Fiche du document numéro 29043

Num
29043
Date
Vendredi 1er octobre 2021
Amj
Taille
266359
Titre
La famille de l’argentier du génocide rwandais veut sa part du butin
Soustitre
Les enfants de Félicien Kabuga, qui attend d’être jugé à La Haye pour crimes contre l’humanité, réclament le déblocage de leurs avoirs
Nom cité
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Lieu cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La Haye correspondance

Traquer l’argent, bloquer
les fonds : c’était l’obsession
de l’ancienne procureure
du Tribunal pénal international
pour le Rwanda (TPIR),
Carla Del Ponte. La magistrate
suisse espérait ainsi faire tomber
sa cible numéro un, Félicien Kabuga,
le grand argentier du génocide
des Tutsi au Rwanda. Il a fallu
attendre le 16 mai 2020 pour que
le fugitif soit finalement cueilli
par la brigade antiterroriste dans
un appartement d’Asnières-sur-Seine,
en banlieue parisienne.
C’est la filature de ses enfants,
pendant des mois, qui a conduit
les policiers jusqu’à sa planque.

Depuis, Félicien Kabuga attend
d’être jugé pour génocide et crimes
contre l’humanité à La Haye.
Il doit répondre de la création
d’un fonds destiné à soutenir l’armée
et les milices qui ont massacré
entre 800 000 et 1 million de
personnes sur les collines rwandaises
en 1994. Une audience préliminaire
doit se tenir le 6 octobre,
qui décidera de la date du procès.

Mais, parallèlement à cette procédure,
se joue une autre bataille :
depuis mi-avril,
six des treize enfants
de l’homme d’affaires
– ainsi que son ancien gendre et
sa sœur – réclament le dégel de
leurs comptes en banque et de
ceux de leur père, bloqués depuis
vingt ans. La fortune de Félicien
Kabuga, démarrée dans les plantations
de thé et alimentée par
la prédation des entreprises
semipubliques
rwandaises, est
estimée à au moins 20 millions
de dollars (17 millions d’euros) par
la justice internationale.

A La Haye, le procureur du TPIR,
Serge Brammertz, s’oppose à la
demande des enfants. Il fait valoir
que si les avoirs de la famille Kabuga
étaient débloqués, ils pourraient
permettre d’acheter des témoins
et de détruire les preuves
du procès. Et si le tribunal ne prévoit
aucune réparation pour les
victimes des accusés condamnés,
le procureur rappelle qu’elles
pourraient, dans l’affaire Kabuga,
utiliser une éventuelle condamnation
de l’ancien notable pour se
tourner vers les justices nationales,
du Rwanda et d’ailleurs, et obtenir
des dédommagements.

Cette bataille a commencé il y a
plus de deux décennies. Une première
perquisition visant les
biens de l’homme d’affaires avait
été conduite par la brigade antiterroriste
en novembre 1999,
dans un appartement du 13e arrondissement
de Paris. Des
comptes avaient ensuite été gelés
en France et en Belgique, à la BNP
(aujourd’hui BNP Fortis Bank)
ainsi qu’à la Central Bank of Kenya.
Une propriété au Kenya, enregistrée
au nom de Félicien Kabuga
et de son épouse, Joséphine
Mukazitoni, décédée en 2017,
avait également été saisie.

Les recours intentés par les proches
depuis des années devant les
justices de Nairobi, Bruxelles et
Paris ont tous échoué. A chaque
fois, la famille s’est vue rétorquer
que les autorités avaient agi
dans le cadre de leurs obligations
de coopération avec la justice
internationale.

« C’était un cadeau »

Dans leur requête d’avril, les enfants
Kabuga assurent que les
sommes déposées sur les comptes
gelés ne proviennent pas de
source criminelle. L’aîné de la fratrie,
Donatien Nshimyumuremyi,
déclare avoir reçu les fonds de son
père en août 1994. Félicien Kabuga
avait fui le Rwanda et rejoint la
Suisse en juin 1994, espérant y obtenir
l’asile. Expulsé vers la République
démocratique du Congo (le
Zaïre, à l’époque), l’homme d’affaires
avait pu, avec son escorte policière,
faire une halte au comptoir
de l’UBS à Genève et virer les sommes
sur le compte de son fils aîné.
Ces fonds n’ont pas été transférés
« dans l’intention de les dissimuler
au TPIR », soutient M. Nshimyumuremyi
dans sa requête au tribunal,
en faisant valoir que le TPIR
n’a été établi, par l’ONU, qu’en novembre
de cette année-là,
et que
Félicien Kabuga a été inculpé trois
ans plus tard.

« C’était un cadeau de mon père,
qui avait accumulé ces fonds au
cours de sa carrière », assure-t-il.
Les fonds auraient permis d’acheter
une résidence pour l’épouse
de M. Kabuga et la famille.
Une partie est aussi transférée à
ses frères. Quant aux comptes
conjoints ouverts par le couple
en France et au Kenya, M. Nshimyumuremyi
affirme que « ces
fonds provenaient des bénéfices de
l’entreprise que [son] père et sa
femme exploitaient ».

Le procureur Brammertz refuse
aussi de restituer, avant la clôture
de l’affaire, les biens saisis lors de
l’arrestation de Félicien Kabuga le
16 mai 2020. Ce jour-là,
les appartements
parisiens de deux des enfants
avaient été perquisitionnés.
Les policiers y ont notamment récupéré
quinze téléphones portables,
deux cartes SIM, huit ordinateurs
et tablettes, trente-deux
lecteurs externes et dix-huit
cassettes
vidéo. S’ils étaient débloqués,
les fonds pourraient aussi
servir à régler les honoraires de
l’avocat de l’homme d’affaires,
Emmanuel Altit. Félicien Kabuga
est considéré indigent et son conseil
est payé par le tribunal. Or,
l’accusé pourrait avoir à rembourser
l’addition, a expliqué le greffier
au mois de juillet.

Depuis, Félicien Kabuga, qui ne
s’entend plus avec son avocat, réclame
sa révocation. Il souhaite
désigner à la place l’Américain Peter
Robinson. Les juges s’y sont
jusqu’ici opposés. Le tribunal
court après le temps pour juger
un accusé de 87 ans, à la santé passablement
dégradée. Il a été jusqu’ici
impossible de le transférer
vers l’antenne rwandaise du TPIR
à Arusha, en Tanzanie, où il aurait
dû être jugé. Un changement
d’avocat ralentirait sûrement
l’avancée du dossier.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024