Fiche du document numéro 28115

Num
28115
Date
Mardi 6 avril 2021
Amj
Taille
32305
Sur titre
Transparence
Titre
Rapport Rwanda : les preuves de la mauvaise volonté de l’Assemblée nationale
Sous titre
L’Opinion a eu accès aux échanges entre la Commission Duclert sur le génocide rwandais et l’Assemblée nationale qui a refusé d’ouvrir ses archives à une mission mandatée par le chef de l’Etat
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le Président Emmanuel Macron a reçu vendredi 26 mars le rapport d’une équipe de chercheurs et d’historiens, présidée par Vincent Duclert, qu’il avait chargé il y a deux ans de se pencher sur les archives françaises relatives au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Alors que ce mercredi 7 avril marquera le 27e anniversaire de son déclenchement, le chef de l’Etat entend prendre de nouvelles initiatives.

Le refus de l’Assemblée nationale de communiquer ses archives sur le génocide rwandais jette une ombre sur le déroulement des travaux de la commission d’historiens présidée par Vincent Duclert, malgré l’engagement d’Emmanuel Macron.

L’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, qui avait été co-rapporteur d’un précédent rapport en 1998, s’en est ému dans les colonnes de l’Opinion. C’est également le cas de l’ancien ministre socialiste Paul Quilès, alors président de la mission d’information parlementaire, comme il nous l’a expliqué.

L’Opinion a eu connaissance des échanges de courriers et de mails entre la commission Duclert et l’Assemblée nationale, autour de l’accès aux archives. Ils seront intégralement publiés, mercredi 7 avril, sur le site vie-publique en annexe de l’exposé méthodologique de la Commission de recherche.

Cette affaire reste incompréhensible sur le fond. Dysfonctionnements bureaucratiques, mauvaise humeur, blocages politiques ? Les proches du dossier se perdent en conjectures. Dans son courrier du 5 avril 2019 mandatant l’historien Vincent Duclert, Emmanuel Macron était pourtant explicite : « Cette commission aura pour objectif de consulter l’ensemble des fonds d’archives françaises relatifs à la période prégénocidaire et celle du génocide lui-même. » A l’évidence, le « fonds Quilès » de l’Assemblée nationale en fait partie, même si le chef de l’Etat n’a pas constitutionnellement autorité sur l’Assemblée nationale. La proximité politique entre le chef de l’Etat et le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand aurait dû faciliter les choses. Las !

Dès le 31 mai 2019, Vincent Duclert sollicite par mail le directeur des archives de l’Assemblée nationale, Patrick Montambault, qui accuse réception de sa demande quatre jours plus tard, mais réserve sa réponse. Le 15 juin, Vincent Duclert s’adresse directement à Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, lui expliquant notamment que « les membres de la Commission débuteraient leur étude par une lecture approfondie » des archives de la précédente enquête, « au vu du travail qui a été réalisé par la Mission Quilès » en 1998.

Déclassification



Pendant huit mois, les rapporteurs parlementaires avaient alors obtenu la déclassification par l’exécutif de milliers de documents confidentiels, procédé à l’audition de 88 personnalités (dont quelques-unes à huis clos) et effectué des déplacements à l’étranger, y compris au Rwanda. Leur rapport avait publié en décembre 1998. Si ces conclusions ont pu être critiquées, le contenu documentaire, notamment des annexes, est d’une exceptionnelle richesse. Les sources primaires avaient ensuite été déposées, comme il se doit, aux archives de l’Assemblée nationale. On comprend donc le souhait des membres de la commission Duclert d’y avoir accès, dix-neuf plus tard.

Vincent Duclert a dû attendre plus d’un an, jusqu’au 3 juillet 2020, pour recevoir une réponse du secrétaire général de l’Assemblée nationale Michel Moreau. Certes, la crise sanitaire a pu ralentir le fonctionnement de l’administration parlementaire, mais le sujet n’est pas anecdotique : on parle d’un génocide et d’une enquête souhaitée par le chef de l’Etat.

La réponse – tardive – est une fin de non-recevoir : « Le Bureau de l’Assemblée nationale a décidé de ne pas vous autoriser à consulter les procès-verbaux des auditions qui se sont tenues à huis clos et dont la liste comme le contenu ne sont pas publics. Le service de la Bibliothèque et des archives pourra, en revanche, si vous le souhaitez, vous donner accès à l’ensemble des documents publics conservés par l’Assemblée nationale ». Un an pour accorder l’accès à des documents publics, après plusieurs relances ! On hésite entre Kafka et Courteline…

Dès le 17 juillet, la commission de recherche prend attache (via Vincent Duclert et Catherine Bertho-Lavenir) avec le service concerné pour accéder à ces documents. Nouvelle mauvaise surprise, comme l’exprime son président dans un courrier à Richard Ferrand, en date du 11 août, dans lequel il regrette « une interprétation très restrictive de la notion de documents publics qui ne concernerait que les documents publiés dans le rapport » de 1998. Ainsi, même la correspondance entre le président et les rapporteurs de la mission d’information « ne nous serait pas accessible ». Les chercheurs doivent se contenter du rapport tel que disponible en ligne…

Quant aux auditions à huis clos, Vincent Duclert précise à Richard Ferrand : « Nous avons accédé dans les fonds des Armées (Service historique de la défense) aux transcriptions de ces auditions », ajoutant qu’« avant même la décision [de refus] du Bureau [de l’Assemblée nationale] nous n’avions pas envisagé d’exploiter ces auditions à huis clos dans notre rapport compte tenu des engagements de confidentialité. » L’accès à des documents non exploitables est une pratique régulière, qui permet aux chercheurs de mieux comprendre une situation et un contexte, sans qu’ils ne puissent les citer dans leurs travaux.

Faute de retour, deux mois après ce courrier au président de l’Assemblée nationale, Vincent Duclert l’a relancé le 16 octobre 2020. Il semble que ce courrier soit resté sans réponse.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024