Fiche du document numéro 28382

Num
28382
Date
Vendredi 21 mai 2021
Amj
Taille
374080
Titre
Rwanda : deux génocides sinon rien
Sous titre
Le récent rapport dirigé par l'historien Vincent Duclert, qui porte sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis, a ranimé certaines thèses nauséabondes.
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Au-delà du clivage sur la responsabilité de la France, un « débat » demeure sur la nature même du génocide rwandais. Pour relativiser le meurtre des Tutsis, pourquoi ne pas les rendre aussi responsables de leur propre massacre ? Une forme de révisionnisme incarné par la journaliste canadienne Judi Rever, dont l’ouvrage L’Éloge du sang (éd. Max Milo) a été publié en français il y a peu. C’est qu’elle prétend aller au-delà de la vérité « officielle », révéler des vérités qui dérangent. Mais attention, hors de question de s’y prendre comme un vulgaire Faurisson. Non seulement elle ne nie pas l’existence d’un génocide, mais elle en dénombre deux. D’où son « scoop » : il n’y aurait pas d’un côté les victimes et, de l’autre, les assassins, mais deux ethnies lancées dans une lutte à mort. Un discours séduisant pour ceux que le rapport Duclert taxe de « responsabilité cognitive ». Rever accuse le Front patriotique rwandais (FPR), parti de l’actuel président, Paul Kagame, d’avoir tué le président Habyarimana, jugé trop modéré, pour lancer ensuite un génocide contre les Hutus. L’objectivité, c’est cinq minutes pour les Tutsis, cinq minutes pour les Hutus.

Des arguments en partie comparables ont été utilisés dans le cas de la Shoah pour atténuer la responsabilité allemande. Cela peut paraître dingue, c’est pourtant la thèse qu’avait formulée dans les années 1980 Ernst Nolte, un historien allemand respecté. À l’en croire, Auschwitz était une réponse au goulag, le génocide relevait de la guerre préventive menée par Hitler contre les bolcheviques. Il s’ensuivit une vive controverse, connue sous le nom de « querelle des historiens », où Nolte se fit traiter de négationniste. Pourtant lui, comme Rever dans le cas rwandais, ne voyait pas un génocide, mais bien deux, le nazi répondant au communiste.

Sur le plan factuel, Judi Rever ne révèle rien, et les tueries perpétrées par le FPR après le génocide des Tutsis sont connues, même si elle en exagère l’importance. Mais surtout, elle propose une lecture « fonctionnaliste » de cet événement, alors que le massacre des Tutsis, comme celui des Juifs, n’est intelligible que dans une approche « intentionnaliste ». Ces génocides ne sont pas « fonctionnalistes » en ceci qu’ils ne peuvent être interprétés comme des réactions à des agressions commises par les Tutsis ou les judéo-bolcheviques. Ce sont des projets délibérés, articulés autour d’une idéologie présente dès l’origine. La haine des Tutsis n’est pas séparable du Hutu Power, tout comme le nazisme n’est pas pensable sans l’antisémitisme. Ce qui s’est déroulé au Rwanda en 1994 n’est pas un massacre de circonstance.

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