Fiche du document numéro 28508

Num
28508
Date
Jeudi 3 juin 2021
Amj
Taille
526774
Surtitre
Entretien
Titre
Etienne Nsanzimana : « La plupart des acteurs du génocide [des Tutsi] rwandais sont encore passibles de poursuites »
Soustitre
Kigali, le 27 mai dernier, le président Emmanuel Macron a prononcé un discours attendu dans lequel il a reconnu les responsabilités de la France dans le génocide des Tutsi. Le président de l’association IBUKA France analyse les ressorts de cette allocution.
Nom cité
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Lieu cité
Mot-clé
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Source
AJ
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le discours prononcé
par Emmanuel Macron la semaine
dernière a-t-il été à la hauteur des
attentes ?

Etienne Nsanzimana : Beaucoup
de Rwandais attendaient, en effet,
ce discours. Le lieu où il a été
prononcé – les jardins du Mémorial
de Gisozi, où sont enterrées
250 000 victimes du génocide – la
solennité et l’attitude du président
étaient pour nous à la hauteur.
Emmanuel Macron a prononcé
un discours qui reprenait certains
termes figurant déjà dans le
rapport de la commission Duclert
remis en mars dernier. Il s’est
adressé aux survivants avec un
sens du respect et de l’humilité.

Symboliquement, a-t-il, pour votre
communauté, un impact semblable
à celui prononcé par Jacques Chirac
au Vel' d’Hiv' en 1995, attendu par la
communauté juive ?

E.N. : Je me garderais de
comparer ces deux discours.
Lorsque le président Chirac a
prononcé ce discours courageux,
la plupart des acteurs du génocide
juif n’étaient plus vivants. Le
génocide tutsi a été commis
il y a 27 ans. La plupart des
acteurs sont encore passibles de
poursuites. J’entends aussi le
ressenti des survivants rwandais
qui regrettent que le mot
« excuse » n’ait pas été prononcé
par le président Macron. Le
rapprochement politique entre
la France et le Rwanda est
aujourd’hui évident. Le président
Kagame a même affirmé que ce
discours était mieux que des
excuses. Un ambassadeur français
devrait aussi être nommé d’ici
peu alors que le poste est vacant
depuis plusieurs années.
Si des paroles très fortes ont
été formulées au cours de ce
discours, il laisse néanmoins un
goût d’inachevé pour certains
d’entre nous. Seul l’après compte
désormais. Pour les rescapés,
un discours ne suffira jamais
à apaiser les souffrances. Ils
sont en attente de savoir si les
personnes suspectées d’avoir
commis le génocide et qui se
trouvent en France vont enfin être
arrêtées. Vingt-sept ans après ces
massacres, on ne peut pas s’en
tenir à trois procès seulement.

Le président Macron a évoqué des
moyens pour permettre à la justice
d’entreprendre son travail. Quelles
sont vos attentes d’un point de vue
juridique ?

E.M. : Ce discours de Kigali
deviendra historique lorsque les
promesses annoncées seront
réalisées. Après le temps des
historiens, vient aujourd’hui le
temps des politiciens et des actes.
Les excuses, formelles ou pas,
doivent se matérialiser en actes. Ce
discours devrait aussi permettre
de faire taire plus efficacement
les négationnistes. La thèse du
double génocide qui leur est très
chère a été mise en brèche tant
par les recherches scientifiques
des historiens que par la parole
présidentielle.

« Un génocide, ça ne s’excuse pas », a
affirmé le chef de l’État français. Que
pensez-vous de cette affirmation ?

E.N. : Je donne raison au
président de la République. Mais
Emmanuel Macron a aussi dit que
les conséquences d’un génocide
ne s’arrêtent jamais. Cela signifie
qu’il faut donner plus de moyens
pour lutter contre celles-ci que
nous subissons toujours. Par
actes, nous entendons la poursuite
des personnes qui se trouvent
en France à défaut d’obtenir leur
extradition. Nous demandons aussi
l’automaticité des poursuites dès
lors que les extraditions réclamées
sont refusées.

Comment l’association IBUKA entend-elle
exploiter désormais ce discours ?

E.N. : Le CPCR, collectif des
parties civiles pour le Rwanda,
se bat depuis des années pour
traduire en justice des génocidaires
présumés cachés en France.
IBUKA s’est constitué partie civile
dans de nombreuses demandes de
poursuites judiciaires. Nous allons
relancer la machine en expliquant
que si la volonté politique est là, il
faut que les personnes recherchées
soient désormais appréhendées
rapidement. Ce serait un drame
de voir des génocidaires mourir de
leur belle mort sans avoir été jugés.

IBUKA travaille beaucoup avec les
organisations juives, l’UEJF et le CRIF
notamment. Elles vous ont aidée, sur
le plan mémoriel ?

E.N. : C’est un véritable partenariat
qui nous lie avec ces associations.
Nos dernières commémorations
se sont déroulées au Mémorial
de la Shoah. Avec l’UEJF, nous
avons appris de leur militantisme.
Le voyage réalisé avec cette
association en 2006 au Rwanda
a été fondateur, tant pour les
jeunes étudiants juifs que pour
des membres d’IBUKA. Procéder
à ce dialogue des mémoires,
communiquer sur la proximité des
grands génocides du 20e siècle en
montrant leurs constructions qui
sont d’une similitude frappante,
tout cela représente un travail
essentiel.

Propos recueillis par
Laëtitia Enriquez

Créée en 1994 au lendemain du
génocide des Tutsi au Rwanda par les
Hutu, l’association IBUKA – Mémoire
et Justice oeuvre pour garder la
mémoire des victimes et pour
traduire en justice les auteurs du
génocide et autres crimes contre
l’humanité commis au Rwanda.
« Ibuka » est un mot kinyarwanda qui
signifie, en français, « Souviens-toi ».
L’association a été reconnue d’intérêt
général en 2014.

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