Fiche du document numéro 28403

Num
28403
Date
Jeudi 27 mai 2021
Amj
Auteur
Taille
33460
Titre
Version française du discours prononcé en ouverture de la conférence de presse conjointe des Présidents Emmanuel Macron et Paul Kagame
Nom cité
Nom cité
Type
Discours
Langue
FR
Citation
Tout d’abord, Monsieur le Président et membres de votre délégation, je tiens à vous souhaiter la bienvenue au Rwanda.
Aujourd’hui est le moment de parler du présent et de l’avenir, tout en réfléchissant sur le passé qui nous a amené ici.
Le président Macron vient de faire une allocution importante au Mémorial du génocide de Kigali. Ses paroles exprimaient quelque chose de plus précieuse qu’une excuse : la vérité.
Dire la vérité est risqué. On le fait parce que c’est juste, même quand ça coûte quelque chose, même quand c’est impopulaire. Malgré quelques voix fortes, le président Macron a franchi cette étape. Politiquement et moralement, c’est un acte d’un immense courage.
Ces risques ont porté leurs fruits parce qu’il y avait de bonne foi des deux côtés. Il était important de ne pas précipiter le processus. Les faits devaient être correctement établis. Nos sociétés respectives avaient également besoin de l’occasion de débattre et de délibérer. Un pas en a conduit à un autre. Et c’est ainsi que nous sommes arrivés à ce point, qui est en soi une autre étape, et une étape majeure.
Au Rwanda comme en France, tant d’individus, trop nombreux pour être nommés, n’ont cessé de se poser des questions, année après année, exigeant de la clarté. Ils viennent de la société civile, du monde universitaire et du journalisme. Certains sont tout simplement des citoyens concernés. Nous ne serions pas ici aujourd’hui sans leurs efforts inlassables, et je tiens à vous exprimer nos profonds remerciements et notre reconnaissance.
En kinyarwanda, on dit : Ukuri kurakiza. La vérité guérit.
C’est le principe sur lequel repose tout le projet d’unité nationale et de réconciliation au Rwanda. Telle a été notre expérience en tant que Rwandais. Il n’y a pas de raccourci.
Notre conviction, depuis le début, était que le processus de prise en compte du rôle de la France devait suivre la même logique. Et en tout cas, nous savions que cela ne pouvait pas être plus difficile que de se réconcilier avec nous-mêmes.
Aucun grain de vérité n’a été sacrifié. Mais le poids de la responsabilité a été remis là où il doit être : avec ceux qui ont pris les décisions. Qu’il y ait ou non des procès, la justice peut également être rendue par le jugement de l’histoire. Et le travail de documentation historique doit se poursuivre, conjointement.
Cette quête de vérité s’est faite dans le contexte de la complexité des défis auxquels le Rwanda a été confronté au cours des 27 dernières années.
Le Rwanda aurait facilement pu rester un état défaillant. Certains auraient même pu se sentir justifiés par cela. D’autres ont travaillé pour s’assurer que le Rwanda échoue.
Mais nous avons travaillé ensemble en tant que nation pour concevoir des solutions à nos défis uniques. Et en effet, sur toutes les dimensions, y compris les droits de l’homme, le Rwanda d’aujourd’hui est objectivement une nation transformée pour le mieux. Nous continuons d’exister en tant que peuple uni, contre toute attente. Et nous nous efforçons constamment de nous améliorer.
Il y a une façon de voir l’Afrique, de l’extérieur, qui associe automatiquement chaque succès à un coût énorme en termes de valeurs fondamentales et de libertés.
Cela ne veut pas dire que l’Afrique n’a pas de mauvais acteurs. Ils sont là ; ils peuvent même être nombreux. Mais pas plus que partout ailleurs dans le monde. La différence est que l’Afrique dans son ensemble en vient à être définie par ces mauvais acteurs, alors qu’ailleurs, ce sont des exceptions.
Cette hypothèse crée un point de référence où l’Afrique est toujours en baisse, tandis que d’autres sont en hausse. Elle rassure ces autres dans la conviction qu’ils ont le droit naturel de faire et de dire tout ce qu’ils veulent par rapport à l’Afrique, de donner des leçons et de porter un jugement sur nos choix. Malheureusement, certains des nôtres en Afrique participent également à cette entreprise négative.
La dynamique persiste presque éternellement, comme si elle était imparable ou inévitable. Mais ce n’est pas le cas. On arrête cela en faisant ce que l’on croît être juste, et qui, à la fin, peut en effet s’avérer juste.
Le vernis de la supériorité morale est très mince, une fois qu’on commence à le gratter. En dessous se cache le racisme, un déni de la valeur intrinsèque et égale de chaque être humain. C’est le racisme qui a rendu tolérable un génocide prévisible en Afrique.
Le racisme et l’idéologie du génocide existent sur le même continuum. Ce sont des formes de déshumanisation qui représentent une menace croissante pour la société sur tous les continents. Notre monde civilisé doit s’unir pour lutter contre le racisme et l’idéologie du génocide de manière concertée et cohérente.
Il y a des attitudes héritées du passé qui auraient dû changer depuis longtemps. Et je tiens à dire que le président Macron fait partie de ceux qui se sont rendus compte que les choses doivent changer, et il prend une position ferme pour essayer d’accompagner ce changement.
Il ne s’agit pas de parler au nom de l’Afrique, mais plutôt de faire en sorte que les voix des Rwandais et des Africains puissent se joindre au reste du monde pour poursuivre des objectifs communs, quelle que soit notre origine.
Le président Macron est quelqu’un qui écoute, et il s’est engagé à soutenir l’Afrique sur la base de ce que l’Afrique elle-même a choisi. C’est différent, c’est mieux et ça peut durer.
Fondamentalement, cette visite concerne l’avenir et non le passé.
La France et le Rwanda vont se relier beaucoup mieux, au profit de nos deux peuples, économiquement, politiquement et en termes de culture.
Mais la relation entre nos deux pays ne sera jamais entièrement conventionnelle. Il y a une familiarité particulière qui résulte de l’histoire complexe et terrible que nous partageons, pour le meilleur ou pour le pire. Nous avons choisi le meilleur.
Nous souhaitons nouer une relation forte et durable, basée sur des priorités qui comptent tant pour le Rwanda que pour la France. Cela comprend de nombreux points abordés lors de notre réunion bilatérale d’aujourd’hui, tels que l’investissement, la numérisation, l’égalité des sexes, le changement climatique, les échanges culturels et le soutien à l’entrepreneuriat et en particulier à l’autonomisation des jeunes. Le Rwanda sera un partenaire solide dans tous ces domaines.
Je vous remercie pour votre attention.

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