Fiche du document numéro 29151

Num
29151
Date
Mardi 26 mai 2020
Amj
Taille
472778
Titre
Siméon Karamaga [Hommage]
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Mot-clé
Résumé
Simeon Karamaga, one of the resistance leaders in Bisesero, has just died. Assistant to his cousin, Aminadabu Birara, the organizer of this resistance, he was able to instill the will to survive in the other Tutsis hunted down during three months of suffering in 1994. Their names cannot be forgotten.
Type
Note
Langue
FR
Citation
Siméon Karamaga
Jacques Morel
26 mai 2020, v0.3
Résumé
Siméon Karamaga, l’un des chefs de la résistance à Bisesero, vient
de mourir. Adjoint de son cousin, Aminadabu Birara, l’organisateur de
cette résistance, il sut insuffler la volonté de survivre aux autres Tutsi
pourchassés tout le long de trois mois de souffrance en 1994. Leur nom ne
peuvent pas être oubliés.

Figure 1 – Siméon Karamaga fut l’un des hommes qui inspira et mena la
résistance de Bisesero en 1994. Source : African Rights, Résistance au génocide
Bisesero, 1998, p. 5. Photo Jenny Matthews.

Nous avons appris par Eric Nzabihimana que Siméon Karamaga venait de
décéder mercredi 20 mai 2020.
Né en 1944, Siméon Karamaga élevait des vaches sur les collines de Bisesero.
Il était marié et avait huit enfants quand survint le génocide des Tutsi en 1994.
Il rappelle que les Baseseros, des éleveurs de Bisesero (ensemble de montagnes chevauchant les communes de Gishyita et Gisovu), avaient la réputation
1

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de savoir se défendre, “un bâton dans la main”, ce qui incita d’autres Tutsi à
venir à Bisesero lorsque les premiers massacres furent perpétrés en 1959 :
« En 1959, j’étais adolescent, rappelle-t-il. Nous nous sommes organisés
pour nous défendre, afin de nous protéger et de protéger nos vaches. Personne
n’a pu trouver de moyen de voler nos vaches ou de brûler nos maisons. En 1962,
les massacres des Tutsis recommencèrent. Mais nous avons réussi à repousser
l’ennemi, même s’ils avaient des fusils. En 1973, les tueurs sont revenus. Ils ont
brûlé deux maisons appartenant à des Abaseseros. Nous étions furieux et nous
avons repris nos lances et nos arcs. Les tueurs ont eu peur de nous et nous ont
laissé tranquilles. Les Tutsis des autres régions ont été tués et leurs maisons
brûlées. Les survivants ont quitté le pays, mais à Bisesero, nous sommes restés
dans nos biens, sauf quelques familles qui ont eu peur et qui sont allées au
Zaïre. Plus tard, nous avons tué les brigands qui ont essayé de voler nos vaches.
Les gens des autres régions qui savaient comment nous avions résisté dans les
moments difficiles nous considéraient comme des hommes très forts que l’on ne
pouvait pas attaquer. » 1
« Au début du génocide, en avril 1994, beaucoup de Tutsis des autres régions
sont venus à Bisesero, en pensant que c’était un endroit sûr et que les miliciens
ne pouvaient pas attaquer la région de Bisesero, car nous étions nous aussi des
guerriers. Mais cela n’a pas été le cas ; en effet, les miliciens nous ont attaqués
dès le commencement du génocide. » 2
Siméon Karamaga joua un rôle central dans les efforts pour élaborer une
stratégie de défense. Les réfugiés ne disposaient que d’armes traditionnelles –
lances, machettes, épées, couteaux et massues cloutées – pour se protéger des
armes à feu et des grenades. Leur première mesure consista à élire des chefs.
« Nous avons décidé de nous rassembler sur une même colline et nous
sommes partis avec nos enfants et tous nos biens, surtout des vaches. Sur la colline de Muyira, nous étions trop nombreux. C’est pourquoi nous nous sommes
organisés pour choisir les chefs qui pourraient nous diriger. Pour choisir un
chef, nous voulions quelqu’un qui n’aurait pas peur, qui pourrait encourager les
autres et qui avait une expérience du combat. Nous avons désigné comme chef
Aminadabu Birara et nous lui avons donné le grade de commandant. C’était
un homme sage, de mon âge. Il nous donnait le plan à suivre pour pouvoir repousser les miliciens. Il faisait partie des Abaseseros, qui combattaient depuis
1959. Malheureusement, Birara a été tué vers la fin du génocide, à Bisesero. On
m’a désigné également pour être l’adjoint de Birara. J’avais des équipes que je
dirigeais. » 3
En cas de bataille, Birara attendait de ses compagnons qu’ils fissent preuve
d’un courage énorme ; ils étaient en effet censés dévaler le flanc de la colline en
courant et se mêler à l’ennemi, en utilisant une tactique connue sous le nom de
Mwiuange sha, ce qui signifie “allez vous mélanger”.
« Les miliciens portaient des habits blancs quand ils nous attaquaient. Lorsque
1. Rwanda - Résistance au génocide - Bisesero, avril-juin 1994, African Rights, 3 avril 1998,
p. 5. http://francegenocidetutsi.org/ResistanceAuGenocide.pdf
2. Ibidem.
3. Ibidem, p. 17.

