Fiche du document numéro 29224

Num
29224
Date
Jeudi 16 décembre 2021
Amj
Taille
88572
Titre
Rwanda : quinze ans de prison requis contre Claude Muhayimana pour complicité de génocide
Soustitre
Le Franco-Rwandais, qui comparaît depuis le 22 novembre devant la cour d’assises de Paris, est accusé d’avoir conduit des miliciens sur différents lieux de massacre.
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Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Dessin d’audience du premier jour du procès de Claude Muhayimana devant la cour d’assises de Paris, le 22 novembre 2021. Le Franco-Rwandais est accusé d’avoir conduit des miliciens sur le lieu de massacres lors du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994. BENOIT PEYRUCQ / AFP

Comme ils sont liés au « crime des crimes », les faits sont imprescriptibles. Mercredi 15 décembre à la cour d’assises de Paris, quinze ans de réclusion ont été requis par le parquet général contre Claude Muhayimana pour « complicité de génocide » et « complicité de crimes contre l’humanité ». Agé de 60 ans, le Franco-Rwandais comparaît depuis le 22 novembre pour avoir conduit des miliciens sur différents lieux de massacres pendant le génocide des Tutsi qui a fait près d’un million de morts au Rwanda.

Les faits remontent au printemps 1994, il y a plus de vingt-sept ans. A cette époque, Claude Muhayimana est chauffeur d’une guest-house de Kibuye, dans l’ouest du Rwanda. Une quinzaine de témoins ont affirmé, pendant les trois semaines et demie d’audience, l’avoir vu transporter, au volant « d’une Daihatsu Bleue » puis « d’un Hilux rouge », des Interahamwe, des miliciens responsables de très nombreux massacres, dans les alentours de Kibuye et sur les collines de Bisesero. Autour du lac Kivu, les tueries ont fait au moins 72 000 morts entre le 7 avril et la fin du mois de juin 1994.

Claude Muhayimana « s’est positionné au plus près des crimes », a déclaré le ministère public. L’accusé « ne peut ignorer à quoi il a contribué », notamment parce que, sur la plateforme de son véhicule, les miliciens chantaient qu’il fallait « exterminer les Tutsis ». « Du fœtus au vieillard, dans des charniers à ciel ouvert, une chaîne de vie a été éradiquée », a expliqué Myriam Fillaud, avocat général.

Claude Muhayimana a rejoint la France à la fin des années 1990. Un mandat d’arrêt a été émis contre lui par les autorités rwandaises en décembre 2011. Quelques mois plus tard, la cour d’appel de Rouen, où il réside, a donné un avis favorable à son extradition, avant que la Cour de cassation n’annule cette décision. Ce refus a été réitéré en 2014, à la suite d’un avis favorable de la cour d’appel de Paris. Son audience devait initialement se tenir en septembre 2020, mais elle a été décalée à deux reprises à cause de la pandémie de Covid-19.

Rescapés et anciens tueurs



L’accusé, qui comparaît libre mais a été placé un an en détention provisoire en 2014, travaille aujourd’hui en tant que cantonnier à la mairie de Rouen. Immobile pendant les longues heures d’audience, bras et jambes croisés devant ses avocats, Claude Muhayimana est-il cet « homme ordinaire » que sa défense a décrit au fil du procès ? « Les crimes que nous avons évoqués sont extraordinaires, a tranché Aurélie Belliot. Dans un génocide, chaque maillon, chaque rouage a son importance… Il a été un acteur dans le dispositif de la traque des Tutsi. »

Les deux parties ont toutefois reconnu la fragilité des témoignages entendus. Rescapés des massacres ou anciens tueurs, une cinquantaine de témoins se sont succédé à la barre. « Ils ne permettent pas de concourir à l’éclosion de la vérité, a plaidé Me Philippe Meilhac, l’un des trois avocats de Claude Muhayimana. Il est impossible de dater certaines attaques car il y a peu de détails et finalement très peu de concordances. On s’est installé dans un flou, on ne voit pas grand-chose. »

Claude Muhayimana est difficile à cerner. Avant sa naturalisation en 2010, il avait effectué une demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Celle-ci avait été refusée parce que son parcours comprenait déjà des zones d’ombre et des éléments mensongers, comme la mort d’une partie de sa famille. Il l’a justifié à la barre par « une erreur de traduction ».

