Fiche du document numéro 28459

Num
28459
Date
Jeudi 27 mai 2021
Amj
Taille
35885
Titre
Relations Rwanda-France : ce que des Rwandais en disent
Soustitre
VERBATIM. Après plus de deux décennies compliquées, le Rwanda et la France semblent aller vers des relations apaisées. Ce sentiment est-il partagé par tous ?
Nom cité
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Lieu cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Beaucoup est attendu de la visite du président Emmanuel Macron au Rwanda. Que ce soit dans les bus, les restaurants, les rédactions, les familles, les administrations, les entreprises, etc., le sujet est central et chacun y va de son commentaire. Pour certains, c'est l'heure pour la France de s'excuser, pour d'autres, de faire de vive voix son mea culpa. Autant de points de vue avancés pour appréhender l'orbite future de la relation entre le Rwanda et la France, relation longtemps empoisonnée par le douloureux épisode du génocide de 1994. Après la publication des rapports français et rwandais, Duclert et Muse de leur nom, les esprits semblent se diriger vers un apaisement durable. Cette visite du président Macron est un moment de vérité, celui qui est perçu de part et d'autre comme ouvrant une nouvelle page entre les deux pays, entre les populations aussi. Les paroles qui seront prononcées au mémorial du génocide de Kigali, où reposent les restes de 250 000 victimes, n'en seront que plus fortes et signifiantes. À côté de la parole officielle, il y a celle des Rwandais. Certains d'entre eux, habillés de statuts divers, se sont confiés au Point Afrique.

Kalisa Guy, 50 ans : « Ne pas réveiller les vieux démons »



« Je comparerais les relations franco-rwandaises à des fiancés qui se disputent mais qui ne parviennent pas à se séparer définitivement. Quand ils ne se chamaillent pas, on les voit marcher ensemble, se chuchoter et se promettre des lendemains meilleurs, mais chacun sait ce qu'il doit éviter pour ne pas réveiller les vieux démons. Entre la France et le Rwanda, c'est de même. Les deux pays se connaissent assez pour savoir éviter ce qui envenime leurs relations… La tension latente demande une attention soutenue pour éviter l'inattention qui peut tout faire basculer. Du côté rwandais, on attend ce qui n'arrivera peut-être pas ce jeudi ou arrivera trop tard, c'est-à-dire que la France s'incline devant la mémoire des victimes du génocide perpétré contre les Tutsis. La France aura complètement fait son devoir humanitaire de mémoire et d'honneur aux victimes quand elle aura publiquement demandé pardon. »

Fulgence Niyonagize : « Un engagement durable entre les États »



Journaliste dans Pax Press, une ONG de média pour la paix, Fulgence Niyonagize s'interroge : « Qui perd ou qui gagne dans ce genre de conflit qui s'éternise ? Dans ce cas d'espèce, le Rwanda gagnerait à éviter de perdre des investissements français, et la France à s'aliéner un allié stratégique vu la place que le Rwanda occupe dans la région. Membre du Commonwealth et de la Francophonie, le Rwanda ne pourra que profiter d'un climat de paix qui va se répercuter sur le quotidien des Rwandais. De quoi entrevoir les opportunités d'investissement dans divers secteurs, d'octroi de bourses d'études, etc. L'amélioration des relations doit aboutir à des choses tangibles dans la durée. L'engagement doit se faire entre les États et non seulement entre les individus. »

Maria Namahoro : « La vérité sans fard ! »



Veuve rescapée du génocide, Maria Namahoro a connu un parcours éprouvant au plus fort des événements de 1994. « Machetée » à mort chez elle, dans l'est du pays, Maria a suivi les génocidaires sur le chemin de l'exil à Bukavu sur les traces de son seul enfant survivant. « Avec tout le mal qu'ils nous ont fait, il faudrait qu'ils fassent des réparations pour les victimes des atrocités qu'ils ont aidé à commettre », dit-elle. Et de s'interroger : « Comment Macron se passerait-il de reconnaître la vérité et de demander pardon devant les milliers de victimes du mémorial de Gisozi ? ». À ses yeux, ne pas le faire serait « bâtir des relations sur du sable et continuer à piéger l'avenir des deux nations ». Et de conclure : « La vérité sans fard aiderait à panser nos blessures intérieures. »

ANN : « Plus d'une chose m'ont profondément choquée »



Tutsie de Karongi, dans la zone turquoise, ANN explique : « Un contingent français avait établi ses quartiers au groupe scolaire à Rubengera et y faisait de l'humanitaire à l'endroit des réfugiés. C'est là que je vivais avec mon mari, un Hutu qui y était enseignant. Je travaillais avec des soldats français au quotidien dans ce lieu où les bourgmestres, leurs fonctionnaires et les miliciens interahamwe se retrouvaient. Plus d'une chose m'ont profondément choquée et ont terni l'image que j'avais des Français. Par exemple, tout autour du camp, les miliciens continuaient leur carnage. » Et de rappeler cette grande réunion convoquée dans la salle polyvalente de l'association Ajemac par le colonel Sartre au camp de Rubengera. « Le colonel a expliqué qu'à la suite de l'avancée de l'ennemi, il fallait fuir au Zaïre », dit-elle. Et de conclure en faisant allusion à Agathe Habyarimana, à l'endroit de laquelle la justice devrait suivre son cours : « À défaut d'établir sa responsabilité pénale devant la loi, la France devrait demander pardon et verser des réparations même si, pour elle, il n'y a pas de prix pour tant de vies innocentes perdues. »

Ibuka : « Le moment de traquer, arrêter et déférer tous les génocidaires »



« L'association Ibuka salue les avancées significatives dans les relations franco-rwandaises. Le rapport Duclert constitue un bon tremplin du fait que la France reconnaît sa responsabilité dans le génocide perpétré contre les Tutsis. Néanmoins, la France continue d'être un havre de paix pour nombre de génocidaires qui ont endeuillé le Rwanda », dit Jean Damascène Ndabirora Kalinda, commissaire aux affaires juridiques de l'association Ibuka. Il pense que « ce pas franchi devrait aider à traquer, arrêter et déférer tous les suspects devant la justice ». « C'est le bon moment pour la France de nous rendre la justice que nous avons tant cherchée. Nous espérons que c'est vraiment un pas en avant et irréversible », conclut-il.

MK : « Nous avons besoin de réparation matérielle et psychologique »



Veuve du génocide, esseulée et contaminée au VIH, VKN est sous traitement et a une vie difficile. « À mes bourreaux et leurs complices, je ne peux rien demander d'autre si ce n'est de savoir pourquoi ils nous ont fait ça. Qu'avons-nous fait pour mériter un tel sort ? », interroge-t-elle entre deux sanglots. Sa voisine, MK, également veuve, qui a eu un enfant né d'un viol collectif « sous les yeux de soldats français », ne mâche pas ses mots. « Nous avons besoin de réparation matérielle et psychologique, pas de discours politique. Mon enfant, rejeté de tous, a besoin d'être réhabilité », dit-elle.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024