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nous les voyions arriver, j’allais devant les autres et je demandais à tout le
monde de se coucher. Les miliciens arrivaient en tirant. Mais, lorsqu’ils se rendaient compte que tout le monde était couché, ils se rapprochaient. Je demandais
alors aux Abaseseros de se lever et de se mêler aux miliciens, car ainsi, ils ne
pouvaient pas jeter des grenades ou tirer avec leur fusil sans prendre le risque
de tuer les leurs.
Notre commandant, Birara, restait derrière pour surveiller les personnes qui
avaient peur : il donnait des coups de bâton à ceux qui refusaient d’avancer. Il
demandait également aux femmes et aux enfants d’apporter des pierres ou des
bâtons. Notre commandant essayait de cacher les cadavres des Abaseseros, pour
ne pas provoquer la crainte chez les autres au moment du combat. » 4
Efesto Habiyambere a parlé du rôle de Karamaga :
« Nous nous sommes rassemblés sur la colline. Les gens ont commencé à
paniquer et à ne pas manger tellement ils avaient peur. D’autres jeunes, comme
Nzigira, Gatwaza et Habimana, et moi nous sommes adressés aux jeunes qui
avaient peur et avons commencé à leur remonter le moral. Deux vieux, Karamaga et Birara, nous encourageaient à nous préparer afin de pouvoir chasser les
miliciens. Les enfants et les femmes ont commencé à chercher des pierres. Nous
les mettions dans des sacs. Les premiers jours, durant la nuit, les gens se réchauffaient autour du feu. Mais souvent la pluie tombait et les gens tremblaient
de froid. » 5
Efesto Habiyambere a évoqué l’assaut orchestré par Ruzindana :
« Chaque jour les miliciens attaquaient. Ils venaient dans les voitures d’Obed
Ruzindana, qui en fait étaient des camions utilisés pour transporter le thé de
Gisovu. Ils venaient en chantant et portaient des habits blancs et des feuilles
sur la tête. Quand je les voyais arriver, je prenais immédiatement ma lance,
un bâton et un sac de pierres que je me mettais autour du cou, puis je demandais aux autres de me suivre. Nzigira prenait aussi un autre groupe. Birara et
Karamaga nous donnaient des ordres à suivre.
Quand les miliciens attaquaient, nous nous couchions d’abord parce qu’ils
venaient en lançant des grenades. Après nous nous mêlions à eux et nous commencions à nous battre. Lorsqu’ils voyaient qu’environ deux miliciens étaient
morts, ils commençaient aussitôt à reculer. Il y avait quelqu’un qui regardait
si nous avions jeté nos pierres, et lorsqu’il n’y en avait plus, il demandait aux
enfants et aux femmes d’en amener d’autres très vite. S’il y avait quelqu’un de
notre groupe qui reculait à cause de la peur, il recevait immédiatement des coups
de bâton de la part de Birara ou de Karamaga. » 6
Le reste des tâches était organisé : observation de l’arrivée des assaillants,
ramassage des pierres, cuisine,...
Ils ont résisté si bien que début mai, ils ont repris leurs cultures. Ils ont
même tué des soldats ou policiers et pris leurs fusils. Mais ils n’avaient pas de
munitions.
4. Ibidem, p. 17.
5. Ibidem, p. 16.
6. Ibidem, p. 24.

