Fiche du document numéro 29161

Num
29161
Date
Dimanche 21 novembre 2021
Amj
Taille
2690018
Titre
Rwanda : Dafroza Gauthier, originaire de Reims, de retour sur ses terres à la veille du procès d'un génocidaire présumé
Sous titre
Dafroza et Alain Gauthier sont les fondateurs du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda, basé à Reims. Depuis 20 ans, ils mènent l’enquête pour faire condamner les génocidaires réfugiés en France. Au Rwanda, en septembre, ils ont rencontré de nouveaux témoins sur la terre natale de Dafroza.
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Type
Page web
Langue
FR
Citation
«Ça me fait du bien désormais de voir où ils sont. Qu’on les chouchoute, que l’on prenne soin d’eux pour l’éternité». • © R. Doumergue - France Télévisions

L’endroit est discret. La voiture de Dafroza et Alain Gauthier s’arrête devant le White Horse Hotel à Ruhango au Rwanda. C’est ici que les rendez-vous ont été fixés. Les barreaux aux fenêtres ornées de légers rideaux laissés libres au vent, la lumière tamisée… L’atmosphère oscille entre la douceur du climat et l’attente de nouvelles révélations liées au génocide contre les Tutsi. Dafroza est prête, son cahier et son stylo sur la table, à ses côtés son mari. Les voix sont douces, presque imperceptibles, puis prennent de l’assurance au fur et à mesure du récit. Ces témoignages vont servir un dossier dont la plainte a été déposée en France à l’Office Central de lutte contre les crimes contre l’humanité, fin septembre 2021.

Alain et Dafroza Gauthier sont partis de Kigali, la capitale du Rwanda, le matin même. Leur circuit est prévu sur 5 jours et c’est au sud du Rwanda, puis à l’ouest qu’ils vont sillonner le pays en quête de nouveaux témoignages. A Ruhango, dans le district de Gitarama, plusieurs témoins du génocide contre les Tutsi ont été identifiés. Des personnes jamais entendues encore par le couple originaire de Reims. Alphonse arrive avec son fils, puis Idrissa et Jean. Ils se connaissent tous, ont vécu la même histoire. Pas toujours du même côté, mais 27 ans après le génocide contre les Tutsi au Rwanda, ils n’ont rien oublié. Parfois les dates s’emmêlent, mais les lieux et les noms de ceux qu’ils ont vus ces jours-là sont précis. Tout comme ce qu’ils ont fait.

Alphonse et Jean, deux témoins, expliquent comme se sont déroulés les massacres sur le lieu même du génocide contre les Tutsi. • © I. Forboteaux / France Télévisions

Retour sur ses terres natales et appréhension



A Reims, dans sa maison du centre-ville, Dafroza est nerveuse. A quelques semaines de cette nouvelle mission au Rwanda... "Je ne sais pas si je vais réussir à gérer cela", dit-elle simplement.

De nouveaux témoins ont été repérés par Alain Gauthier lors de son voyage en juin 2021. Il faut aller les revoir. Ils concernent notamment un dossier de plainte déposé à l’Office Central de lutte contre les crimes contre l’humanité en 2000 contre l’ex-préfet de la région de Gikongoro, Laurent Bucyibaruta. Installé depuis des années à Saint-André-les-Vergers dans l’Aube, il comparaîtra devant la Cour d’Assises de Paris du 9 mai au 1er juillet 2022. Le génocidaire présumé était le préfet d’une région tellement familière à Dafroza Gauthier.

Dafroza Mukarumongi y est née le 4 août 1954, dans cette bourgade appelée alors Astrida, rebaptisée Butare après l’indépendance. Butare, Kibeho et toutes ses collines autour sont les terres natales de son père et de ses oncles. Là, où elle a vécu enfant avec sa maman, ses frères et sœurs, jusqu’à son entrée au collège.

Une famille disparue aujourd’hui. Une terre où elle n’est pas revenue depuis 25 ans.

