Fiche du document numéro 28619

Num
28619
Date
2003
Amj
Taille
94733
Titre
Une nouvelle identité des Batutsi du Rwanda et du Burundi ou la radicalisation de la théorie hamito-couchitique par l’Institut Havila
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Une étude d’une cinquantaine de pages a été publiée en juillet 2001 par les Annales de Havila, dans le numéro 005. L’étude signée par Yochanan Bwejeri membre de l’Institut Havila voulait démontrer l’identité hébraïque des Batutsi.

Notre écrit n’a pas la prétention d’être exhaustif ni prendre partie pour ou contre telle ou telle autre école historique. On voudrait livrer une opinion sur un sujet aussi important que l’origine historique d’un peuple.

1. Certaines critiques formulées par l’Institut Havila contre l’histoire institutionnelle ne semblent pas dénuées de fondement. Que certains historiens soient inféodés aux idées de certains milieux bien identifiables, cela n’est pas pour surprendre, puisque ce sont ces milieux qui financent la recherche. Voici ce qu’en dit un historien : « Le statut « scientifique » de l’historien affronté au financement public de la recherche montre à l’évidence l’existence de relations ambiguës avec les idéologies et la politique : de l’historiographe au service de la monarchie, en passant par les historiens libéraux ou marxistes préoccupés de recueillir les subventions publiques, il existe un lieu de production qui conditionne le discours historique ». (Françoise Hildesheimer, Introduction à l’histoire, 24-25).

Qui peut nier l’existence d’un lien entre l’historien et un certain lieu socialement et culturellement défini? Il existe une relation inévitable entre l’historien, le pouvoir et l'idéologie qu’il exprime en terme de production d'un discours.

2. L’historien n’échappe pas non plus au concordisme historique qui tend à prouver l’histoire immédiate par la reconstruction du passé. C’est ce que dit l’Institut Havila pour décrire « la construction d’une histoire événementielle tirant matière d’une actualisation brûlante ». On peut même dire que cette actualité harcèle l'historien. On attend de lui qu'il intervienne dans les débats, commente à chaud l'actualité, arbitre les controverses. Il y a donc une demande socio-politique qui inspire les questions à poser au passé.

3. A l’écart des querelles de chapelle, voire du mépris ou des incompréhensions entre les « historiens », il suffit de poser comme impératif que l’histoire est et reste une spécialité au sens plein. En effet, on ne s’improvise pas historien, on le devient au prix d’une formation spécialisée. La production d’historiens n’est pas le résultat d’une génération spontanée. Tout travail historique dépend en grande partie de l’érudition accumulée par les générations de spécialistes sans lesquels la synthèse de l’historien serait impossible. Qu’il y ait des réseaux d’affinités, d’idéologies ou de méthode correspondant à la finalité de la recherche, cela ne peut que contribuer à la connaissance variée des problématiques traitées.

4. L’Institut Havila procède à de nombreux rapprochements linguistiques. Ainsi, l’étymologie du mot « Batutsi » renvoie au « Tav » hébraïque, issu de l’égyptien « Tep ». Des noms de personnes et de lieux sont comparés aux noms égypto-kuchitiques. Il y a un intérêt indéniable à étudier ces ressemblances. Une étude approfondie des noms des lieux (toponymes), de personnes (anthroponymes) de fleuves et de lacs (hydronymes), constitue une piste-clé pour détecter les liens socio-culturels qui auraient existé entre les divers peuples. Le transfert linguistique en est le signe et le mesure. Mais les rapprochements linguistiques n’impliquent pas nécessairement l’appartenance aux mêmes identités ethniques. Il s’agit d’un phénomène culturel et non racial.

On peut se servir de la linguistique sans systématiser l’onomastique, l’étymologie, la linguistique comparée en s’intéressant aux correspondances.

Les ancêtres des Batutsi et des Bahutu



Les phénomènes migratoires sont naturels, historiques. Les migrations Batutsi ou Hutu ne constituent pas une anomalie dans l’histoire de l’humanité. « Qu’il s’agisse des Batutsi ou des Hutu, tous les habitants actuels de ces pays ont en effet une origine extérieure à la région ». (Bernard Lugan, Histoire du Rwanda, 28).

Les historiens cherchent à comprendre comment s’est fait le peuplement du Rwanda. Les théories n’ont pas manqué, et toutes plus savantes que les unes que les autres. Mais cette recherche spécieuse n’a abouti qu’à des solutions à peine vraisemblables, souvent fantastiques.

