Fiche du document numéro 29033

Num
29033
Date
Vendredi 23 mars 2018
Amj
Auteur
Taille
33306
Titre
Paul Quilès : Il faut « revenir aux faits pour mieux comprendre le génocide au Rwanda »
Sous titre
L’ancien président de la mission parlementaire sur le Rwanda, Paul Quilès, explique que si les questions majeures encore sans réponse n’impliquent pas la France, les documents qui restent à étudier doivent cependant être accessibles aux chercheurs.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Tribune. Le génocide perpétré au Rwanda entre avril et juillet 1994 fait partie des grandes tragédies du XXe siècle. De 500 000 à un million de personnes y ont été assassinées dans les conditions les plus barbares en raison de leur naissance. Depuis, les témoignages, les récits, les analyses divergentes, les polémiques se sont multipliés, comme l’illustrent les récents articles du Monde. Mais très peu ont entrepris une analyse objective des enchaînements qui ont conduit à une telle tragédie.

C’est pour cette raison que j’ai pris l’initiative en 1998, en tant que président de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, de demander la création d’une mission parlementaire d’information. L’objectif était de « faire la lumière sur le rôle qu’ont pu jouer les différents pays qui sont intervenus, ainsi que l’ONU, dans la crise rwandaise entre 1990 et 1994 ». Notre mission a enquêté pendant neuf mois et a rendu un rapport de 1 500 pages.

Pendant cent dix heures, les députés ont auditionné quatre-vingt-huit personnes, des responsables politiques, des militaires, des diplomates, des universitaires, des civils français et rwandais. Ces auditions ont été exceptionnelles, tant par leur nombre que par leur sérieux. La plupart ont été publiques, ouvertes à la presse écrite et audiovisuelle.

Les rapporteurs se sont rendus à Bruxelles, à Washington, au siège des Nations unies à New York, ainsi qu’au Rwanda, en Ouganda, au Burundi, et en Tanzanie. Les témoignages des soixante-quatorze personnes qu’ils ont rencontrées ont été rigoureusement examinés. La mission a analysé 15 000 pages de textes, de télégrammes diplomatiques et de documents militaires ; pour 7 000 pages, la classification « secret défense » a été levée.

Des lacunes chez de nombreux commentateurs



D’autres documents restent sans doute encore à étudier, et il serait souhaitable que les chercheurs puissent y avoir accès. Mais les documents consultés par la mission donnent déjà en eux-mêmes une image suffisamment large et représentative des conditions de l’engagement français.

Les questions majeures qui restent sans réponse n’impliquent pas la France, comme les circonstances de la destruction de l’avion transportant les présidents rwandais et burundais ou le rôle du Front patriotique rwandais (FPR). On ne peut en tout cas pas affirmer, comme l’éditorial du Monde du 18-19 mars 2018 (« Faire la clarté sur le rôle de la France au Rwanda »), que le rapport de la mission « est pour le moins incomplet et ses conclusions lénifiantes ».

En revanche, les lacunes ne sont pas rares chez de nombreux commentateurs lorsqu’ils passent, par exemple, sous silence le processus de paix d’Arusha, qui ouvrait une perspective crédible de réconciliation nationale avec le soutien de la France. La mission a décrit le rôle d’acteurs souvent négligés : la Belgique, abandonnant le Rwanda au moment où il fallait y rester, l’ONU, dramatiquement absente ou paralysée, les Etats-Unis, qui ont, de façon constante et délibérée, empêché le Conseil de sécurité d’agir…

La communauté internationale a fauté au Rwanda, par manque de volonté, que ce soit avant ou après le déclenchement du génocide. Si la France a mené seule l’opération « Turquoise » dans un but humanitaire, malgré des illusions initiales sur la possibilité de « sauver » Arusha, c’est bien parce qu’aucun autre pays ne voulait s’y engager !

Litanies de repentirs sans grand rapport avec le réel



La mission a également avancé des propositions : par exemple, un contrôle parlementaire effectif des interventions militaires et l’accès du Parlement aux accords de défense ; la gestion multilatérale de la sécurité africaine ; la réforme des opérations de paix de l’ONU.

Pour la première fois, le Parlement enquêtait sur le prétendu « domaine réservé » des questions de défense et de politique étrangère. Et nous l’avons fait sans complaisance aucune.

Néanmoins, comme l’a fait remarquer la chercheuse Claudine Vidal : « La plupart des radios et des télévisions adhérèrent à une logique dénonciatrice… Minimisant les conclusions du rapport, qui pourtant se montraient loin d’exonérer la France de ses responsabilités durant la période précédant le génocide, ces médias se fixèrent sur une seule, celle qui affirmait la non-implication dans les massacres. »

Il est vrai que le terrain médiatique était déjà occupé par un autre récit, fondé sur ce que Claudine Vidal appelle une « interprétation conspiratoire de la politique française ».

Le génocide du Rwanda n’est pas un « accident de l’histoire » et on ne peut se contenter de jugements sommaires ou satisfaire sa conscience avec des litanies de repentirs sans grand rapport avec le réel.

Il est, en revanche, toujours nécessaire de revenir aux faits pour mieux comprendre le drame rwandais et en tirer les leçons, pour empêcher ou arrêter les catastrophes humanitaires d’aujourd’hui.

Paul Quilès (Ancien ministre de la défense et de l’intérieur et ancien président de la mission parlementaire sur le Rwanda)

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024