Fiche du document numéro 29207

Num
29207
Date
Lundi 22 novembre 2021
Amj
Taille
37511
Titre
Génocide des Tutsi du Rwanda : un rouennais bien pistonné, jugé pour complicité
Sous titre
Ancien chauffeur et milicien rwandais exilé à Rouen, Claude Muhayimana est jugé à partir de ce lundi pour complicité de génocide. Cet ancien supplétif de l’armée française au Rwanda, qui a bénéficié du soutien d’un général deux étoiles pour s’installer dans l’hexagone, avait menti à l’administration française.
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Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Aujourd’hui s’ouvre à Paris le procès aux assises du franco-rwandais Claude Muhayimana installé depuis vingt ans à Rouen. Cet ancien milicien de 60 ans est jugé pour complicité dans le génocide des Tutsi à Kibuye, une région de l’ouest du Rwanda.

La procédure judiciaire a débuté 8 ans plus tôt lorsque le collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) avait déposé une plainte en France. L’accusé comparaît libre à son procès après avoir été incarcéré, en 2014, en détention provisoire. Il reste présumé innocent des faits dont on l’accuse. Sollicité par Le Poulpe, Philippe Meilhac, son avocat, n’a pas donné suite.

Accusé d’avoir conduit les gendarmes et les miliciens sur les principaux lieux du génocide, Claude Muhayimana se serait rendu complice de plusieurs massacres dans les différents points où furent rassemblés les Tutsi de Kibuye ainsi que sur les collines environnantes où ceux-ci furent attaqués et pourchassés sans relâche durant trois mois. Des événements au cours desquels périrent des centaines de milliers de personnes.

C’est dans ce contexte funeste que Claude Muhayimana aurait tissé ses premiers liens avec la France qui déploie alors 3 000 hommes au Rwanda dans le cadre de l’opération militaro-humanitaire Turquoise, opération aujourd’hui très controversée en raison de sa mansuétude envers les génocidaires qu’elle a exfiltrés du pays. Claude Muhayimana prête ses services à l’armée française puis quitte le pays une première fois en juillet 1994.

Claude Muhayimana reviendra brièvement au Rwanda avant de fuir définitivement en 1995. Après cela, on sait peu de choses de son périple en dehors des différentes versions successives, plus rocambolesques les unes que les autres, qu’il a livrées à l’administration puis aux enquêteurs.

Selon un document consulté par Le Poulpe, Claude Muhayimana embarque le 25 novembre 2001 dans un vol au départ d’Abidjan en Côte d’Ivoire à destination de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Il dispose d’un passeport togolais : n°136282. Le 4 décembre suivant, la police française lui délivre le sauf-conduit n°11016.

L’ancien chauffeur serait ensuite arrivé à Rouen « aidé par des arabes » selon ses propres affirmations au cours de l’enquête. Mediapart et Le Poulpe ont cependant révélé et documenté la manière dont un vaste réseau issu des forces génocidaires rwandaises avait organisé une filière d’immigration clandestine à Roissy Charles-de-Gaulle, mais aussi phagocyté le dispositif d’accueil des réfugiés à Rouen. La capitale normande reste une place forte des extrémistes rwandais en exil.

L’ex-milicien introduit une demande d’asile auprès de l’Office français de protections des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui juge ses déclarations « peu sincères et comportant de multiples invraisemblances », mais également « peu crédibles », « contradictoires » et « confuses ». Elle rejette la demande en mai 2003. Une décision confirmée en 2005 par la Commission de recours des réfugiés (CRR, actuelle Cour nationale du droit d’asile). Dès cette époque, Claude Muhayimana se révèle être un homme retors qui n’hésite pas à s’arranger avec la vérité.

À l’appui de sa demande d’asile, Claude Muhayimana a ainsi prétendu avoir appris en 2001 l’assassinat au Rwanda de son père, de sa mère, de sa grand-mère, de son frère, de son beau-frère et de sa cousine. Une véritable hécatombe dans la famille qui justifierait ses craintes de retourner au pays des mille collines.

Mais quelques années plus tard, l’ancien milicien livrera des informations fort différentes à la police et aux psychologues dans le cadre de l’enquête qui le vise. Son père serait mort en 1966 et sa mère en 2008. Tous ses frères et sœurs sont encore en vie au Rwanda. Des faits que Le Poulpe a pu confirmer à son tour en se rendant sur place.

Intervention d’un général de l’armée française



Débouté de l’asile puis de son recours en 2005, Claude Muhayimana se retrouve donc sans-papiers. Ce qui ne l’empêche pas de se maintenir sur le territoire français, mais rend son avenir incertain. À peine deux mois plus tard, un ami français haut placé va se manifester pour le tirer de cette situation.