En 1963, Dafroza, sa mère et sa sœur, se sont réfugiées dans cette église pour déjà, à l'époque, fuir la barbarie. • © I.Forboteaux / France Télévisions

Rescapée de l’église de Kibeho en 1963



Dafroza et Alain Gauthier sont au Rwanda depuis le 20 septembre. Le 28 au soir, ils arrivent à Butare. La mission catholique Boni Consilii sera leur maison pour quelques jours. Jeudi 30 septembre, après 1 h de route, la voiture s’arrête au pied d’une belle église de briques beiges. Le lieu est vaste, l’édifice est posé sur le plat d’une colline. La vue est imprenable sur des dizaines de petites montagnes alentours.

Dafroza et Alain se dirigent vers l’église. Ils sont attendus par Bertin, représentant de l’association Ibuka, une ONG qui œuvre pour la mémoire du génocide des Tutsi au Rwanda. "Là, c’est compliqué", chuchote Dafroza en franchissant la porte de l’édifice. Elle sert très fort son chapeau entre ses mains et lève la tête, comme pour éviter l’immédiateté des images qui lui arrivent. Puis, elle tend le bras et pointe du doigt un endroit précis au fond de l’église. "En 1963 avec ma mère, ma sœur, mes cousines, nous nous sommes réfugiées ici pour échapper aux massacres. Je me cachai dans les jambes de ma mère. On entendait crier à l’extérieur". A l’époque, les miliciens n’attaquaient pas les églises, sanctuaires infranchissables. Dafroza et sa famille ont eu la vie sauve. "Je connais très très bien cette église. J’y ai survécu, mais pas eux".

Des souvenirs douloureux



"L’église a changé, l’autel n’était pas au milieu quand j’étais petite, se souvient Dafroza. C’est ici que j’ai été baptisée, je devais avoir trois semaines, et où j’ai été confirmée".

Les 12, 13 et 14 avril 1994, l’église en haut de la colline de Kibeho est attaquée. 40 000 Tutsi s’y étaient réfugiés, pensant trouver refuge dans et autour de l’édifice. Ils seront presque tous exterminés. Parmi eux, une partie de la famille de Dafroza et celle de Bertin, leur guide du jour. "Mais tu es le petit-fils d’un instituteur de l’école des garçons. Je le connaissais". Au fil de la discussion, les souvenirs reviennent, confus parfois. "Ici, c’est chez moi, reprend Dafroza. Toutes ces collines autour, je les connaissais, petites. Les collines n’ont pas bougé mais ça a beaucoup, beaucoup changé. Quand j’ai terminé l’école primaire, c’était en 1966. J’avais 11-12 ans et je suis entrée au collège à la rentrée de septembre. Il y a très longtemps que j’ai quitté ici".

En sortant de l’église l’émotion est immense. Tout lui rappelle son enfance mais il n’y a plus personne pour se souvenir avec elle. "Je suis revenue en 1996, à reculons. Je n’avais pas envie et j’ai presque regretté". L’église incendiée avec des milliers de Tutsi dedans n’était que ruines. "Ça sentait encore la mort et il y avait encore des corps et des vêtements partout. Je n’étais pas prête et depuis je me suis interdit de revenir. Je n’avais pas le courage ni l’envie. Je ne sais pas si j’ai envie aujourd’hui, mais je suis là".

A Kibeho, 40 000 Tutsi ont été assassinés. Ils reposent ici dans ces grands tombeaux. Les noms de chaque victime y sont gravés à jamais. • © I. Forboteaux / France Télévisions

A Kibeho, en haut de cette colline, proche de l’église, un mémorial rend hommage aux 40 000 Tutsi assassinés en trois jours. "C’est dur de reconnaître des gens qui étaient si familiers", explique Dafroza en lisant les noms inscrits sur les stèles du mémorial. Au-delà des lettres gravées, ce sont des visages qui s’affichent devant ses yeux. "Je trouve deux de mes instituteurs de l’école primaire. Mon prof de français de CM2 et sa femme qui nous enseignait le chant, Marta et leurs sept enfants. Je connaissais les ainés. Et puis le papa de Marta était un grand ami de mon père… donc ça réveille des souvenirs. C’est pas évident". Sa voix s’étouffe d’émotion, mais elle reprend : "Nous, on ne peut pas se plaindre. Faut prendre sur soi".

