Fiche du document numéro 27937

Num
27937
Date
Mercredi 1er avril 1998
Amj
Taille
1295802
Titre
Génocide au Rwanda : la France savait forcément
Sous titre
Les cris d'alarme des ONG, dès 1993, sont restés sans réponse.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
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Résumé
Report of the first hearings of the MIP.
Source
Commentaire
A photograph of Presidents Juvénal Habyarimana (left) and François Mitterrand (right) illustrates the article with the following caption: "Mitterrand receives Habyarimana on April 2, 1990 at the Elysee Palace".
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Pour la première fois, le nom de François Mitterrand a été prononcé devant la mission d'information parlementaire sur le Rwanda, par le socialiste Paul Quilès, qui en dirige les travaux. José Kagabo, historien à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et premier expert intervenant hier devant une vingtaine de députés réunis à l'Assemblée, vient de dire son «effarement» devant la langue de bois et le manque d'information des élus français avant et durant le génocide de 1994. Cet été-là, il ne sait à qui s'adresser pour dire que l'intervention militaro-humanitaire française (l'opération Turquoise) est «une énorme erreur». Lionel Jospin, qui n'est plus que conseiller général de Cintegabelle, «me fait l'amitié de me recevoir, raconte José Kagabo. Il m'a dit: "Sachez que, dans le gouvernement [où il a été ministre de l'Education jusqu'en 1992, ndlr], quantité de choses sur le Rwanda n'ont jamais été dites». Et Kagabo commente: «Il y a des dossiers gérés par différents réseaux», «des lieux de gestion qui échappent à l'information».
Le président de la Commission de la défense prend alors la parole: «J'ai souvenance d'une intervention du président de la République en Conseil des ministres, en 1992. François Mitterrand est intervenu entre trente et quarante minutes sur le Rwanda. Je veux simplement vous dire l'importance qu'il accordait au dossier.». Paul Quilès ajoute que l'intervention «a surpris les ministres autour de la table, qui se demandaient si ça valait la peine». En intervenant, l'élu socialiste entend sans doute honorer la mémoire de Mitterrand. Il en profite pour jeter une pierre dans le jardin de Jospin. Une réunion ministérielle à Matignon a évoqué, le 25 mars, les travaux de la mission d'information, en particulier l'audition de fonctionnaires et militaires français que le gouvernement souhaite «protéger», selon Paul Quilès. Celui-ci a tenu, hier, à rappeler que la mission d'information a pour objet «le contrôle de l'activité gouvernementale» et le pouvoir de convoquer «toute personne». On reconnaît pourtant à la mission que, «si les pressions continuent, ça finira en huis clos».
Mais, en invoquant la mémoire de Mitterrand, Paul Quilès vient surtout d'admettre implicitement que le dossier rwandais, c'était l'Elysée. Ce que confirme l'intervenant suivant, l'avocat belge Eric Gillet, de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH). Il raconte le travail d'enquête mené par quatre ONG, à la suite des premiers massacres de Tutsis et des assassinats d'hommes politiques hutus opposés au président Habyarimana. «Dès mars 1993, l'anatomie de ces massacres est connue de tous les gouvernements», affirme Gillet. En 1992, la mise en scène, les fausses rumeurs sur les «infiltrés» rwandais de l'extérieur, les appels au meurtre diffusés par la radio nationale sont la «préfiguration», selon l'avocat, de l'organisation du génocide de 1994.
Les ONG rédigent un rapport qu'ils distribuent à l'ONU et aux gouvernements belge, américain et français. «Il y a eu un contact à l'Elysée, précise Eric Gillet. Human Rights Watch et la FIDH ont discuté du rapport avec Bruno Delhaye.» L'actuel ambassadeur au Mexique est alors le chef de la cellule africaine de la présidence de la République, le vrai centre du pouvoir sur la politique africaine.
Les plus hautes autorités françaises, comme le reste de la communauté internationale, savaient donc ce qui se préparait, et rien n'a été fait pour l'empêcher, conclut l'avocat. Répondant à une question, il dira encore qu'il ne peut imaginer que les militaires français ignoraient tout de la situation: en vertu des accords de coopération militaire qui lient la France et le Rwanda, «ils partageaient la vie des camps militaires, où s'entraînaient aussi les milices». Les milices interahamwe, créées en août 1991, ont été, avec la garde présidentielle, l'armée et la gendarmerie rwandaises, l'instrument du génocide de 1994.
Alors, on ne peut s'étonner que, malgré la rigueur et la modération de l'exposé de José Kagabo, celui-ci termine en posant «une question d'homme et de citoyen français»: «Dans ce génocide, j'ai perdu toute ma belle-famille, cinq frères, dont certains avec leurs femmes et leurs enfants. J'attends de savoir qui, individuellement ou à titre collectif, sachant qu'un génocide était en préparation là-bas, a ordonné d'aider les génocidaires.»
Plusieurs associations et personnalités continuent de penser qu'une mission d'information n'est pas dotée de pouvoirs suffisants pour «faire la vérité sur les responsabilités françaises» et demandent une commission d'enquête parlementaire sur le Rwanda. Une centaine de personnalités, dont le sociologue Pierre Bourdieu et l'historien Elikia Mbokolo, ont signé la pétition du comité Vérité sur le Rwanda (tél.: 01 43 27 03 25).

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