Fiche du document numéro 28524

Num
28524
Date
Dimanche 6 juin 2021
Amj
Taille
197509
Titre
Renseignement : l’ouverture en trompe-l'œil des archives classifiées
Soustitre
Les députés ont voté la généralisation de l’accès aux documents secret-défense après cinquante ans, mais le champ des exceptions est élargi
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le projet de loi relatif à la prévention
d’actes de terrorisme
et au renseignement,
adopté mercredi 2 juin en première
lecture à l’Assemblée, recèle
une disposition aussi inattendue
que peu en rapport avec l’objet du
texte. Son article 19 traite en effet
de l’« accès aux archives publiques
». Sous cet intitulé laconique
se cache tout l’enjeu de la déclassification
des archives d’Etat classifiées
ou relevant du secret-défense
et qui intéressent les historiens,
les chercheurs, les journalistes,
ainsi que les associations et
même des particuliers.
Le texte se présente sous la
forme d’une modification de l’article
L 2132 du code du patrimoine,
qui fixe les délais d’ouverture
des archives des différents types
de documents publics. Une loi
de 2008 en fixait les modalités,
mais une instruction générale interministérielle
de 2011 est venue tout compliquer et a contraint les
administrations à une déclassification
document par document,
ce qui a ralenti le rythme des
ouvertures d’archives. Voire l’a
bloqué lorsque l’administration
en question décide de l’appliquer
de manière tatillonne, comme
c’est le cas du Service historique
des armées, depuis janvier 2020.
Le gouvernement a eu beau jeu
de présenter l’article 19 du nouveau
texte comme une avancée
majeure. En effet, la déclassification
automatique devient la règle
à partir de cinquante ans après
l’émission du document.
Délai indéterminé et glissant
Dans un communiqué commun
publié vendredi 4 juin, « l’Association
des archivistes français, l’Association
des historiens contemporanéistes
de l’enseignement supérieur
et de la recherche et l’Association
Josette et Maurice Audin, à
l’origine des recours et de la mobilisation
citoyenne contre l’instruction
générale interministérielle
n° 1300, se félicitent de voir reconnue
l’illégalité des pratiques qui, depuis
plus de dix-huit mois, empêchent
l’accès à de très nombreuses
archives de la nation. Le texte
adopté par l’Assemblée nationale
met en effet explicitement un terme
à ces pratiques administratives illégales,
avant même que le Conseil
d’Etat, saisi par nos trois associations,
n’ait pu se prononcer ».
Mais à y regarder de plus près, le
progrès annoncé ressemble plus à
un verrouillage en catimini. Outre
le fait que régler une telle question
dans une loi sur le terrorisme est
incongru, l’absence de la ministre
de la culture Roselyne Bachelot –
dont la gestion des archives et le
code du patrimoine dépendent –
et son remplacement pour défendre
le texte à l’Assemblée par la ministre
des armées, Florence Parly,
était une bonne indication des intentions
du gouvernement.
Dernier indice, la discussion des
amendements, dont un certain
nombre a été présenté par le député
(ex-La République en marche)
de l’Essonne Cédric Villani, a
duré quarante-cinq minutes en
tout et pour tout, entre 23 heures
et minuit. Et tous ont été rejetés,
sauf ceux du co-rapporteur du projet
de loi, le député (Agir ensemble)
du Cher Loïc Kervran, qui siège à la
délégation parlementaire au renseignement
et appartient à la majorité
présidentielle.
En fait, le nouveau texte de loi
sur les archives d’Etat est, paradoxalement,
un recul. Outre toutes
les informations qui concernent
les armes nucléaires, déjà exclues
de toute déclassification, l’article
19 établit quatre catégories de
documents pour lesquels le délai
est allongé au-delà de cinquante
ans : ceux concernant certains
bâtiments (prisons, barrages
hydroélectriques, etc.) tant qu’ils
sont en service ; ceux concernant
l’emploi des matériels de guerre,
jusqu’à la fin de leur usage ; ceux
touchant aux procédures opérationnelles
et aux capacités techniques
des services de renseignement,
tant qu’elles sont en vigueur
; et ceux relatifs à la mise en
œuvre et les moyens de la dissuasion
nucléaire.
Concernant les archives des services
de renseignement, il suffit
que les relations avec un service
étranger soient dévoilées ou
qu’une procédure soit encore en
vigueur pour que des documents
puissent être soustraits à la curiosité
du public, comme le pointe le
communiqué commun des archivistes,
des historiens et de l’Association
Josette et Maurice Audin :
« Rien ne permet de garantir qu’il
soit toujours possible demain de
travailler sur les archives de la Direction
de la surveillance du territoire
[DST] ayant permis de retrouver
et de juger les collaborateurs de
la seconde guerre mondiale (…), les
archives des tristement célèbres
“détachements opérationnels de
protection” chargés, au cours de la
guerre d’Algérie, d’interroger les prisonniers
jugés les plus “intéressants”,
y compris en recourant à la
torture. La recherche sur des pans
entiers, et essentiels, de notre histoire
contemporaine, est gravement
menacée. » La notion de « capacité
opérationnelle » est la plus
problématique.
Le texte marque un recul par rapport
à la loi de 2008. En l’état actuel,
les archives publiques, « dont
la communication porte atteinte
au secret de la défense nationale,
aux intérêts fondamentaux de
l’Etat dans la conduite de la politique
extérieure, à la sûreté de l’Etat
ou encore à la sécurité publique »,
peuvent être communiquées
après l’expiration d’un délai de
cinquante ans, ou plus. La nouvelle
loi établit un délai indéterminé
et glissant. La députée polynésienne
Maina Sage (UDI) a déploré
une « exception perpétuelle ».
« Le plus grave, c’est que l’administration
émettrice du document
sera la seule à décider si la diffusion
est possible, pointe Céline Guyon,
présidente de l’Association des archivistes
français. En votant la loi
telle qu’elle est, le législateur se dessaisirait
de son pouvoir au profit de
l’administration. » Et des archives
actuellement accessibles pourraient
retourner dans les cartons
si jamais l’interprétation de l’administration
– ou de sa tutelle politique
– change.

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