Même s’il parle bien le français aujourd’hui, Claude Muhayimana s’est exprimé en kinyarwanda, la langue communément parlée au Rwanda, pour nier en bloc toutes les accusations portées contre lui. « Ces témoins accusateurs, ils sont formés pour accuser », a-t-il martelé. Le président a parfois semblé irrité par ces dénégations, notamment lorsque l’accusé a dû expliquer pourquoi le planning des gendarmes français censés enquêter sur lui au Rwanda avait été retrouvé à son domicile avec la liste des témoins que ces derniers devaient rencontrer. Après quelques hésitations, Claude Muhayimana a reconnu qu’il avait mandaté une avocate rwandaise pour contacter des témoins à Kigali et leur proposer de l’argent.

Crise de malaria



Le Franco-Rwandais est resté fidèle à la version des faits qu’il avait initialement présentée, selon laquelle il ne se trouvait pas à Kibuye pendant les massacres de masse. Il a présenté un certificat attestant qu’il était en déplacement à Ruhengeri, dans le nord du Rwanda, entre le 14 et le 27 avril, afin d’acheminer la dépouille d’un gendarme, tué pendant des combats.

D’après lui, il ne pouvait donc se trouver dans la région de Kibuye lorsque se sont déroulées les tueries perpétrées dans l’église (le 17 avril, près de 2 000 morts) et au stade Gatwaro (le lendemain, 11 400 morts), contrairement à ce qu’ont dit certains témoins. « Mais l’authenticité de son ordre de mission est mise en cause par le comptable de la guest-house », a rappelé Alexandre Kiabski, avocat du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), qui traque les présumés génocidaires réfugiés sur le territoire français et a déposé plainte en juin 2013 contre Claude Muhayimana.

L’accusé a ensuite déclaré que, après son retour de Ruhengeri, il était resté chez lui « sans pouvoir conduire » pendant quasiment deux mois, à la suite d’une crise de malaria. Mais il a cette fois été contredit par son ex-femme, qui l’a qualifié de « menteur » et de « manipulateur ». « Il partait avec des miliciens le matin et revenait avec eux le soir », s’est-elle souvenue, soulignant toutefois qu’elle « n’avait jamais vu de traces de sang sur ses habits ».

Les avocats de Claude Muyahimana ont plaidé la contrainte, rappelant que son ex-femme était une Tutsi et qu’il avait « peut-être été contraint de donner des gages minimums comme conduire des Interahamwe » pour lui sauver la vie. Ils ont enfin souligné que l’accusé est membre du Congrès national rwandais (RNC), un parti d’opposition au régime de Paul Kagame, et que, en tant qu’opposant, il était victime d’une persécution de Kigali.

Normalisation des relations diplomatiques



Deux procès en lien avec le génocide des Tutsi se sont déjà tenus en France : en 2014, l’ex-officier de la garde présidentielle Pascal Simbikangwa a été condamné à vingt-cinq ans de réclusion, peine confirmée en appel. Octavien Ngenzi et Tito Barahira, anciens bourgmestres dans l’est du Rwanda, ont quant à eux été condamnés à la perpétuité et leurs peines ont été confirmées en appel.

Sosthène Munyemana, poursuivi depuis 1995 et aujourd’hui gériatre à Villeneuve-sur-Lot, devra répondre à la justice devant les assises, la chambre de l’instruction de la cour d’appel ayant confirmé, mercredi 15 décembre, son ordonnance de mise en accusation. D’autres audiences sont prévues avant la sienne, dont celle de l’ancien préfet Laurent Bucyibaruta en mai 2022.

Lors de sa visite au Rwanda en mai, dans le cadre d’une normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays après des années de tension à cause du rôle joué par la France en 1994, Emmanuel Macron s’était engagé « à ce qu’aucune personne soupçonnée de crimes de génocide ne puisse échapper au travail des juges ».

« Le rôle de chauffeur n’est pas un rôle anodin, même si un tueur aura toujours plus de responsabilités qu’un simple chauffeur », a rappelé Alexandre Kiabski, avocat du CPCR. « Claude Muhayimana a toujours préservé son véhicule, a ajouté Matthieu Quinquis, avocat de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), également partie civile. Il lui aurait suffi de couper une durite ou de dégonfler un pneu pour ne pas conduire les miliciens et préserver ne serait-ce qu’une vie. »

Le jugement est attendu dans la journée de jeudi 16 décembre.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024