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Le 13 mai, un grand nombre de miliciens et de soldats sont venus en bus
et camions depuis Gisenyi et Gitarama pour les attaquer. Ce jour-là, Siméon
a perdu son épouse Marthe Nyirahategeka, sept de ses enfants et des petitsenfants.
Siméon Karamaga était parmi ceux qui incitaient les réfugiés à ne pas céder
aux génocidaires, alors que les miliciens revenaient jour après jour pour terminer
le massacre.
« Il ne restait qu’un petit nombre de personnes, et nous nous sommes cachés
dans un trou, poursuit-il. C’était difficile de nous organiser et nous avions faim,
car nous n’avions rien à manger. Mais nous continuions quand même de nous
rencontrer le soir, pour encourager les jeunes à continuer à courir et à combattre.
Nous avions déjà beaucoup souffert. Pendant la nuit nous voyions des chiens
et d’autres animaux qui venaient dévorer les cadavres. Pendant la journée les
corbeaux accompagnaient les miliciens pour venir dévorer les cadavres aussi.
Personne n’avait pitié de nous. Les miliciens venaient chaque jour nous tuer
à Bisesero. Ils nous suppliaient de ne pas courir pour pouvoir nous tuer facilement afin d’obtenir la récompense d’Obed Ruzindana. » 7
Aminadabu Birara, l’organisateur de cette résistance, a été tué par une grenade à fusil le 25 juin. 8
Heureusement, dit Siméon Karamaga, des soldats français sont venus vers la
fin juin. « Ils avaient des voitures blanches. Dans notre trou nous avions entendu
qu’ils arrivaient au Rwanda, à Cyangugu, Kibuye et Gikongoro ». 9
« Quand nous avons vu leurs véhicules arriver les Abaseseros, dont Anastase,
Amoni Nyakayiro et Bimenyimana (aussi appelé Kamenyi qui fut tués après le
génocide par des infiltrés), vinrent les arrêter. Nous sommes tous sortis de nos
cachettes. Eric, qui savait parler français, leur expliqua qui nous étions. Les
Français nous prirent en photos. Des miliciens les accompagnaient avec leurs
armes. Ensuite, les soldats sont repartis en nous disant qu’ils reviendraient.
Quand les Français sont partis, les miliciens sont revenus pour nous tuer. Ils
tuèrent beaucoup d’entre nous puisque nous étions sortis de nos caches quand
nous avons vu les militaires français. » 10
« Trois jours après, les Français sont revenus. Ils nous ont regroupés sur la
colline. Nous avons chanté des chants religieux à la gloire de Dieu “Nyemerera
Ngendana Na We Myami...” qui veut dire “Seigneur, laisse-moi venir près de
toi”. Les malades furent transportés à Goma (Zaïre) par les soldats. Quelques
semaines plus tard, nous avons été transportés en zone FPR dans la commune
de Kivumu (Kibuye). Puis nous sommes allés à Kabgayi. Quand le FPR a pris le
contrôle de tout le pays, nous sommes retournés sur notre colline à Bisesero ». 11
7. Ibidem, p. 60.
8. Vénuste Kayimahe, Jacques Morel, Enquête sur les victimes tuées au Rwanda
durant l’opération Turquoise. Cas de la région de Bisesero, 25 juin 2014. http://
francegenocidetutsi.org/BiseseroEnquete2013Analyse.pdf
9. Siméon Karamaga, Testimony on the resistance at Bisesero, African
Rights, 8 février 1997. Traduction de l’auteur. http://francegenocidetutsi.org/
SimeonKaramaga8February1997.pdf
10. Ibidem.
11. Ibidem.

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« Nous avons construit des huttes sur nos collines et avons essayé avec
beaucoup de difficultés de revivre. [...] En allant chercher du bois nous tombions
sur les crânes de nos propres enfants ».
« Au début de février 1997, les miliciens sont revenus tuer des survivants ».
Alors que personne ne les a aidés pour se reconstruire, Karamaga constate
que les miliciens, qui sont revenus du Zaïre et de Tanzanie, ont reçu des aides
et que des Blancs sont même venus vérifier qu’ils avaient bien touché cette aide.
Revenant sur l’abandon des survivants par les soldats français, Siméon Karamaga estime, dans une interview filmée en 2010 par Survivors Fund, qu’ils
étaient de connivence avec les tueurs. 12

Figure 2 – Siméon Karamaga avec à sa droite sa fille qui vient de recevoir son
diplôme. The New Times, 27 novembre 2017.

Siméon Karamaga et son frère Aaron Gakoko habitent à 500 m du mémorial
de Bisesero. Ils ont pu refonder une famille. En 1997, Siméon était à l’honneur
dans The New Times à l’occasion de la remise de diplôme de sa fille à l’école
scientifique de Maranyundo (Bugesera). 13
Il vient de décéder de maladie à l’âge de 76 ans.

12. https://www.youtube.com/watch?v=pkjWUK4KScM.
13. Athan Tashobya, Video : Of Genocide and the rebirth of Bisesero, The New Times,
November 27, 2017.

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