Le 8 février 2006, le général de brigade Patrice Sartre, vétéran de l’opération Turquoise, écrit à Daniel Cadoux, alors préfet de Haute-Normandie et de Seine-Maritime, pour lui demander d’aider Claude Muhayimana qui serait selon lui en danger. « Les Tutsi désormais au pouvoir lui reprochent d’avoir coopéré avec moi », affirme-t-il dans ce courrier signé de sa main que Le Poulpe a consulté. Le général avait précédemment fourni une attestation qui n’avait pas convaincu la CRR.

Officier connu pour sa lucidité dans le dossier rwandais et le regard critique qu’il avait immédiatement posé sur l’opération Turquoise, Patrice Sartre a publié en mars dernier une tribune où il dénonçait la « politique surannée et chimérique » menée par François Mitterrand au Rwanda en 1994. La missive qu’il adresse au préfet en 2006 révèle une autre facette du personnage.

Selon Patrice Sartre, son protégé serait « en danger de mort car la France qu’il a servie s’apprête à le renvoyer chez ceux qui justement lui reprochent de l’avoir servie. Vous comprendrez bien que je serais rongé de remords s’il devait être emprisonné ou tué pour m’avoir aidé à remplir ma mission », s’inquiète l’officier supérieur qui exhorte le préfet à « tout mettre en œuvre pour éviter à cet homme un sort qui nous déshonorerait ».

Le général a-t-il été entendu par Daniel Cadoux ? Nous ne le saurons pas. Sollicité à plusieurs reprises par Le Poulpe, le militaire en retraite n’a pas donné suite.

Toujours est-il que cette année-là, selon les documents administratifs que Le Poulpe a pu consulter, la préfecture régularise Claude Muhayimana et lui délivre un titre de séjour. Ce qui permet à ce dernier de demander par la suite la nationalité française. Elle lui sera accordée le 28 avril 2010.

Désormais, tout semble sourire à Claude Muhayimana. La mairie de Rouen l’embauche dès 2007. Il entre au service technique en 2010. L’année suivante, il est titularisé. Le génocide semble alors ne plus être qu’un lointain souvenir. Mais l’Histoire va finalement rattraper ce milicien reconverti en cantonnier et mettre fin à 19 ans de répit.

En décembre 2011, le parquet général rwandais émet un mandat d’arrêt international et un acte d’accusation à l’encontre de Claude Muhayimana. Après une courte enquête, les policiers du SRPJ de Rouen l’interpellent le 8 mars 2012 à 8h53 dans les locaux du service technique de la Mairie de Rouen, puis le libèrent 24h plus tard.

S’ensuit une série de décisions judiciaires concernant l’extradition du suspect vers son pays d’origine. D’abord favorables, ces premières décisions seront annulées par deux arrêts de la Cour de cassation en 2012 et 2014. La raison : les crimes en question n’existaient pas spécifiquement dans le droit rwandais lorsqu’ils ont été commis.

Une jurisprudence française déconcertante, mais constante concernant les Rwandais suspects de génocide. Suivant la même logique, aucun nazi européen n’aurait pu être jugé pour l’Holocauste. Dans son rapport paru en mars 2021, le cabinet d’avocat Muse-Levy-Firestone LPP mandaté par Kigali écrit même à ce sujet que la France « a choisi de protéger et de ne pas poursuivre les génocidaires ».

Claude Muhayimana va néanmoins être jugé. Le procès s’ouvre vingt-sept ans après des faits qui furent commis à 6 000 kilomètres de la France. Des années durant, l’ex-milicien a montré un esprit tortueux et demeure arc-bouté sur des alibis qui se sont pourtant effondrés les uns après les autres.

Reste que les magistrats et les enquêteurs ne seraient pas parvenus à établir la participation directe de Claude Muhayimana aux différents massacres et meurtres commis dans la préfecture de Kibuye. À ce stade, l’ancien milicien a d’ores et déjà bénéficié d’un non-lieu partiel en septembre 2017 pour les accusations de « génocide » et « crime contre l’humanité ».

« L’information judiciaire a en revanche permis d’établir de façon constante, que Claude Muhayimana avait entre courant avril 1994 et la fin du mois de juin 1994, en plusieurs occasions conduit des miliciens, policiers et gendarmes sur les lieux d’attaques de grande ampleur menées contre les populations civiles tutsies », écrit le parquet dans ces réquisitions, estimant qu’il s’est « sciemment rendu complice par aide ou assistance de ces différentes attaques, comptant parmi les épisodes les plus sanglants du génocide des tutsis du Rwanda ».

Durant un mois, Claude Muhayimana doit par conséquent « répondre [des] faits, non en qualité d’auteur principal, mais de complice de génocide et de crime contre l’humanité ». Prisonnière de ses contraintes et exigences, la vérité judiciaire ne peut pas toujours rejoindre pleinement la vérité historique. Celle-ci continuera de s’écrire après le verdict prévu pour la fin du mois de décembre.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024