Fiche du document numéro 28390

Num
28390
Date
Mardi 18 mai 2021
Amj
Taille
31158
Titre
La francophonie fait un retour timide au Rwanda
Sous titre
L’ouverture du Centre culturel francophone de Kigali marque le retour de la langue de Molière, qui avait perdu en influence face à l’anglais après le génocide des Tutsi en 1994 et la crise diplomatique ouverte avec Paris.
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Dans les salles encore vides du nouveau Centre culturel francophone de Kigali, le montage de l’exposition Prémices, qui présentera le travail de jeunes plasticiens rwandais, a bien avancé. Tout est prêt pour une inauguration officielle par le président français, Emmanuel Macron, lors d’une visite d’Etat à Kigali pressentie – mais pas encore confirmée – pour la fin mai. Une réouverture hautement symbolique, sept ans après la fermeture de l’ancien Institut français au Rwanda. A l’époque, le terrain occupé par le bâtiment avait été confisqué par la municipalité, officiellement pour non-respect du plan d’urbanisme, en pleine crise diplomatique entre Paris et Kigali.

Depuis, les relations se sont apaisées. Longtemps empoisonnées par la question du rôle de la France dans le génocide des Tutsi, elles sont même en passe d’être normalisées après la publication du rapport de la commission Duclert fin mars, puis d’un rapport rwandais sur le même sujet. Les deux textes, qui concluent à de lourdes responsabilités de la France sans toutefois la considérer comme complice du génocide, témoignent d’une nouvelle convergence de vues sur la question. Le président Macron a multiplié les gestes envers son homologue rwandais Paul Kagame depuis son élection, et l’accueille d’ailleurs à Paris pour la deuxième fois depuis le début de son mandat, lundi 17 et mardi 18 mai, pour un sommet sur la situation au Soudan et un autre sur les économies africaines.

Le rapprochement est politique, économique, mais se ressent aussi dans la sphère linguistique : le Centre culturel francophone se prépare à proposer des cours dès le mois de juin, formalisant le retour de la langue de Molière dans un pays qui avait pourtant opéré un virage radical vers le monde anglophone au début des années 2000.

« Problème de bilinguisme »



Langue de l’administration coloniale pendant le protectorat belge, le français s’est répandu au sein des élites, en parallèle de l’unique langue locale, le kinyarwanda. Il a perdu en influence avec l’arrivée au pouvoir du Front patriotique rwandais (FPR) après le génocide de 1994. Paul Kagame, leader du FPR devenu président en 2000, a grandi dans un camp de réfugiés en Ouganda, comme la majorité des membres de l’ancienne rébellion. Et comme eux, il est anglophone.

Désigné comme une des trois langues officielles en 1996, l’anglais finit par remplacer le français dans l’enseignement primaire, secondaire et universitaire à la rentrée 2010. Au même moment, le pays intègre la Communauté d’Afrique de l’Est puis le Commonwealth, confirmant son rapprochement avec la sphère anglophone.

Les relations avec la France sont alors au plus bas. Les liens diplomatiques sont officiellement rompus entre 2006 et 2009, à la suite de la délivrance par le juge Jean-Louis Bruguière de neuf mandats d’arrêt contre des officiels rwandais dans le cadre de l’enquête sur l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, qui a marqué le début du génocide. Beaucoup ont vu dans l’abandon de la langue française un soufflet adressé à Paris.

Mais « c’était aussi une nécessité : après le génocide, nous faisions face à un problème de bilinguisme dans l’éducation », souligne une source proche du gouvernement. A la fin des massacres, nombre de Rwandais qui avaient fui les premières tueries contre les Tutsi au début des années 1960 sont rentrés, après avoir vécu dans les pays voisins du Rwanda, en République démocratique du Congo, au Burundi, mais aussi en Tanzanie et en Ouganda. Ils parlaient donc soit le français, soit l’anglais.

Même situation dans l’administration : « Le président ne comprenait pas le français, certains ministres non plus. Les documents officiels avaient souvent au moins un anglophone parmi les destinataires. Et les francophones comprennent mieux l’anglais que le contraire. Donc l’anglais s’est imposé petit à petit », poursuit la même source.

« La position officielle, c’était que l’anglais donnait beaucoup plus d’ouverture par rapport au français dans les échanges économiques et scientifiques », rappelle Evariste Ntakirutimana, professeur titulaire de sociolinguistique à l’université du Rwanda. Toutefois, selon les recherches de ce spécialiste, seulement de 2 % à 5 % de la population parle l’anglais aujourd’hui, 6 % le français. L’écrasante majorité ne maîtrise encore que le kinyarwanda.

« Vraie richesse »



Un rééquilibrage a pourtant été amorcé ces dernières années. En 2018, Louise Mushikiwabo, ancienne ministre des affaires étrangères de Paul Kagame, est élue à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) – dont le Rwanda n’est jamais sorti – avec le soutien de Paris. Dans la foulée, l’institution a annoncé en 2020 le déploiement d’une centaine de professeurs francophones au Rwanda, tandis que l’Agence française de développement y finance des modules destinés au renforcement de l’enseignement du français.

Décidé à profiter pleinement de sa position géostratégique à la frontière entre l’Afrique francophone et l’Afrique anglophone, le Rwanda joue désormais sur tous les tableaux. Kigali a réintégré en 2016 la Communauté des Etats d’Afrique centrale, quitté dix ans plus tôt pour se tourner vers la Tanzanie, le Kenya et l’Ouganda anglophones. Alors qu’une Rwandaise est à la tête de la francophonie, le pays devait également accueillir en juin la réunion des chefs d’Etat du Commonwealth. Une rencontre finalement reportée pour cause de Covid-19.

L’objectif est maintenant de former une nouvelle génération de bilingues. Mais, pour beaucoup, cette politique de « plurilinguisme stratégique » ne porte pas ses fruits. « L’anglais et le français représentent une vraie richesse pour le pays. Mais aujourd’hui on a un problème de maîtrise de ces langues chez les instituteurs eux-mêmes, déplore un professeur d’anglais qui préfère rester anonyme. Le risque, c’est que les jeunes générations ne puissent pas s’adapter au monde extérieur, même après des études », conclut-il.

Laure Broulard (Kigali, correspondance)

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