Fiche du document numéro 28015

Num
28015
Date
Dimanche 28 mars 2021
Amj
Taille
556075
Sur titre
Editorial
Titre
France-Rwanda : un pas décisif vers la vérité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Des responsabilités lourdes et accablantes. » Vingt-­sept années ont
été nécessaires pour que ces mots,
à propos du rôle de la France dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, soient
écrits dans un rapport commandé par le
président de la République. Deux ans après
avoir chargé l’historien Vincent Duclert de
faire la lumière sur l’implication française
dans l’un des derniers génocides du
XXe siècle qui, en cent jours, coûta la vie à
près de 800 000 Tutsi, Emmanuel Macron
a désormais entre les mains un document
solide, établi par des chercheurs indépendants et fondé sur des archives enfin
ouvertes. Après des années de déni puis
d’euphémisation, c’est un pas décisif sur la
voie de la vérité.
Lourd de 1 200 pages, le document confirme et précise ce que de nombreux livres
et enquêtes journalistiques ont révélé : l’engrenage qui a conduit la France de François
Mitterrand à soutenir aveuglément le régime dictatorial de Juvénal Habyarimana,
qui a perpétré et encouragé le génocide.
Tragique ironie, le Rwanda était considéré à
Paris comme le laboratoire de la nouvelle
politique africaine de la France, qui, à partir
de 1990, entendait conditionner son aide à
la démocratisation des pays.
Le rapport Duclert détaille le mécanisme
de cet « aveuglement continu dans le soutien
à un régime raciste, corrompu et violent ». Il
explique cette dérive à la fois par la relation
personnelle entre François Mitterrand et le
président hutu rwandais, qui conduit à satisfaire toutes ses demandes d’armement,
et par une pratique pyramidale du pouvoir,
qui amène l’état­-major particulier du président à court­-circuiter l’administration, y
compris militaire, et à imposer sa grille de
lecture en balayant les lanceurs d’alerte.
Les historiens qualifient de « défaite de la
pensée » la vision mitterrandienne justifiant la domination des Hutu (majoritaires)
au nom de la démocratie, perpétuant le regard ethniciste instrumentalisé par le colonisateur belge, et persistant à voir une
guerre civile là où un génocide se perpètre.
S’ajoute l’obsession de la « menace anglosaxonne », pour aboutir à cette « faillite ».
Isolée, compromise avec le régime, incapable de comprendre la tragédie en cours,
la France ne pouvait plus paraître impartiale lorsque le génocide a commencé, le
6 avril 1994, et qu’elle a tenté de se désengager. Censée stopper les massacres, l’opération « Turquoise » porte l’ambiguïté à son
paroxysme lorsque les soldats français assurent la protection d’une zone où se sont
réfugiés les génocidaires, mais refusent de
les arrêter. Y a-­t-­il eu complicité ? Les historiens ne le pensent pas, réfutant formellement une accusation souvent portée.
En 2010, Nicolas Sarkozy avait évoqué de
simples « erreurs politiques ». Quant à François Hollande, il a promis en vain d’ouvrir
les archives. Il appartient à Emmanuel Macron de traduire en paroles politiques le terrible constat dressé par le rapport. Il appartient éventuellement à des juges de tirer les
conclusions dans les procédures en cours.
La France s’honore chaque fois qu’elle fait
la lumière sur les épisodes sombres de son
histoire. Très attendu à l’approche du vingt-septième anniversaire du génocide, un discours français de vérité sur le Rwanda, pays
où M. Macron espère se rendre, devrait permettre de refonder les relations entre Kigali
et Paris et d’envoyer un signal à toute l’Afrique. Les survivants du génocide, les familles des victimes y ont droit. Les Français
aussi, car ni la paix ni le renom d’un pays ne
prospèrent sur le mensonge.

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