Les noms et prénoms de son instituteur, de sa femme et de leurs 7 enfants sont inscrits sur la stèle : "familles exterminées". "Ce qui est très dur, c’est que ce sont des familles disparues à jamais. Il y en a où il y a un ou deux survivants. Mais là, c’est terminé, fini. Ça c’est le génocide".

« On les chouchoute et ça me fait du bien »



Un long moment, avec Bertin et Alain, Dafroza restera devant ces milliers de noms et de prénoms gravés dans le marbre. Puis seule, silencieuse, recueillie. 25 ans après sa dernière visite, la petite fille de la région de Butare semble enfin, peut-être, trouver un peu de repos. Des membres de sa famille ont été tués ici en 1994. D’autres aussi à Kigali. Ces lieux de souvenir, leurs permettent à tous d’avoir une sépulture digne. "C’est important, c’est les faire revenir pour ne jamais les oublier, reprend-elle. Ils ont existé, comme nous ici, debout. Ils ont une histoire, une histoire de famille…" Les mots de Dafroza sont ponctués de silence, comme pour reprendre son souffle. "Ils ne demandaient qu’à vivre".

Pendant toute cette route à la rencontre des rescapés et des témoins du génocide contre les Tutsi du Rwanda, Dafroza Gauthier ne cessera de le dire. "Ça me fait du bien désormais de voir où ils sont. Qu’on les chouchoute, que l’on prenne soin d’eux pour l’éternité".

Les collines de Kibeho, berceau de la famille de Dafroza Gauthier. • © I. Forboteaux France Télévisions

La justice pour la paix intérieure



Ni haine, ni vengeance, des mots essentiels qui ponctuent chaque pas, chaque rencontre réalisés au Rwanda depuis 2001. Dafroza et Alain Gauthier, à travers leur Collectif pour les Parties Civiles pour le Rwanda, ne veulent que la justice.

A Kibeho, ce jour-là, Bertin, rescapé du massacre de l’église. Védaste et Théophile, les deux copains du groupe scolaire Marie Merci, établissement scolaire tout juste en contre-bas de l’église. Tous les trois ont permis à Dafroza Gauthier d’avoir la force de surmonter cette épreuve. "Terre de prières, terre d’épreuves. S’agissant de Kibeho, c’est vraiment ce que je ressens, c’est exactement ça. Mais le fait d’être avec eux, ces rescapés, d’avoir le récit de ce qu’ils ont enduré, de ce qu’ils ont vécu, ça donne la force. Ils sont en vie, ils vivent, ils ont refondé des familles. Ça fait du bien de voir qu’ils transmettent cette histoire. C’est très très important".

Très important aussi, car ils sont témoins et pour certains parties civiles, lors des procès aux Assises de Paris. Un besoin, une quête indispensable pour tenter de se décharger un peu de ce fardeau. Et de cette culpabilité d’être en vie. "Ceux qui ont fait ça doivent répondre de leurs actes, dit-elle encore. Faut que la justice passe. Il faut que les survivants puissent trouver au minimum un peu de repos. Au-delà de la réhabilitation des victimes, il faut qu’ils puissent continuer à vivre, pas à survivre. J’y crois… même quand je n’y crois plus, j’y crois ! C’est la méthode Coué, sourit-elle. La justice, ça apaise. Ça permet de se restructurer aussi soi. Oui, de retrouver une certaine paix intérieure".

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024