Fiche du document numéro 28045

Num
28045
Date
Dimanche 28 mars 2021
Amj
Taille
30768
Surtitre
Génocide
Titre
Rapport Duclert : le rôle de la France au Rwanda, toujours tabou
Soustitre
Rendu public vendredi, le rapport de la commission Duclert était censé faire la lumière sur les archives concernant le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994. De la censure de certains fonds jusqu’à un étrange traitement médiatique, le document contient quelques parts d’ombre.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Douze jours après le début du génocide au Rwanda, le 19 avril 1994, la mission d’assistance militaire française sur place rédige une lettre à destination de Paris sur la situation en cours. Elle est catastrophique, précipitant l’évacuation des ressortissants étrangers qui vient de s’achever. Mais le rapport formule également quelques «enseignements à tirer» de cette explosion de violences qui consacre le début du massacre des Tutsis du Rwanda. Parmi lesquels : à l’avenir, «prévoir une déchiqueteuse suffisamment importante. Trop de temps a été perdu pour détruire les documents».

Quand la situation bascule dans un bain de sang, effacer les archives est une priorité. Ce document déclassifié a, lui, échappé à la destruction et circule depuis longtemps déjà. Mais combien d’autres restent encore méconnus, quand ils n’ont pas été passés «à la déchiqueteuse» ? Le rôle de la France au Rwanda au moment du génocide des Tutsis garde encore quelques zones d’ombre. Notamment sur l’ampleur du soutien au régime en place, dont Paris forme et encadre l’armée entre 1990 et 1994.

Accès censé être «illimité»



Rendu public vendredi, le rapport de la commission Duclert était donc très attendu. Il y a deux ans, cette commission avait été chargée par Emmanuel Macron d’examiner les archives publiques françaises sur cette période trouble. Avec un accès censé être pour la première fois «illimité» à tous les fonds de la République. Même ceux classés «secret-défense». Les conclusions de la commission sont sans appel sur la «responsabilité accablante» de la France dans la gestion de la tragédie rwandaise. Sur 1 200 pages, le rapport détaille les différentes phases d’un engrenage vertigineux qui, pour l’essentiel, était néanmoins déjà connu. Mais le constat en est désormais officiellement assumé au sommet de l’Etat français, ce qui marque une étape importante.

La concentration des décisions, en toute opacité, aux mains d’un petit groupe de responsables à l’Elysée rassemblé autour du président François Mitterrand, telle qu’elle apparaît également dans le rapport, est par ailleurs révélatrice d’une dérive de la Ve République, mettant en cause des dysfonctionnements inquiétants, dénoncés par la commission.

Reste que la transparence n’a pas été aussi complète que promise. «La commission a eu accès à toutes les archives», répétait-on encore vendredi matin à l’Elysée, en soulignant l’importance de ce geste. A la lecture de l’introduction du rapport, on se rend pourtant vite compte que cela n’a pas été le cas.

«Les refus de communication ou de consultations, certes rares mais notables, opposés aux demandes de la commission, ont nui au caractère d’exhaustivité qu’elle a voulu donner à son travail», est-il ainsi noté. Et de citer en particulier le bureau de l’Assemblée nationale, qui «a refusé la consultation des archives de la Mission d’information parlementaire (MIP) de 1998». Ce n’est pas un détail : la MIP avait procédé à l’audition de la plupart des acteurs politiques et militaires de l’époque, dont certains entendus à huis clos. L’accès à ces archives a donc été interdit aux membres, pourtant habilités «secret-défense» d’une commission, créée par le président lui-même et dont le parti LREM est pourtant majoritaire à l’Assemblée.

En retrait de l’audace



On peut s’étonner aussi de la façon dont le rapport a été transmis aux médias. Un vendredi soir à 18 heures. Pendant une grande partie du week-end, la parole a ainsi été monopolisée par le discours officiel sans crainte d’être contredite par des journalistes qui n’ont pu avaler aussi rapidement un rapport particulièrement volumineux.

Or, invité dans les studios radios ou sur les plateaux télé, Vincent Duclert, le président de la commission, a pu donner l’impression de se situer en retrait de l’audace affichée par son rapport. Samedi sur RFI, il justifiait ainsi la non arrestation des membres du gouvernement génocidaire, présent dans une zone sous contrôle de l’opération française «Turquoise», déclenchée le 22 juin. En expliquant qu’elle n’avait pas «mandat pour le faire».

Pourtant, on le sait : la France ayant signé la Convention sur la prévention du génocide, il n’y avait aucun besoin d’une autorisation pour arrêter les auteurs d’une solution finale africaine. Sur France Inter, le même jour, il dédouanait Hubert Védrine, alors secrétaire général de l’Elysée, qui n’aurait juste «pas eu le courage», à l’époque, d’avertir François Mitterrand des dérives de sa politique au Rwanda. Peu reconnaissant, Védrine dès dimanche sur RFI, affirmait, lui, son désaccord avec une quelconque «responsabilité accablante» de Paris, et rejetait la plupart des conclusions de la commission. La nouvelle version officielle du rôle de la France au Rwanda ne s’est visiblement pas encore imposée à tout le monde.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024