Fiche du document numéro 28056

Num
28056
Date
Lundi 29 mars 2021
Amj
Auteur
Taille
39994
Titre
Pour le général Jean Varret, le rapport Duclert sur le Rwanda permet de « sortir de vingt-six ans de débats stériles »
Soustitre
Chef de la mission militaire de coopération à Kigali, de 1990 à 1993, le général Varret a été écarté après s’être démarqué de la lecture ethniciste du conflit, imposée par l’entourage de François Mitterrand.
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
En octobre 1990, les forces du Front patriotique rwandais (FPR) lancent une offensive contre le régime de Juvénal Habyarimana, précipitant l’engagement militaire de la France aux côtés des Hutu. Le général Jean Varret est alors le chef de la mission militaire de coopération (MMC), qui a autorité sur les soldats déployés dans vingt-huit pays, surtout en Afrique. Dans son rapport sur les responsabilités de la France entre 1990 et 1994, remis à Emmanuel Macron le 26 mars, la commission Duclert a souligné la solitude du général Varret, son refus de la grille idéologique alors imposée par l’Elysée, qui lui vaut d’être marginalisé puis écarté. Dans un entretien au Monde, il détaille son expérience de l’époque.

Quel a été votre sentiment premier à la lecture du rapport Duclert ?

Un profond soulagement. Enfin, voici des écrits rigoureux, basés sur des pierres solides. Ils permettent de sortir de vingt-six ans de débats stériles, reposant sur des témoignages discutables, empêchant de voir la réalité. Elle était la suivante : autour du chef des armées, soit le président de la République, il y avait un personnel politique et militaire qui estimait que Mitterrand avait raison. Que le Rwanda était un problème international pour la France. Que les pays francophones devaient le rester à tout prix et ne pas basculer dans le monde anglo-saxon.

Les 13 et 14 décembre 1990, vous effectuez votre première mission à Kigali, où vous rencontrez, outre le président rwandais, de hauts responsables de la défense…

J’ai préparé ce déplacement au travers d’échanges avec notre attaché militaire sur place, le colonel René Galinié. Je me demandais s’il avait raison, en affirmant que l’offensive du FPR n’était nullement une agression extérieure, comme on l’expliquait à Paris. Lui a tout de suite dit que c’était une affaire intérieure rwandaise et non une guerre venant de l’Ouganda. Il avait un réseau dense de contacts, dans les villages, chez les anciens, les prêtres, dans les deux ethnies. Il avait les réflexes de la gendarmerie en matière de renseignement.

J’ai rencontré le colonel Serubuga, chef d’état-major adjoint de l’armée, et son homologue de la gendarmerie, le colonel Rwagafilita. On essayait d’apprendre à leur gendarmerie à se comporter en force de maintien de l’ordre. Eux réclamaient des mitrailleuses et des mortiers ! Evidemment, j’ai dit non. Le colonel Rwagafilita m’a alors proposé un tête-à-tête. Il m’a dit : « Je vais vous dire la raison de ma demande. La gendarmerie va participer avec l’armée à la résolution du problème tutsi. » « A la lutte contre le FPR ? », ai-je demandé. « Non, on va liquider tous les Tutsi sur le territoire rwandais. » Il a ajouté : « Ils ne sont pas nombreux, ça ira vite. »

Je suis ensuite retourné voir le président Habyarimana pour lui rapporter ces propos. Il a répondu : « Il a dit ça, ce con-là ? Je vais le vider. » J’ai fait un compte rendu précis au ministre de la coopération, avec copie au chef d’état-major de l’armée, qui était l’amiral Lanxade. Aucun retour. Comme le souligne la commission Duclert, aucune trace de mon document ne figure dans les archives.

Pourquoi ne pas l’avoir raconté devant la mission d’information parlementaire, présidée par Paul Quilès, en 1998 ?

Lorsque j’ai témoigné, j’ai été surpris qu’on ne me propose pas, comme au général Huchon [adjoint au chef d’état-major particulier], la possibilité que mon audition soit confidentielle ou pas. Ensuite, Bernard Cazeneuve [alors député PS de la Manche et l’un des rapporteurs], dans cette mission, posait des questions très pertinentes. Mais Paul Quilès m’a fait comprendre, du regard, qu’il ne fallait pas que je poursuive mes explications. J’ai obtempéré, par devoir de réserve.

Pourquoi vos alertes et celles du colonel Galinié ne sont-elles pas prises en compte ?

