilégier comme zone de tir la plus probable : le site de Kanombe », écrivent-ils.
En avril 1994, cette caserne militaire était occupée par des unités d’élite des Forces armées rwandaises (FAR), ennemis jurés du FPR et entraînés par des soldats français. Cette analyse appuie donc l’autre thèse : celle d’un attentat commis par les extrémistes Hutu, opposés au président Habyarimana, qui venait de lever les derniers obstacles des accords de paix d’Arusha avant sa mort. En juillet 1994, la DGSE écrivait dans une note : « Selon une personnalité rwandaise hutu modérée, les colonels Bagosora, ancien directeur de cabinet du ministre de la défense, et Laurent Serubuga, ancien chef d’état-major des FAR, seraient les principaux commanditaires de l’attentat du 6 avril… Leur mise à la retraite, prononcée en 1992 par le président Habyarimana alors qu’ils espéraient obtenir le grade de général, a été à l’origine d’un lourd ressentiment. »

En décembre 2018, le juge Jean-Marc Herbaut prend la suite de Marc Trévidic au côté de Nathalie Poux. Tous deux décident finalement d’abandonner les charges contre les proches de Paul Kagame. « Il faut insister d’une manière générale sur le climat délétère dans lequel s’est déroulée cette instruction, écrivent-ils dans leur arrêt. Les témoignages recueillis et sur lesquels repose principalement l’accusation sont largement contradictoires ou non vérifiables. Leur accumulation ne peut pas constituer des charges graves et concordantes permettant de renvoyer les mis en examen devant la cour d’assises. »

« On est face à un dossier sacrifié sur l’autel de la diplomatie, déplore Me Philippe Meilhac, avocat des parties civiles. Le mal était fait depuis longtemps et mes clients le savaient, même s’ils gardaient un peu d’espoir… Dans cette affaire, le contexte politico-diplomatique a joué un rôle important, mais il peut changer. »

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024