C’est ainsi que les ancêtres des Batutsi, ont été successivement rattachés aux peuples « éthiopides » de la région du Nil entre le lac Albert et le Bahr-el-Gazal. Tel a soutenu avec Roger Heremans que les ancêtres des Batutsi étaient des Abyssins, des peuples nomades à la recherche de nouvelles pâtures. On en a fait des infiltrés, des conquérants. (cf. Roger Heremans, Introduction à l’histoire du Rwanda, éd., Rwandaises, Kigali, 1971).

Tel autre, avec Bernard Lugan, a prétendu reconnaître dans les ancêtres des Batutsi une tribu issue du monde couchitique, voisin du nilo-saharien. L’assèchement du Sahara expliquerait, selon l’auteur les migrations des ancêtres des Batutsi. (Bernard Lugan, Histoire du Rwanda, Bartillat, 1997).

On en sait presque autant sur les autres populations qui se sont partagés avec les Batutsi le sol rwandais. Nul n’a réussi à percer les brouillards où se perd le passé des ancêtres des actuels rwandais.

L’identité hamito-couchitique des Batutsi



Jusque là, il était établi que les ancêtres des Batutsi étaient d’origine « éthiopides » ou couchitique. On sait maintenant, grâce à la nouvelle théorie de L’Institut Havila que les Batutsi sont d’origine hébraïque. Selon Havila, une méthode exégétique de restitution du sens littéral permet de retracer l’identité hamito-hébraïque des Batutsi. Cette exégèse est faite à partir de quelques textes notamment l’hymne à Aton.

Si nous restons dans l’hypothétique, pour quoi ne pas envisager que les juifs seraient descendus le long du Nil jusqu'en Afrique centrale? Ils seraient ensuite mêlés aux populations qu'ils rencontraient dans leurs migrations.

Que l’hypothèse de Havila puisse être débattue, au même titre que les théories précédentes, cela est possible. Mais, pour que cette théorie soit historique, elle doit être confirmée par les sources. Sans quoi elle reste une merveilleuse et excitante théorie.

Tout ce qu’on peut dire c’est que cette théorie n’est pas basée sur des sources historiques. Cela fait d’elle un simple fait d’opinion. Pourquoi les Batutsi seraient-ils d’origine hébraïque ? A cette question difficile, la réponse simple ne manque pas. La seule réponse possible est selon Havila, que les Batutsi sont liés congénitalement au Nil Blanc (Pishô) ». C.Q.F.D.



En conclusion, il semble que l’enjeu de la théorie « radicaliste » de l’Insitut Havila soit plus de nature politique qu’historique. La toile de fond de cette théorie serait la reconnaissance d’une hétérogénéité ethnique entre Hutu et Tutsi, et l’affirmation de l’identité hamito-kouchitique contre la spoliation identitaire dont ont été victimes les Batutsi.

Plutôt que de se contenter de pondre des théories ex nihilo, les gens soucieux d’éclairer le passé des Batutsi devraient plier les manches de leurs vestes pour aller interroger le sol rwandais. Face à des spéculations théoriques, le langage archéologique a quelque chose d’objectif et d’irrévocable. Il est nécessaire, lorsqu’on étudie le passé d’un peuple de ne pas oublier l’apport des autres sciences auxiliaires de l’histoire. Ainsi doit-on orienter les recherches sur des axes autres que l'analyse des groupes sociaux et/ou ethniques.

Rwanda, Burundi , ces entités font partie de l'aire culturelle de l'Afrique des Grands Lacs. Il est donc nécessaire de questionner les sources historiques, anthropologiques et linguistiques sur les peuples d'Afrique. Il s’agit aussi de remonter aux sources de l'histoire des Grands Lacs, en allant en amont des écrits des découvreurs étrangers.

Dans le même sens, il faut penser à remettre à l'endroit l'historiographie du Rwanda et du Burundi en donnant le point de vue des historiens transculturés qui posent des questions aux historiens de l'institution.

Ouvrons donc très largement l'angle d'approche. N'abandonnons jamais les exigences de la recherche de la vérité historique devant la défense d'une politique, d'une idéologie. Ne créons pas de nouveaux mythes sur les cendres des anciens.


Fondation Ntarama

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