Nous n’étions pas dans la doxa de l’époque, qui consistait à conforter le président Mitterrand dans l’idée de préserver les pays francophones dans notre champ d’influence, ce qui était le cas du Rwanda, pour donner à la France plus d’influence à l’ONU. C’est ce que j’ai appelé le lobby militaire. Ces généraux étaient formés dans l’éthique du service, mais à un certain niveau de responsabilité, il est tentant d’utiliser l’arme de la flagornerie.

Quand avez-vous découvert la dérive de l’état-major particulier (EMP), à l’Elysée, que décrit la commission Duclert ?

Tout de suite. Avant ma désignation comme chef du MMC, j’étais directeur du centre des hautes études militaires (CHEM). Un jour, l’amiral Lanxade, qui dirigeait l’EMP, me demande de lui envoyer, à l’Elysée, le meilleur officier que je connaissais. Je choisis Huchon.

Après ma nomination à la tête de la MMC, Huchon m’invite à l’EMP, rue de l’Elysée. Il m’explique son intention de s’intéresser de très près au Rwanda. Il était issu du 1er régiment de parachutistes d’infanterie de marine (RPIMa), une « chapelle » très efficace. Lorsque le détachement d’assistance militaire et d’instruction (DAMI) est déployé au Rwanda début 1991, les hommes du 1er RPIMa sont cantonnés dans un parc animalier. Ils doivent faire de l’instruction auprès de l’armée de terre rwandaise.

J’apprends alors, à Kigali, que certains ont franchi la frontière de nuit et sont entrés en Ouganda, le pays supposément derrière le FPR. C’était à l’opposé de mes directives. Je les ai engueulés. En rentrant de mission, à Paris, je trouve un télégramme sur mon bureau : « Les hommes du 1er RPIMa ne sont plus sous vos ordres. » J’ai vu ensuite des décisions, des mutations, qui m’échappaient, jusqu’à mon départ, alors que Lanxade m’avait demandé de prévoir une quatrième année. J’ai été relevé de mes fonctions avant même la fin de ma troisième année. J’ai été remplacé par le colonel Huchon, devenu général.

Connaissiez-vous les réseaux de communication parallèle, directe, entre l’état-major particulier, à l’Elysée, et les soldats français au Rwanda, cités par la commission Duclert ?

Le rapport le montre bien : un réseau parallèle non réglementé s’est mis en place à l’Elysée. L’intérêt était d’aller beaucoup plus vite, avec le chef des armées à portée de main, en pouvant éventuellement court-circuiter la défense, l’état-major des armées, la coopération… J’ai découvert ces moyens de communication chiffrés, une station Inmarsat, lorsque Huchon m’a fait visiter l’EMP. Il m’a emmené sous les combles, où j’ai vu le poste. Un sous-officier servait d’opérateur radio. Cette liaison ne relevait nullement des activités normales de l’Elysée.

Le général Christian Quesnot, chef d’état-major particulier de Mitterrand, son adjoint, le colonel Jean-Pierre Huchon, ou encore l’amiral Jacques Lanxade, chef d’état-major des armées : quelle responsabilité portent-ils, au regard de l’histoire et du génocide de 800 000 Rwandais ?

S’ils avaient su que renforcer le président dans ses convictions conduirait à ce résultat, ils auraient fait marche arrière, j’en suis convaincu. Ils ont eu le tort de ne pas le croire, de ne pas écouter les gens de terrain. On en revient à la question de l’éthique. Mais j’insiste sur un point : à mes yeux, il n’y a eu aucune complicité de génocide.

J’ai connu une époque où l’armée française était complexée par les échecs successifs : [la défaite de] 1940, la libération par les Américains et les Anglais malgré de Lattre et Leclerc, puis la douloureuse défaite en Indochine et, enfin, la guerre d’Algérie. Mes chefs les avaient tous connus. Quand on a eu de petits succès dans nos anciennes colonies, en particulier au Tchad, contre le colonel Kadhafi, ou en Côte d’Ivoire, l’armée française reprenait confiance en elle. Elle pensait ainsi qu’elle pourrait aller contre le cours de l’histoire au Rwanda, le partage indispensable du pouvoir entre Hutu et Tutsi. Ainsi, le mot « ennemis » a été prononcé très vite, au sujet des Tutsi du FPR. Un mot que je ne comprenais pas. L’armée française n’était pas en guerre.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024